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Du 7 octobre à la vache rousse et vice-versa

Rédaction
12 avril 2024
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Du 7 octobre à la vache rousse et vice-versa
Comment une génisse rousse pourrait déclencher la colère des musulmans du monde entier © kmitschke/Flickr

Cette semaine, le texte d'une pétition signée de divers autorités religieuses chrétiennes, le patriarche émérite Michel Sabbah en tête, contre le sacrifice d'une génisse rousse par les partisans de l'Institut du Temple, a été rendu public. C'est tout sauf une plaisanterie quand on sait que la perspective de ce sacrifice aurait compté parmi les justifications du Hamas pour son attaque du 7 octobre 2023 contre Israël.


« La vache rousse plus dangereuse que le nucléaire iranien ? » Quand il a entendu parler de la pétition signée par le patriarche émérite, Mgr Michel Sabbah, et l’évêque auxiliaire de Jérusalem, Mgr William Shomali, contre le sacrifice d’une génisse rousse à Jérusalem, Charles Enderlin a coupé court aux gloussements de quelques collègues journalistes en évoquant ce titre d’un article qu’il signait sur son blog en 2015. Ce sacrifice, s’il devait avoir lieu, pourrait avoir des conséquences plus graves pour le monde que la riposte iranienne après le bombardement par Israël de son consulat à Damas et qui fait la Une de toute la presse israélienne depuis quelques jours.

Le sujet est tout sauf drôle encore qu’il soit surréaliste.

C’est la première fois que des chrétiens, aussi éminents que ceux dont les noms figurent sur la liste des signataires, de toutes confessions dont de nombreuses confessions protestantes, réagissent sur ce sujet et le font ensemble pour dénoncer les actions d’autres chrétiens, connus sous le nom de « chrétiens sionistes ».

Les forces de sécurité israéliennes assurent la garde pendant que des partisans Juifs du Troisème Temple visite l’esplanade, dans la vieille ville de Jérusalem, pendant la fête de Pâque, le 10 avril 2023.
Ils sont pieds nus en signe de respect. ©Naama Stern/Flash90

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Dans un des articles consacrés à ces ardents supporteurs de l’Etat d’Israël, Terre Sainte Magazine rappelait l’essence de la doctrine théologique qui sous-tend le parti pris politique. « Le retour du peuple juif à Sion et le rétablissement de sa souveraineté sur la Terre promise apparaît comme un signe avant-coureur du retour prochain du Messie, Jésus. » Il leur appartient dès lors de travailler à l’accomplissement des prophéties apocalyptiques de la Bible pour précipiter le retour du Messie et se trouver au nombre des élus. La littérature sur le sujet est abondante. De façon réductrice[1] on pourrait dire qu’il faut que la Terre promise devienne ethniquement pure, donc occupée uniquement par des juifs (après leur victoire sur tous leurs ennemis), pour que le Messie revienne.

Cette théologie, dont le nombre de partisans est le plus nombreux aux Etats-Unis d’Amérique (on parle de 30 à 40 millions, soit 25% des chrétiens US), parle aux oreilles des membres du Congrès et à celles des présidents républicains, dictant une partie de leur politique en faveur d’Israël.

A dire vrai, la pétition semble arriver un peu tard car le mal dénoncé est fait. Cinq génisses rousses sont arrivées en Israël en 2022. « Le fermier qui a élevé le bétail est un chrétien fervent qui s’est intéressé de près à ce commandement et a commencé à élever le bétail dans ce but » explique l’article de i24News.

Depuis plusieurs années de nombreux fermiers travaillaient à l’élevage de ces vaches, allant jusqu’à utiliser les techniques de génie-génétique pour garantir que les poils de l’animal ne changeraient pas de couleur. Car les règles de pureté, initialement énoncées dans le livre des Nombres chapitre 19, se sont vues augmentées dans le Talmud et le Livre des Commandements de Maïmonide de détails nouveaux rendant la sélection de la génisse bien plus difficile.

Si vous pensiez jusqu’ici que tout cela est un peu loufoque, détrompez-vous.

Des partisans du troisième Temple assistent à une cérémonie de « pratique » du sacrifice de Pâque dans la vieille ville de Jérusalem, le 15 avril 2019. À l’époque du Temple, la fête juive de Pâque est le « sacrifice de Pessa’h ». ©Noam Revkin Fenton/Flash90

Les partisans de la construction du troisième Temple (en lieu et place du Dôme du Rocher où se tenait, selon la plupart des hypothèses, le Saint des Saints) y croient eux dur comme fer. Et ils se tiennent prêts. Le site internet de l’Institut du Temple foisonne d’informations sur la préparation des prêtres, des outils nécessaires au Temple, les conditions de pureté de la génisse rousse et les règles de son immolation, le mélange de ses cendres avec de l’eau lustrale etc.

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Leurs activités, si ce n’est leur activisme, est même tenu pour avoir alerté le Hamas au point que l’attaque du 7 octobre, dont le nom est Déluge d’Al Aqsa ait été revendiquée comme une réponse aux attaques constantes par Israël du lieu saint musulman. En décembre 2022, alors qu’Itamar Ben Gvir était pressenti pour le poste de ministre de la Sécurité nationale – qu’il a obtenu-, sans avoir fait mystère de son intention de changer les règles d’accès et de souveraineté sur le Mont du Temple, Ismail Haniyeh, le chef politique du Hamas, avait fait un vibrant discours sur les dangers encourus par les Lieux saints. Il avait aussi menacé Israël.  « Nous ne permettrons absolument pas la mise en œuvre des plans sionistes à la mosquée Al-Aqsa ou à Jérusalem de manière plus générale », « L’épée de Jérusalem n’a pas été et ne sera pas rengainée », avait-il averti.

Le même Itamar Ben Gvir avait promis cette année d’entraver l’accès à l’esplanade des mosquées durant le mois de Ramadan achevé mardi soir dernier. Or, l’accès à l’esplanade n’a jamais été aussi facile et calme [2]. Les spéculations vont bon train. Quelqu’un en Israël a-t-il vraiment réussi à museler Ben Gvir et sa police ou ce dernier prépare-t-il un coup plus fumant ?

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La semaine de la Pâque juive approche. Elle commencera le 22 avril. Ces dernières années, les partisans du Troisième Temple rivalisaient de défis, à qui arriverait à apporter un agneau sur l’esplanade des mosquées pour l’immoler. L’année dernière des voix juives s’élevaient contre ces tentatives.

La génisse qui sera trouvée pure à l’âge de trois ans – et les génisses texanes attendront cet âge au moment de la Pessah cette année (!) – devra être sacrifiée sur le Mont des Oliviers sur un terrain déjà acquis par les partisans du Temple…

Pour les plus fanatiques, cela ouvrirait la possibilité à la purification du Mont du Temple et à son usage exclusif pour el culte, chassant tous les musulmans. Ce genre d’action serait de nature à faire sortir de leurs gonds non pas seulement 7 millions de Palestiniens répartis sur les territoires d’Israël, Palestine et Gaza, mais près de 2 milliards de musulmans dans le monde.

Jusqu’ici, toutes les tentatives de provocation de ce genre avaient empêchées par l’ensemble des services de sécurité existants en Israël. Mais quand un des partisans de l’exploit est lui-même Ministre de la Sécurité et que le gouvernement en place, avec en premier lieu, son Premier Ministre, semblent avoir choisi la voie de l’engrenage de la guerre, tout devient possible.

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[1] Car il y a un foisonnement d’interprétations.

[2] Aucun palestinien des territoires n’a obtenu de permis d’entrer à Jérusalem durant le Ramadan, entraînant une chute de 40% de fréquentation du Lieu saint en comparaison à l’année précédente.

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