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La colère croissante des populations évacuées d’Israël

Augustin Bernard-Roudeix
24 juin 2024
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La colère croissante des populations évacuées d’Israël
Vue d'un incendie causé par des roquettes tirées depuis le Liban, vers la ville de Kiryat Shmona, au nord d'Israël, le 3 juin 2024. ©Ayal Margolin/Flash90

La guerre déclenchée le 7 octobre a entraîné l’évacuation des populations israéliennes vivant à proximité des zones de conflit. Si un mouvement de retour des résidents des communautés limitrophes de la bande de Gaza est en cours, les habitants des localités proches de la frontière libanaise ne peuvent toujours pas rentrer chez eux. Terre Sainte Magazine a rencontré un couple originaire de Kiryat Shmona alors que la situation se dégrade dans le nord.


« Nous avons quitté notre maison de Kiryat Shmona avec des vêtements pour deux jours et un jouet pour chacun de nos deux enfants. Ces deux jours durent maintenant depuis huit mois ! » Oren et Ayala sont tous les deux chefs à domicile, il est en charge des plats et elle des desserts.

Lui est né à Kiryat Shmona il y a 40 ans et a perfectionné son métier en France quelques années avant de retrouver sa ville natale avec son épouse. Originaire de Jérusalem, Ayala s’est très vite épanouie dans une communauté qu’elle décrit comme « très soudée et située dans la région d’Israël où la nature est la plus belle ».

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Ce couple est à l’image des près de 120 000 Israéliens qui ont dû quitter leur foyer après le 7 octobre. Dès le déclenchement des hostilités, les autorités ont ordonné l’évacuation des populations les plus proches des zones de combat. Environ 60 000 habitants des environs de la bande de Gaza et un nombre similaire de résidents à proximité de la frontière avec le Liban ont quitté leur domicile.

Divorces et séparations

Dans la précipitation des premiers jours, ceux qui ne pouvaient pas être hébergés par des proches ont été répartis dans des hôtels à travers tout le pays. Le ministère du Tourisme israélien a finalement institué une allocation quotidienne de subsistance de 200 shekels par adulte (environ 50 euros) et de 100 shekels par enfant (environ 25 euros).

Une famille formée d’un couple et de deux enfants peut ainsi percevoir une aide mensuelle de 18 000 shekels (environ 4 500 euros). Ces aides ont permis de progressivement diminuer la proportion de déplacés accueillis dans des hôtels, solution beaucoup plus coûteuse pour l’administration israélienne.

Le couple s’estime chanceux d’avoir pu compter sur l’appartement de la sœur d’Ayala, alors en voyage à l’étranger : « Beaucoup de familles qui ont été dirigées vers des hôtels traversent des difficultés. Nous entendons beaucoup d’histoires de divorces et de séparations, d’autres foyers sont confrontés à des problèmes d’addiction. Mais le plus grave est la répercussion sur les enfants qui ne sont pas accueillis à l’école à temps complet ».

Un retour en question

Oren est globalement très critique de la gestion des évacués par son gouvernement : « L’évacuation a été officiellement lancée le 20 octobre, un jour de shabbat. Certains de mes voisins religieux n’ont pas voulu partir ce jour-là ! Elle s’est globalement déroulée dans un chaos total et s’est étalée sur une semaine. Mes parents se sont installés chez mon frère et il a fallu deux mois aux autorités pour se rappeler de leur existence et les interroger sur leurs besoins ! ».

Cartes des bombardements israéliens en bleu et du Hezbollah en jaune, de part et d’autre de la frontière israelo-libanaise ©Google/TSM

D’après des chiffres fournis par l’armée israélienne, près de 70 % des déplacés du sud du pays avaient rejoint leurs communautés d’origine en avril dernier. Les tensions croissantes à la frontière libanaise rendent cette perspective toujours plus lointaine pour les déplacés du nord. Le Hezbollah est entré en action dès le 8 octobre en soutien à l’offensive du Hamas.

La milice chiite frappe depuis le nord d’Israël avec des roquettes, des drones et des missiles anti-char. Les forces israéliennes y répondent par des frappes menées en territoire libanais par l’utilisation de son aviation et de son artillerie. Une zone d’évacuation de 5 km depuis la frontière avec le Liban a été déterminée par les autorités israéliennes dès le début des hostilités. Alors que ces affrontements semblaient maîtrisés par les belligérants pour éviter une escalade incontrôlable, la situation s’est brutalement dégradée ces derniers jours.

L’élimination le 11 juin de Taleb Abdallah par Israël, plus haut cadre du Hezbollah à trouver la mort depuis le 7 octobre, a entraîné une réponse inédite de la milice libanaise. Près de 250 roquettes ont été tirées en une journée sur le nord d’Israël. La grande ville de Tibériade, située à une trentaine de kilomètres de la frontière, a été visée pour la première fois depuis le début du conflit.

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Ce contexte a amené le gouvernement israélien à proroger le 16 juin les dispositifs de soutien aux déplacés jusqu’au 15 août. Loin de la satisfaire, cette décision exaspère Ayala qui attend une solution définitive à la situation : « Je n’ai aucune confiance dans notre gouvernement, nous n’avons pu compter que sur l’armée et la société civile qui a su s’organiser et soutenir les populations déplacées. Partir en guerre est sans doute la seule chose à faire, quitte à conclure un accord ensuite et profiter de quelques années de tranquillité jusqu’à la prochaine explosion. »

« Personne ne fait attention à nous ! »

Cette opinion n’est pas isolée en Israël : selon un sondage réalisé en mai par la chaîne de télévision publique Kan, 46 % des répondants pensent qu’une invasion terrestre du Liban est nécessaire, pour 29 % qui s’y opposent et 25 % qui ne se prononcent pas.

Des résidents de Kiryat Shmona qui ont été évacués de leurs maisons participent à une leçon de céramique dans un hôtel de Jérusalem, le 12 mars 2024. © Dor Pazuelo/Flash90

Ce désir d’une résolution au prix d’un conflit ouvert s’est concrétisé récemment avec un mouvement de protestation « Combattre pour le Nord ». Des manifestants ont bloqué samedi 15 juin des accès à Jérusalem et appelé au refus de tout accord avec le Hezbollah, qualifié de « capitulation ». Ces mobilisations sont nécessaires pour Oren : « Personne ne fait attention à nous ! Quelqu’un doit réagir pour que nous puissions vivre en sécurité chez nous. L’année scolaire se termine et nous ne savons pas comment nos enfants seront scolarisés à la rentrée prochaine. »

« Il faut que nos revendications convergent avec celles des déplacés du sud et des familles des otages pour contraindre les autorités à agir, poursuit-il. Nous évacuer était une erreur : le Hezbollah sait que le nord est vide et qu’il peut bombarder sans risquer de contraindre le gouvernement à utiliser toutes nos capacités. Au fond cette situation les arrange tous les deux ! »

Les exigences d’Oren pourraient bientôt se concrétiser. Le Hezbollah conditionne l’arrêt de ses attaques à un cessez-le-feu définitif à Gaza qui semble hors de portée. L’armée israélienne a annoncé le 18 juin avoir validé un plan pour une offensive au Liban, menace à laquelle la milice chiite a répondu le 19 par la voix de son secrétaire général Hassan Nasrallah : « Aucun lieu en Israël ne sera épargné par nos missiles. Si la guerre est imposée au Liban, la Résistance se battra sans retenue, sans règle et sans limite. »

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