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Le champ des bergers, lieu pour faire mémoire

Claire Burkel
12 juin 2023
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Malgré les constructions, le panorama visible depuis le sanctuaire franciscain de Beit-Sahour rend encore hommage aux paysages des collines de Judée et à la vie pastorale des bergers qui ont accueilli la bonne nouvelle de la naissance du fils de Dieu.© Inikep/Dreamstime.com

Peu nombreux sont les groupes qui vont en Terre Sainte au creux de l’hiver, mais la méditation sera belle si l’on se trouve à Bethléem pour les fêtes de Noël.


Bethléem mérite toujours une visite prolongée.

Première servie, la basilique constantinienne de la Nativité magnifiquement restaurée par plusieurs corps de métiers depuis plus de dix ans, du plafond jusqu’au sol : charpente remise à neuf avec des poutres en chêne importées d’Italie ; mosaïques des murs qui n’avaient pas été retouchées depuis leur mise en place au XIIe siècle par les Croisés ; tapis de tesselles colorées des sols constantiniens ; 31 colonnes peintes (sur les 50) entièrement nettoyées…

Y attenant le cloître Saint-Jérôme de facture médiévale aux délicates sculptures romanes qui offre un bel espace de méditation des textes de la Nativité et de l’Épiphanie.

En deux parties et par deux escaliers différents, le sous-sol de grottes naturelles, l’étoile de la Naissance et le réseau où s’était installé le “saint traducteur” pour faire naître en 36 ans son grand œuvre, la Bible en langue latine (voir les numéros de TSM 658, 669, 670).

L’église franciscaine de Sainte-Catherine où se réunit la communauté paroissiale latine et où ont lieu les grandes célébrations durant l’année liturgique ; elle a été édifiée en 1882 sur les ruines d’une église croisée. On ne manquera pas d’admirer sur le mur de gauche en regardant l’autel une icône moderne de saint Joseph, vêtu comme un juif pieux, tenant dans son châle de prière un rouleau de la Torah et sur son bras gauche l’Enfant Jésus, tendrement tourné vers lui. L’image est bien plus proche de la réalité que nos sculptures du XIXe siècle où Joseph est revêtu d’une robre brune comme un moine qu’il n’a jamais été.

Dans le sanctuaire des Franciscains, plusieurs grottes naturelles s’offrent à l’accueil des pèlerins pour la prière et cette tente des bergers telle qu’imaginée par l’architecte italien Antonio Barluzzi. © MAB/CTS

Dans une rue parallèle au sud de la basilique, la Grotte du Lait où la pierre blanche a fait naître la tradition du lait maternel de la Vierge qui aurait touché le sol et rendu toute la grotte immaculée. Il s’agit en réalité d’un calcaire naturellement très blanc. La chapelle actuelle a été inaugurée en décembre 2006 pour une communauté d’adoratrices perpétuelles du Saint-Sacrement.

Lire aussi >> Le Terra Sancta Museum invite les Bethléemites à se réapproprier leurs trésors

Dès 215 l’historien Origène affirmait du site principal que “tous les habitants de Bethléem, chrétiens ou non, vénèrent cette grotte comme lieu de la naissance du Sauveur”. Au milieu du VIe siècle le pèlerin de Plaisance témoigne : “Bethléem est un endroit des plus splendides, les serviteurs de Dieu y sont nombreux. Il y a la grotte où est né le Seigneur, où est la crèche elle-même ornée d’or et d’argent ; jour et nuit y brûlent des lampes. L’entrée de la grotte est tout à fait étroite. Le prêtre Jérôme a creusé le rocher à l’entrée même de la grotte et s’est fait un tombeau où il a été déposé.”

On peut aussi rencontrer les artisans de la ville qui, dans leurs ateliers ouverts, travaillent le bois d’olivier, la nacre, ou la céramique. Et visiter le petit musée des Dames de Bethléem (à quelque distance de la place de la Crèche, en montant vers le marché) qui exposent quantité d’ouvrages de belles broderies traditionnelles colorées.

À la campagne

Le Champ des bergers, qui se trouve à quelque distance du haut-lieu, en sortie de ville vers l’est, était bien sûr complètement hors village à l’époque de Jésus. Il n’est plus maintenant séparé des quartiers très denses de Bethléem, et demeure un îlot beaucoup plus paisible où l’on se rendra avec joie après un temps au complexe basilical.

L’église que l’on voit au sommet d’une butte a été construite en 1954 par l’architecte italien Antonio Barluzzi. Celui-ci, formé aux textes de l’Écriture, a choisi la forme d’une tente pour ce modeste sanctuaire qui évoque les bergers s’abritant dans les champs où ils gardaient leurs troupeaux. Du bref épisode en saint Luc on ne peut tirer de “géolocalisation” précise : “Il y avait dans la même région des bergers qui vivaient aux champs et gardaient leurs troupeaux durant les veilles de la nuit.… Les bergers se dirent entre eux ‘Allons jusqu’à Bethléem et voyons ce qui est arrivé et que le Seigneur nous a fait connaître’.” -Lc 2, 8 et 15. Les indices sont maigres.

Depuis l’époque de David le village est entouré de pâturages de tous côtés et vit du pastoralisme. C’est donc la seule tradition chrétienne qui a fixé un lieu “dans la même région”. Relisons Pallade le Galate qui voyageait en 337-339, et fut plus tard évêque d’Hélénopolis en Bithynie (aujourd’hui au bord de la mer Noire turque). Ayant séjourné un an au monastère proche de Bethléem qu’avait fondé Jean Cassien, avec le moine Posidoine de Thèbes, tous deux nomment ce monastère Poemenion, c’est-à-dire ‘bergerie’ ou ‘troupeau’. Voilà qui pourrait authentifier le lieu “des bergers de la nuit de la Nativité.”

Le Champ des bergers, qui se trouve à quelque distance du haut-lieu, en sortie de ville vers l’est, était bien sûr complètement hors village à l’époque de Jésus.

Un peu plus tard Girolamo [347-419] dans sa réédition de l’Onomasticon d’Eusèbe de Césarée : “À mille pas se trouve la Tour d’Ader, la Tour du troupeau, celle des pasteurs qui ont reçu l’annonce de la nativité du Seigneur”. Ce que répète Bède le Vénérable [672-735] en 720 : “À l’orient de Bethléem, à la tour d’Ader, c’est-à-dire du Troupeau, l’on rencontre à la distance de mille pas de la ville, une église qui renferme les tombeaux des trois pasteurs, témoins de la nativité du Seigneur.” Une pieuse tradition a cru nécessaire d’ajouter cette précision : ils étaient donc trois bergers ! que l’on a sans doute voulu mettre en parallèle des trois mages venus d’Orient.

Dans le sanctuaire appelé en arabe Siyar el-Ghanam se visite aussi un complexe monastique datant des IVe et VIe siècle, byzantin donc, fouillé au début des années 1950 par le franciscain archéologue Vincent Corbo. Il y avait là une installation agricole et des meules à huile et à céréales : silos, citernes et bassins tous taillés dans la roche. On distinguera les pierres de fondation de l’abside de l’église et quelques-uns des murs datant d’une première construction au IVe siècle et un agrandissement de ces structures au VIe, nécessaire sans doute à cause d’une communauté grandissante. Bien des cellules monacales sont encore visibles. Le site a été détruit au cours du VIIIe siècle.

Dans le sanctuaire grec-orthodoxe du champ des bergers, lui aussi situé à Beit-Sahour, ont été mis à jour les restes d’une église byzantine. © Stanislao Lee/CTS

Comme en plusieurs endroits de Terre Sainte l’Église grecque-orthodoxe et l’Église latine se sont partagé des terrains pour édifier leurs propres chapelles et accueillir leur communauté et leurs visiteurs. Le domaine franciscain est une odorante pinède où sont proposés aux pèlerins plusieurs lieux de célébration. Le plus important est une profonde grotte basse, aux parois noircies par les fumées des cierges, où un groupe peut réserver une heure pour célébrer l’eucharistie.

Comme il est autorisé, lorsqu’on est en Terre Sainte, de prendre les textes liturgiques propres à un lieu, on lira la prophétie de Michée (5, 1-7) avec les Évangiles de la Naissance et l’on se souhaitera, au moment du baiser de paix, un “joyeux Noël !”. Mais s’ils ne célèbrent pas les groupes pourront vivre là un temps de méditation des textes de l’enfance “dans la campagne”. Lc 2 pour la Nativité et Mt 2 pour les songes de Joseph et l’adoration des mages.


Des articles au livre

Une même idée, lire l’Écriture là où elle s’est donnée.

Depuis huit ans, Claire Burkel, enseignante à l’École Cathédrale à Paris écrit la rubrique Venez et Voyez. Sur les quelque 45 articles parus, elle en a choisi 23, à la demande du Collège des Bernardins pour leur publication dans un livre intitulé : “En Terre Sainte avec les Écritures”.

C’est une émotion pour Claire de publier un livre pour la première fois, et une grande joie pour Terre Sainte Magazine de voir la qualité de sa publication reconnue par le Collège des Bernardins.

Reste que c’est dans Terre Sainte Magazine que nos lecteurs ont pu lire les 25 autres et apprécier les photos qui manquent (cruellement ?) dans la version livre.

Nous en profitons pour remercier très chaleureusement Claire de nous régaler de ses connaissances bibliques et du terrain, d’autant plus qu’elle le fait à titre gracieux.

Si la rubrique Venez et Voyez va s’éclipser doucement, Claire va continuer d’écrire pour nous présenter des personnages de la Bible. Vous en avez eu un aperçu dans le numéro sur Marie-Madeleine.

Les chemins de la parole : en Terre Sainte avec les Écritures

Auteur : Claire Burkel
Éditeur : Parole et Silence
Date de parution : août 2023
Collection :
Cahier du Collège des Bernardins-École Cathédrale
Ean : 97 82 88 95 94 917 – 150 pages – 16 €

Dernière mise à jour: 12/07/2024 10:45

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