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Le clocher latin du Saint-Sépulcre et son carillon grec

Marie-Armelle Beaulieu
30 août 2024
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« J’aime les cloches des églises du monde entier, mais celles du Saint-Sépulcre sont vraiment les cloches de la Résurrection ! » explique Barbara depuis sa Hongrie natale. Terre Sainte Magazine a visité le lieu où s’opère la magie.


© Bibliothèque d’État de Bade à Karlsruhe/ Cod. St. Peter pap. 32

845 ans, le bel âge

Le clocher de la basilique du Saint-Sépulcre a été construit par les croisés en 1179, trente ans après la dédicace de l’église. Un autre, de forme octogonale, l’aurait précédé au XIe siècle, d’après les ingénieurs de l’Université technique nationale d’Athènes qui l’ont étudié en 2013.

Aucun document d’époque ne nous renseigne sur son architecture, il faut donc se fier aux descriptions des pèlerins et à leurs dessins comme celui, ci-contre, de Konrad Grünemberg, dans son Description du voyage de Constance à Jérusalem ouvrage achevé vers 1487.


⇓ Noms des chapelles du Saint-Sépulcre au XIe siècle ⇓

Le Saint-Sépulcre de Constantin Monomaque vers 1048. © Avec l’aimable autorisation du Prof. Osvaldo Garbarino. Source : The Holy Sepulchre of Jerusalem Historical background and documentary sources in Jerusalem, The Holy Sepulchre, Research and Investigation, Altralinea Edizioni.

Fondations

Le clocher a été construit au-dessus de la chapelle édifiée lors de la restauration financée par Constantin Monomaque entre 1033 et 1048. Elle était consacrée à saint Jean et pris plus tard le vocable de chapelle des 40 martyrs de Sébaste. C’est là qu’étaient enterrés les patriarches de Jérusalem. La chapelle existe toujours, la fête des Saints Martyrs y est célébrée chaque année le 24 octobre du calendrier julien (6 novembre).


Effondrements au pluriel

Neufs tremblements de terre ont ébranlé, à des degrés divers, le clocher depuis sa construction. C’est celui de 1546, d’une magnitude de 7.0 avec un épicentre le long du Jourdain à 15 km au nord de Jéricho, qui eut raison du dôme et de sa base en colonnades. Le clocher resta en l’état jusqu’en 1720, date à laquelle les deux étages supérieurs s’écroulèrent en l’absence pourtant de séisme.

Il n’a jamais été question de reconstruction, mais une nouvelle phase de restauration est prévue par l’Eglise grecque-orthodoxe, après la dernière conduite entre 2001 et 2003.

⇓ Cliquez sur la photo pour voir la carte dans Google Earth ⇓

©MAB/Google Earth


Vue générale de la Basilique du Saint-Sépulcre prise depuis le clocher de l’église luthérienne du Saint-Rédempteur. ©MAB/CTS

Aspect actuel

En 1895, ce qui restait du clocher fut recouvert d’un toit en bois. Le toit de tuile, fut construit à l’occasion des réparations nécessaires après le séisme de 1927. Il ne fut pas le plus puissant – de 6.2 sur l’échelle de Richter –   mais la proximité de son épicentre – le long de la mer morte à 15 km au sud de Qumran – eut davantage de conséquences sur l’ensemble de la basilique.

Les Britanniques rejointoyèrent la structure à laquelle ils fixèrent trois gaines métalliques pour la renforcer. Sa hauteur est dorénavant de 27,40 m.


 

La cloche a sonné, ça signifie

« Une joie communicative, le sentiment d’être en vie, l’actualisation de la résurrection, un sentiment d’appartenance, le sentiment d’être à la maison, un envoi en mission, un accomplissement intérieur. » Les amoureux de Jérusalem – qu’ils y soient nés ou qu’ils y aient vécu –  sont unanimes, le son du carillon orthodoxe de Jérusalem produit sur eux un effet unique, source d’une joie intime.

Écouter le son du carillon grec de la basilique du Sainte-Sépulcre : ici


Un carillon gréco-russe

Le carillon du Saint-Sépulcre comprend 19 cloches suspendues dans quatre fenêtres orientées aux quatre coins cardinaux.

Deux d’entre elles ne sonnent pas faute de câble. Huit autres, de tailles variées, jonchent le sol. À les observer de près on s’aperçoit que les unes portent des inscriptions en grec, les autres en russe.

Huit cloches ont en effet été coulées dans des usines moscovites à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Certaines ont été remplacées en 2013, offertes par le patriarche de Moscou, Kirill, quelques mois après sa visite dans la ville sainte.

⇓ Comment sonnent les cloches du Saint-Sépulcre ⇓


Bénis sois-tu carillonneur

L’installation étant à l’orientale, les anses des cloches sont fixées aux jougs (poutres) qui les portent empêchant le balancement. C’est donc le battant qui est actionné.

Il faut deux hommes pour sonner les cloches. L’un à en charge le battant du bourdon. Fondu en 1886 à Moscou et appelé Blagovestnik, l’Évangéliste, le bourdon pèse 361 pouds et 5 founts, des unités de mesure de la Russie impériale, soit 6405 kg. Il mesure 1,80 m et a un diamètre de 2,2 m. L’autre sonneur, grâce à un système de câbles et de cordes, actionne des bras et du pied droit toutes les autres cloches. Les deux mettent des bouchons d’oreille et un casque réducteur de bruit. S’ils préservent leurs tympans, ils entendent encore puissamment la volée tandis que tout le corps absorbe les vibrations du son.


Un son qui ne cloche pas

Les cloches du Saint-Sépulcre sonnent-elles faux ? D’après Paul Bergamo, président de la fonderie manchoise Cornille-Havard (d’où sont sorties les nouvelles cloches de Notre-Dame de Paris), interrogé par TSM, « l’Église orthodoxe russe interdit formellement l’accordage des cloches qui constitueront les sonneries cultuelles. Cela donne des sonorités intéressantes et même souvent assez esthétiques mais qui ne passent pas en France où on se limite plutôt à des accords répétitifs FA LA DO, FA LA DO ». L’interdiction s’étend probablement à toute la tradition byzantine qui s’accommode très bien d’harmoniques en quarts de tons.

« Quand le battant intérieur en acier doux frappe toujours au même endroit, il use le bronze de la cloche qui finira par fêler » affirme encore le spécialiste en cherchant à expliquer une dissonance supplémentaire éventuelle.

La faute aux cloches de bateau ?

L’étude d’Alla Nagorskaya mentionne que des marins russes auraient offert des cloches de bateau. Or toutes ne sonnent pas juste. C’est Paul Bergamo qui une nouvelle fois donne un éclairage : « Beaucoup de chantiers navals, quand ils possédaient une fonderie, se sont essayés à faire des cloches. Souvent le profil était défini de manière approximative et la sonorité est alors assez rugueuse. »


  1. Sources de l’article : Ground penetrating radar investigation of the bell tower of the church of the Holy Sepulchre par Kyriakos Labropoulos et Antonia Moropoulou et Cloches russes de l’église de la Résurrection à Jérusalem (Titre original : Русские Колокола Храма Воскресения В Иерусалиме) par Alla Nagorskaya.
  2. Merci spécial à Paul Bergano, Président de la Fonderie Cornille-Havard à Villedieu les Poëles pour ses explications techniques ainsi qu’à Constance Feuillet.
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