Au cours des siècles de nombreux pèlerins ont laissé des traces écrites de leur séjour en Terre Sainte. Des voyages qui leur prenaient des années et dont ils ne revenaient pas toujours choisissant de se fixer sur les Lieux du Salut.
Le pèlerinage est un phénomène commun à beaucoup de religions. Le pèlerinage chrétien dérive directement de la Bible. Nous le trouvons dans la prière des psaumes : « Quand ils passent au val du baumier, où l’on ménage une fontaine, surcroît de bénédiction, la pluie d’automne les enveloppe. Ils marchent de hauteur en hauteur, Dieu leur apparaît dans Sion » (Ps 84,7-8). Et nous le trouvons dans les figures charismatiques de l’Ancien Testament. En 1 Rois 18,1-18 nous lisons à propos du prophète Élie qui voyage vers le Mont de Dieu, le Sinaï, pour voir la Gloire de Yahvé. Par contre le premier pèlerin fut Abraham, qui effectua un long voyage depuis la Mésopotamie : « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père, pour le pays que je t’indiquerai. » (Gn 12, 1-3).
Avec ces exemples, rien d’étonnant que le pèlerinage soit devenu un phénomène typiquement chrétien. Les circonstances historiques du IVe siècle apr. J.-C. avec la paix constantinienne et la construction des premières basiliques chrétiennes sur les Lieux Saints à Jérusalem et à Bethléem, ont permis aux fidèles de tout l’empire de se rendre en Terre Sainte et de faire le pèlerinage pour connaître les Lieux Saints. Dans une lettre de Constantin mentionnée par Eusèbe de Césarée nous trouvons pour la première fois exprimé le concept chrétien de Lieux Saints, que l’empereur invite à purifier de la contamination du paganisme.
Mais si nous nous interrogeons sur la date à laquelle commencèrent les pèlerins à se diriger vers la Terre Sainte nous ne pouvons apporter aucune réponse sûre.
Les origines historiques du pèlerinage ne peuvent pas être précisées, mais nous pouvons fonder nos recherches sur les témoignages des pèlerins qui ont laissé des mémoires écrites, des témoignages etc. De plus, avant que l’empire romain n’instaure la religion chrétienne comme officielle (313 apr. J.C.), les pèlerins se mettaient déjà en marche pour visiter les tombes des Apôtres, des Martyrs, et les Lieux Saints des Terres bibliques.
Méliton de Sardes, martyrisé environ en l’an 190 ap. J.-C., doit être considéré comme l’un des premiers pèlerins. Méliton, appelé par les anciens « étoile de l’Asie Mineure », se rendit en Terre Sainte pour trouver des motifs de controverse sur la date de la Pâques et des arguments sur le canon des Saintes Écritures que l’Église était en train d’élaborer. Son pèlerinage fut donc un pèlerinage d’étude aux sources de la foi chrétienne. Mais Eusèbe de Césarée ajoute : « Il vint pour voir les lieux où fut annoncé et où s’accomplit ce que contient l’Écriture » (Histoire de l’Église : 4,26.14). Durant sa visite à Jérusalem, il avait noté la position du Golgotha, se trouvant au centre de la cité de Aelia Capitolina construite par l’empereur Hadrien. Ainsi, chez Méliton de Sardes, la topographie devient théologie quand il affirme que le Golgotha est au centre du monde, parce qu’il se trouve au centre de la ville de Jérusalem, que la théologie biblique tenait depuis toujours pour être au centre du monde (Méliton de Sardes, Homélie sur la Pâques).
Avec Tertulien (150-220 apr. J.C) nous rencontrons un maître d’éloquence et un polémiste né. En polémique avec les païens qui tenaient Athènes et son Académie de philosophie comme la source de l’esprit et un lieu à visiter, il proclame solennellement : « Qu’y a-t-il de commun entre Athènes et Jérusalem ? Notre doctrine est née sous le Portique de Salomon (De Praescriptione, PL 2,23). Le Portique de Salomon est un lieu sanctifié par la présence du Christ (cf. Jn 10,32) et par les Apôtres (cf. Actes V,12), et pour cela il est tout indiqué au pèlerin. »
Le premier pèlerin en Terre Sainte est probablement Alexandre de Cappadoce, confesseur de la foi chrétienne, qui après avoir connu la persécution dans son propre pays fit le saint voyage vers Jérusalem. Alors qu’il était l’hôte d’une communauté chrétienne, il fut consacré évêque de Jérusalem à la place de Narcisse. Saint Jérôme écrit de lui qu’il fit le voyage en Terre Sainte pour prier et visiter les lieux saints (De Viris Illustribus 62). Alexandre était un érudit, il était ami d’Origène et constitua à Jérusalem une bibliothèque à laquelle puisa Eusèbe pour ses mémoires de l’Histoire de l’Église. Il mourut en prison à Césarée Maritime en témoin de la foi, terminant en gloire son pèlerinage (251 ap. J. C).
Au IIIe siècle après Jésus Christ, nous rencontrons un autre pèlerin d’exception, Origène d’Alexandrie. À cause de la persécution des chrétiens en Égypte, au temps de Septime Sévère, il s’était enfui vers Césarée Maritime. Dans cette métropole politique et culturelle il ouvrit son esprit aux problèmes de l’histoire, de la géographie et de la topographie qui se trouvent dans les Écritures. Naquit alors en lui l’exigence de connaître à fond les lieux, en particulier ceux mentionnés dans les Évangiles. « M’étant rendu en ces lieux pour reconstruire l’itinéraire du Christ, de ses Disciples et des Prophètes… » (Commentaire à Jn 1,28).
Il faut également noter ses discussions érudites sur la localité du miracle du possédé de la Décapole (Jerash ou Gergèse ?, Mc 5,1 ; Mt 8,28 ; Lc 8,26) ; sur l’identification de Béthanie au-delà du Jourdain (Bethabara, Jn 1,28) ; sur l’identification de la Montagne de la Transfiguration (Mont Tabor, Mc 9,2-8), sur l’identification d’Emmaüs, le village de la manifestation post-pascale (Emmaüs Nicopolis, Lc 24, 13-35).
Les raisons pour accomplir le pèlerinage en Terre Sainte, comme on peut le noter, peuvent être multiples. Les plus proches à l’esprit du croyant sont exposées dans les œuvres des premiers pèlerins en Terre Sainte : nous y trouvons exprimée l’exigence de voir de leurs propres yeux les lieux où s’est incarnée la révélation divine, celle de l’Ancien Testament unie de manière inséparable avec celle du Nouveau. Il s’y exprime aussi le désir de prier sur les lieux sanctifiés par la présence de Jésus.
Les pèlerins du IVe et Ve siècle
Vers la fin du règne de Constantin, en 333 ap. J.-C., un pèlerin chrétien originaire de Bordeaux s’est rendu en Palestine parcourant les routes impériales le long de la Gaule, de l’Italie et des Balkans. Arrivé à Constantinople, il poursuivit en direction des provinces de l’Asie Mineur, du Liban et finalement il rejoint la Palestine. Durant tout son voyage le pèlerin prend note minutieusement de toutes les étapes et des distances dans le dénommé Itinerarium Burdigalense.
Il s’agit d’un précieux document qui nous permet de reparcourir l’itinéraire de l’Espagne jusqu’à la Palestine. Le document est hélas anonyme. Du texte on déduit que l’auteur était probablement un fonctionnaire public, qui avait la faculté de voyager sur le cursus publicus, c’est-à-dire le service postal romain qui suivait les voies de communications publiques. Les informations sur les étapes du voyage (mentiones), les changements de chevaux (mutationes), les distances (en milles romains) correspondent à celles qui se trouvent dans d’autres documents officiels connus, comme l’Itinéraire de l’Anonyme (IIIe siècle) et la Table de Peutinger (IVe et Ve siècle).
La part du travail écrit effectué qui nous intéresse principalement commence à Constantinople, et contient informations et annotations, qui deviennent toujours plus abondantes et précises, au fur et à mesure qu’il s’approche de la Palestine. Dans la première partie (Itinéraire 549-584) sont indiquées les distances en milles et peu d’informations de caractère historique, mais dans la description des étapes, le Pèlerin de Bordeaux puise à pleines mains dans la Bible et les traditions juives et chrétiennes de ce temps (Itinéraire 585-599). Dans la troisième partie, c’est-à-dire le retour dans sa patrie, le récit redevient dépourvu d’informations comme dans la première partie (Itinéraire 600-617).
Les informations de caractère biblique peuvent se diviser en deux groupes de traditions distinctes : d’un côté nous avons une série d’informations relatives au Nouveau Testament de source juive. De l’autre côté nous trouvons une série d’informations provenant de cercles chrétiens, peut-être judéo-chrétiens.
Un exemple du premier type d’informations est la description de l’esplanade du temple de Salomon, caractérisée par la présence des statues de l’empereur Hadrien, la pratique populaire juive des lamentations pour la destruction du temple : « Dans le bâtiment même, où se dressait le temple que Salomon avait construit, tu dirais que le sang de Zacharie a été répandu aujourd’hui sur le pavement de pierre devant l’autel. On voit aussi les marques des clous des chaussures des soldats qui l’assassinèrent, dans toute la cour, et si clairement qu’on les croirait imprimées dans de la cire. Il y a deux statues d’Hadrien et, non loin des statues, une pierre perforée, que les Juifs viennent oindre chaque année, se lamentant, gémissant et déchirant leurs vêtements avant de s’en aller. Il y a aussi la maison d’Ézéchias, roi de Juda. » (Itinéraire 591). Une seconde tradition juive décrit le sanctuaire de Hébron construit par Hérode le Grand sur les Tombes des patriarches : « Du térébinthe à Hébron il y a deux milles, où il y a une construction de forme carrée, faite avec des pierres de grande beauté ; là sont ensevelis Abraham, Isaac, Jacob, Sarah, Rébecca et Léa » (Itinéraire 599).
Le second groupe de traditions qui ont des origines chrétiennes, présente les premiers souvenirs évangéliques à Jérusalem et dans d’autres villes de Palestine. Nous voyons par exemple la mémoire de la Samaritaine au Puits de Sychar : « À un mille de là (Sichem) il y a un lieu appelé Sychar, d’où descendit une femme samaritaine au même endroit où Jacob avait creusé un puits pour y puiser de l’eau et où Notre Seigneur Jésus Christ parla avec elle. Là il y a aussi des arbres, des platanes, que Jacob planta et le bain où l’on se lave avec l’eau de ce puis » (Itinéraire 588).
Les informations sont d’habitude soignées que ce soit pour l’Ancien comme pour le Nouveau Testament. La première information de caractère biblique concerne Tarsus, dans la province de Cilicie, quand il écrit : « Ville de Tarsus. L’Apôtre Paul était originaire de ce lieu » (Itinéraire 579). La seconde citation biblique concerne Sarepta, une ville sur la côte de la Phénicie : « En ce lieu Élie alla chez la veuve et lui demanda à manger pour lui. » (Itinéraire 583).
Il entre ensuite dans le vif de la description à peine il rejoint les limites de la Province de Palestine, de laquelle Césarée Maritime était la capitale administrative depuis le Ier siècle ap. J.-C.
Étape à Sycaminon (Haifa, 3 milles) (Itinéraire 584). Là il y a le Mont Carmel où Élie fit le sacrifice. Change à Certha (8 milles). Frontière de la Syrie-Phénicie et de la Palestine (8 milles). De Tyr à Césarée de Palestine, c’est-à-dire de Judée (8 milles). De Tyr à Césarée de Palestine il y a 73 milles, 2 changes et 3 étapes. Là il y a le bain de Corneille le Centurion, lequel faisait beaucoup d’aumônes (Itinéraire 585).
Il décrit successivement le trajet de Césarée à Jérusalem, passant et signalant Meghiddo (Maximianopolis), Yzréel (Esdraela), Beth Shean (Scythopolis), Asher, Neapolis, Sichem, Bethel (Itinéraire 586-589).
L’Itinéraire de 589 à 596 fait la relation sur la ville de Jérusalem. L’auteur est intéressé aux divers monuments (l’esplanade du temple, les palais de David, Salomon, Caïphe, la Maison de Pilate, les tombes d’Isaïe et d’Ézéchias et aux premières traditions chrétiennes : la tour de la Tentation, le Sion chrétien, la Probatoire, la Piscine de Siloé, le Calvaire, les Basiliques de l’époque de Constantin du Saint Sépulcre et sur le Mont des Oliviers. Il est stupéfait par les tours et par les murs de défense de la ville, par la source de Siloé et par les grandes piscines qui ornent la ville pour satisfaire son besoin d’eau.
En dehors de Jérusalem le Mont des Oliviers (595), Béthanie et la Tombe de Lazare (596) ; il descend à Jéricho pour voir la source d’Élisée, la maison de Rahab, le sycomore et la maison de Zachée ; il rappelle le passage du Jourdain, le Baptême de Jésus, la Mer Morte de laquelle il souligne l’amertume des eaux (596-598). Il s’est rendu à Bethléem après avoir dépassé la Tombe de Rachel (598) ; il descendit à Betsaora pour commémorer la Fontaine de Philippe (599) et arrive à Hébron où il mentionne la basilique de Mambré voulue par Constantin et les tombes des Patriarches avec le monument hérodien (599).
Le témoignage du Pèlerin de Bordeaux est très important parce qu’il est le premier à nous informer de la transformation politique et religieuse que la Terre Sainte expérimentait. Il relève les traits païens encore présents, par exemple les deux statues d’Hadrien encore en vue sur l’esplanade du temple, mais il signale les nouveautés introduites par la politique chrétienne de Constantin. Il rappelle que sur son ordre (iussu Costantini) ont été faites les basiliques du Sépulcre, de l’Eléona et de la Nativité à Bethléem.
Parmi les aspects moins importants de l’Itinéraire, on note l’absence du Mont Tabor, qui est interprété par les chercheurs modernes comme un indice qu’en ce temps on n’avait pas encore identifié le Mont de la Transfiguration. Et enfin dans l’Itinéraire n’apparaît pas la Galilée, où le pèlerin ne s’est pas rendu.
La pèlerine Égérie 381-384
Le plus fameux des journaux de pèlerinage en Terre Sainte est l’œuvre d’une noble dame originaire de Galicie en Espagne. Le nom de l’auteur, Égérie, nous est fourni par un auteur espagnol de quelques siècles postérieurs, Valérius de Bierzo dans une œuvre intitulée : Lettres sur la bienheureuse Égérie. Il semble que Valérius possédait un manuscrit de l’Itinéraire d’Égérie qu’il présente comme une œuvre digne d’attention. Égérie voyageait pour connaître les Écritures et les lieux où elles ont été rédigées. Elle ne va pas aux lieux saints pour demander des grâces ou voir des miracles, mais pour comprendre et confirmer l’Écriture.
Malheureusement l’œuvre nous est parvenue sans le d’but ni la fin et quelques feuilles intérieures sont manquantes. Cependant quelques extraits, appartenant aussi à la partie manquante, furent rapportés par Pierre Dacre, abbé du Mont Cassin, dans son manuel pour les pèlerins du Moyen-Âge (XIIe siècle) intitulé Livre sur les Lieux Saints. Mais en 1884, on trouva dans la Bibliothèque d’Arezzo un manuscrit de l’Itinéraire d’Égérie (Codex Aretinus 405), bien qu’altéré au début et à la fin.
Ce qui reste, c’est-à-dire la Lettre de Valérius du Bierzo et les réécritures de Pierre Diacre dans le Livre sur les Lieux Saints suffisent à reconstruire la personnalité, la méthode, et la finalité de l’auteur de l’Itinéraire. Le texte se présente sous la forme de lettres que la rédactrice adresse à ses vénérables dames ses sœurs (Itinéraire 3,8 ; 23,10 ; 46,1). Ceci et d’autres indications données par Égérie elle-même laisssent à penser à certains chercheurs qu’il pourrait s’agir d’une moniale.
La date du pèlerinage d’Égérie se situerait entre 381 et 384 ap. J.-C., trois ans intenses passés à étudier, voir et se documenter. Le tableau historique du voyage d’Égérie s’inscrit certainement dans la seconde moitié du IVe siècle ap. J.-C. Le voyage est marqué par quelques dates certaines (la mort d’Eulogio l’Évêque d’Edesse en 387 ; la figure de Protogène, évêque de Carrhes et d’Abraham, évêque de Bathna, cf. Itinéraire 19, 1.5 ; 20,2), et par certains événements qui concernent le Mont des Oliviers et le Sion chrétien à Jérusalem. Égérie n’a pas vu par exemple la construction circulaire voulue par Pomenia sur le lieu de l’Ascension dit Imbomon (Itinéraire 25,11 ect.). Par contre, elle a vu l’église sur le lieu du Cénacle au Mont Sion (Itinéraire 39,5).
Le livre se compose surtout de deux grandes sections : dans la première sont narrés les quatre voyages (chap. 1-23). Dans la seconde section Egérie décrit la liturgie suivie par l’Eglise de Jérusalem (chap. 23-24). Elle donne encore plus de détails sur son voyage vers le Mont Sinaï et l’Égypte (chap. 1-9) ; la montée au Mont Nébo qui est le lieu de la mort de Moïse (chap. 10-12) ; la visite à Carnéas en Édom, qui était tenu pour être la patrie de Job, en passant par la vallée du Jourdain (chap. 13-16) ; le voyage en Mésopotamie (chap. 17-23). Dans la dernière partie (chap. 24-29) elle s’entretient sur les fonctions liturgiques célébrées à Jérusalem au cours de la Semaine Sainte et durant l’année liturgique, à partir de l’Épiphanie jusqu’à la fête de la Dédicace de la basilique constantinienne le 14 septembre.
Elle écrit dans l’Itinéraire (dit aussi Peregrinatio) afin que les dames, ses amies restées à la maison, puissent profiter et refaire avec elle l’expérience du voyage. Le genre littéraire est celui d’une lettre, une simulation littéraire qui se trouve exposée en certains points stratégiques de sa relation : « Je désire que vous sachiez, mes vénérables dames, mes sœurs (Itinéraire 3,8 ; 46,1) ; Mes dames, ma lumière, j’expédie à Votre Charité mon écrit (Itinéraire 23,10).
Le voyage est très long et couvre tous les pays bibliques, de l’Égypte aux frontières orientales de l’empire romain. Elle arriva jusqu’à Carra, l’antique Harran de la Mésopotamie, la patrie d’Abraham. Et à l’évêque Protogène elle demande : « Où est Ur des Chaldéens ?» (Itinéraire 20,12). Elle ne peut pas visiter Ur parce qu’elle est en dehors des frontières de l’empire romain, sous domination perse. Il lui suffit alors de savoir par l’évêque de Harran que le lieu se trouve à dix journées de marches, après la frontière.
On peut relever à l’intérieur de l’Itinéraire d’Égérie deux grands points d’intérêts : un pour l’Ancien Testament dans les voyages et un pour le Nouveau Testament dans la liturgie de Jérusalem. Égérie porte avec elle une bible (Itinéraire 10,7) et dans chaque lieu saint, elle lit les discours ou les qui y sont rattachés. Elle se livre à une vérification de la narration biblique, et elle se réjouit chaque fois qu’elle trouve la confirmation de l’Écriture. Égérie est très curieuse de savoir et de voir, comme elle l’écrit elle-même (Itinéraire 16,3). Le lien étroit qu’elle fait entre les textes bibliques et le but de son voyage est surprenant. Elle veut que lui soient expliqués les lieux saints de préférence par des moines, parce qu’elle les tient pour des saints et parfaits connaisseurs des Saintes Écritures. Mais pour les vérités de foi, elle fait référence aux évêques, parce qu’ils sont des ex-moines eux aussi, et naturellement bien préparés au sujet des Écritures. Les moines, que ce soit ceux de l’Égypte, du Mont Nébo ou de la Cappadoce, incarnent pour Égérie un idéal de vie réduit à l’essentiel : prière, étude de l’Écriture, vie communautaire, loin du bien-être de la vie civile. Un second trait caractéristique du pèlerinage d’Égérie est la prière. La prière accompagne la lecture biblique, avant et après les visites et les explications. D’habitude elle prie les psaumes en relation avec le fait commémoré (Itinéraire 14,1). Égérie voyageait orationis gratia, et elle s’unit continuellement à la prière des moines et des ascètes qui gardent les lieux saints.
Saint Jérôme, et ses disciples Paula et Eustochium
En l’an 385 saint Jérôme en compagnie de la matrone romaine et de sa fille Eustochium a accompli un pèlerinage de la Galilée jusqu’à Jérusalem. Jérôme a été un pèlerin sui generis, pour ses disciples il a été un vrai animateur spirituel de pèlerinage. Après avoir laissé Rome, Jérôme avait un but, arriver à Bethléem. Mais avant de se renfermer dans la cellule à côté de la Grotte de la Nativité, il a visité toute la Terre Sainte, en compagnie aussi de rabbins qui l’instruisaient sur les identifications des sites et sur les traditions bibliques. Dans ses Commentaires aux textes sacrés, et dans ses Lettres, il laisse apparaître plus d’une fois les mémoires des sites visités, et les connaissances acquises.
En outre, il a traduit l’Onomastique d’Eusèbe de Césarée en latin, ce qui lui avait donné une bonne connaissance de la géographie biblique. Avec cette traduction, il donnait au monde chrétien l’opportunité de connaître les noms de la Bible dans une langue plus accessible. Eusèbe avait composé son traité vers la fin du IIe siècle. Jérôme le traduit au début du Ve, et comme cela il peut relever en même temps la christianisation des lieux bibliques. Dans l’intervalle passé entre les deux travaux sur les sites bibliques, avaient été construits églises et sanctuaires chrétiens en divers lieux saints : à Béthel (L’échelle de Jacob), Béthanie (Tombe de Lazare), à Gethsémani (Agonie), à Sébaste (Tombe de Saint Jean Baptiste), au Puits de Jacob à Sychar (la Femme Samaritaine), à Hébron (le Chêne de Mambré). On peut dire que Jérôme témoigne de la christianisation des Lieux Saints et il l’ajoute à l’aspect biblique des sites déjà documenté de son temps par Eusèbe.
Mais aussi dans les Commentaires aux textes sacrés il insère des informations et des documentations fruit de la visite personnelle aux terres bibliques jusqu’à nous surprendre avec des paroles très actuelles dans l’introduction au Commentaire aux Livres des Chroniques : « Qui a vu la Judée avec ses yeux, et qui connaît les sites des antiques cités, que leurs noms soient les mêmes ou bien changés, regardera mieux aux Saintes Écritures. » (PL 29,401).
En outre dans plusieurs lettres écrites à ses disciples, hommes et femmes, il expose les avantages du pèlerinage. Dans la Lettre à Marcelle, il écrit : « C’est un devoir de la foi de célébrer sur le lieu où a été le pied du Seigneur, et fixer le regard sur les traces de la Nativité, de la Croix et de la passion comme si elles se renouvelaient.» (Épître 47,2.2). Dans la Lettre adressée à Paule il propose de faire un pèlerinage pour voir plus clairement les faits bibliques, et revivre les événements du Sauveur en chaque lieu où ils sont advenus. Par exemple il suggère à Paule de regarder la Croix et de la regarder comme si le Seigneur y était pendu (Épître 108,9.2). Cette Lettre fut écrite en occasion de la mort de Paule, comme panégyrique d’une pèlerine qui avait visité avec foi et dévotion toute la Terre Sainte. En elle Jérôme reparcourait idéalement tous les pèlerinages faits par la sainte, de la Galilée jusqu’à l’Égypte, de Jéricho jusqu’à Gaza.
—
Bibliographie consultée
P. Maraval, Lieux Saints et Pèlerinages d’Orient. Histoire et géographie des origines à la conquête arabe, (Cerf), Paris 1985.
P. Maraval, Récits des premiers pèlerins chrétiens au Proche-Orient, (IVe-VIIe siècle). Textes choisis, présentés, traduits et annotés par Pierre Maraval, (Cerf) Paris 1996.
J. Wilkinson, Jerusalem Pilgrims Before the Crusades, Warminster 2002.