Milan Kunderra ne m’en voudra pas de reprendre le titre de son roman. Je suis loin de Jérusalem pour raisons familiales.
Milan Kunderra ne m’en voudra pas de reprendre le titre de son roman. Je suis loin de Jérusalem pour raisons familiales. Ma mère me fait tous les petits plats que j’aime et qui me manquent. L’inculturation a des limites culinaires insoupçonnables ! Il faut avoir ressenti le picotement que vous procure au bout des doigts une irrépressible – et pourtant réprimée – envie de saucisson sec pour mesurer cela. Pour l’heure, ce n’est pas la douceur de vivre en famille qui me déplaît mais je me languis de Jérusalem. Ses bruits, ses odeurs, ses langues qui s’enchevêtrent dans cette tour de Babel de cultures et de religions. On me félicite parfois d’avoir le courage de vivre dans un pays aussi compliqué, occasionnellement dangereux, en tous les cas, instable. Mais je n’ai rien de courageux. Comme si c’était courageux de respirer ! Jérusalem c’est mon oxygène, « c’est mon Noël, c’est mon Amérique à moi, même qu’elle est trop bien pour moi » comme dit la chanson de Brel…
Quelques heures encore et mes parents vont me laisser m’envoler une nouvelle fois. Loin de leur sollicitude, loin d’eux qui vieillissent et qui auraient légitimement souhaité me voir prendre soin d’eux plus longtemps. Mais ils le savent, malgré tout l’amour entre nous, ma joie est là-bas.
La France, mon pays que j’aime, à qui je dois tant, m’insupporte. Enfin non, pas elle, pas ses habitants mais cette insoutenable légèreté de l’être. La vie y est trop facile. Je ne nie pas qu’il y ait des personnes en grande détresse pour mille raisons. Et la lutte pour la dignité en France n’a pas moins de prix que celle qui se vit en Terre Sainte. Mais voilà, je suis amoureuse de ce pays, amoureuse de ses pierres, de ses couleurs, de ses habitants, de ses combats, de ses douleurs.
Je ne me connais pas de tendance masochiste mais loin des douleurs de Jérusalem je m’étiole. Je ne me délecte pas non plus de la souffrance qui m’entoure, d’où qu’elle vienne. Mais plus qu’ailleurs sur terre, plus qu’en France du moins, cette douleur m’appelle à me lever, m’appelle à changer. Je sens confusément qu’elle me sauve. Il me revient à l’esprit que sur la mosaïque qui orne la chapelle latine du Calvaire, on trouve en lettres dorées la phrase tirée du livre d’Isaïe : « C’est par ses souffrances que nous sommes guéris. » (Is 53). Ça doit être ça. Dans leurs souffrances, la Terre Sainte et Jérusalem creusent le sillon de la Jérusalem nouvelle, une Jérusalem enfin ouverte dont le Seigneur sera enfin la Gloire selon l’annonce du prophète Zacharie (Za 2, 8-90). J’attends ça. Sur place.
Dernière mise à jour: 30/12/2023 01:25