Peut-on encore soutenir que la tombe vénérée à Jérusalem soit la tombe où a été déposé le Seigneur après sa mort sur la croix ? Et comment est-il possible de reconstruire l’histoire de cet édifice qui a subi au cours des siècles de nombreuses interventions structurelles ?
Les réponses à ces questions sont à la fois simples et compliquées. Elles sont simples dans le sillon de la foi parce qu’aucun chrétien n’a jamais mis en doute que le lieu de la mort de Jésus et la tombe où il fut déposé sont conservés au sein d’un complexe croisé de Jérusalem. Elles sont compliquées lorsque nous voulons parvenir à la correspondance parfaite entre les données des Évangiles et les restes monumentaux que nous avons à disposition. Tout simplement parce que la forme primitive du Sépulcre a été gommée par les constructions sacrées dont la réalisation a débuté dès le IIe siècle après Jésus Christ et qui se sont poursuivies au IVe, XIIe et XIXe siècle.
Saint Cyrille de Jérusalem, qui, au temps des constructions constantiniennes, avait environ 10 ans, se souvient de l’intervention sur la tombe originaire et dit que la tombe d’autrefois n’existe plus, parce que le vestibule et l’abri rocheux ont été enlevés pour faire place à la construction de l’Anastasis, (cf. Catéchèses 14). À première vue, cette affirmation pourrait sembler décourageante mais elle ne l’est plus après que nous aurons parcouru l’histoire du monument-mémorial.
Les interventions qui ont modifié l’aspect originaire de la tombe de Jésus sont ceux d’Hélios Hadrien (135 après Jésus Christ) qui avait fait construire le temple de Vénus sur le lieu du Calvaire et fait cacher la tombe par un terre-plein. C’est du moins ce qu’affirment Eusèbe de Césarée et saint Jérôme. Ensuite, est survenue l’intervention radicale voulue par sainte Hélène, mère de Constantin (325-326 après Jésus Christ) qui a voulu édifier « la Croix » sur le Calvaire et l’Anastasis sur la tombe. Enfin, on notera l’intervention des Croisés (1141-1149) qui ont reconstruit la basilique et l’édicule sur la tombe vénérée.
Les premiers témoignages
Les Évangiles nous offrent un certain nombre de témoignages fondamentaux et crédibles. Après la déposition de la croix, le corps de Jésus fut enveloppé dans un linceul et déposé dans une tombe taillée dans le roc (Mc 15,46; Lc 23,53). Le texte le plus proche du Suaire de Turin est celui de Lc 23,53 qui mentionne justement un suaire à la différence de Mc 16,46 et de Mt 27,59 qui parlent d’un linceul, de Jn 19,40 qui évoque des bandelettes et de Jn 20,5-7 qui parle de bandelettes et d’un suaire.
Cette tombe, selon le témoignage concordant des quatre Évangélistes, avait été préparée par Joseph d’Arimathie, membre du Sanhédrin et personne en vue, attendu qu’il avait obtenu de l’autorité romaine en la personne du Procurateur Ponce Pilate (Mc 15,42-43; Mt 27,58; Lc 23,50-52; Jn 19,38) la permission de donner une sépulture à Jésus. Avec Nicodème, qui avait apporté un mélange de myrrhe et d’aloès, Joseph d’Arimathie a donné une pieuse sépulture au corps du Seigneur selon le mode de sépulture en usage chez les Juifs (Jn 19, 40).
Comment étaient les tombes en Palestine au temps du Nouveau Testament ? Et comment s’effectuait la préparation en vue de la sépulture des défunts ? Après des décennies de découvertes archéologiques, nous savons bien désormais comment étaient préparés les sépulcres familiaux et comment était préparé le corps du défunt. Les usages des juifs prévoyaient le soin des défunts sous différentes formes : l’onction avec des huiles aromatiques, l’enveloppement du cadavre dans des bandes ou dans un linceul ; dans de rares cas, on mentionne l’insertion d’une pièce de menue monnaie dans la bouche ou sur l’œil du défunt ; l’accompagnement avec des objets d’usage domestique dont des lampes à huile, des jarres, des bols, la déposition rare de bijoux.
Les coutumes juives prévoyaient la préparation de tombes à usage familial, normalement obtenues à partir de grottes situées hors du périmètre urbain et adaptées pour le culte des défunts. Les familles les plus pauvres se contentaient de la sépulture au sol. L’enterrement était fait normalement dans des caisses de bois de cyprès, d’olivier ou de sycomore. Ces tombes pouvaient être signalées par une simple stèle de pierre. Un exemple de ce type est donné par les cimetières de Qumram, de Jéricho et par le cimetière de Mamilla à Jérusalem.
Mais les détails sur lesquels concordent les Évangélistes nous portent à considérer une autre typologie pour la sépulture de Jésus. Il s’agit de tombes très élaborées qui constellent tout le périmètre urbain de la ville de Jérusalem. Elles s’observent, par exemple, sur les pentes du Mont des Oliviers, mais on peut y rattacher également les monuments hellénistiques d’Absalon et de Zacharie, les nécropoles de la Géhenne, les tombes de Talpiot (cf. la tombe de Caïphe), la tombe de Jason, le cimetière de Mamilla, les tombes du Mont Scopus, de Givat Hamivtar (cf. l’ossuaire de Yohanan le crucifié) et le cimetière du Sanhédrin.
Mais également sur des sites éloignés de Jérusalem, ont été retrouvées de nombreuses sépultures similaires à celles auxquelles renvoient les descriptions des Évangélistes. Il suffit de se rappeler les tombes de Maresha en usage à partir du IIIe siècle avant Jésus Christ et jusqu’au Ier siècle après Jésus Christ ; la nécropole de Bet Guvrin en usage du IIe au VIe siècle après Jésus Christ ; celle de Jéricho en usage du IIe siècle avant Jésus Christ au Ier siècle après Jésus Christ et celle de Beth Shearim, qui présente 27 grottes utilisées du IIe au IVe siècle après Jésus Christ.
Ces tombes présentent une typologie presque unitaire. En général, était creusée dans le roc une chambre sépulcrale dotée d’une entrée et d’un vestibule. Les plus élaborées avaient à l’extérieur une cour d’accès, un miqveh (ou bain rituel) et une façade décorée avec des colonnes (cf. le sépulcre d’Hélène d’Adiabene, la tombe de Nicanore, certaines tombes du Sanhédrin, la tombe de Berne Hazir dans la vallée du Cédron, la tombe de Jason ; les tombes de Beth Shearim et d’autres exemples encore).
Sur la base des détails des Évangiles, on déduit que l’entrée à la grotte sépulcrale était fermée par une pierre (cf. Mc 16,3-4; Mt 27,60 et 28,2; Jn 20,2). La pierre pouvait avoir la forme d’une meule de moulin qui roulait dans un canal ad hoc. Pour le modèle des pierres roulantes, on peut rappeler l’entrée secondaire à la tombe des Musiciens à Maresha, la tombe de Bethphagé, la tombe des hérodiens devant la Porte de Jaffa, les tombes n° 2 et 3 de l’Aceldama, la tombe d’Hélène d’Abiabene. Pour le modèle de porte tournante, qui dans ce cas était sculptée dans la façade, voir les tombes de l’Aceldama, de Beth Shearim, certaines tombes du Sanhédrin et celle des Nazirites sur le Mont Scopus.
A l’intérieur, se trouve un vestibule qui, dans certains cas, est doté de bancs permettant d’accueillir les personnes qui célèbrent les funérailles ou qui accomplissent les rites du deuil lors des anniversaires. Le plus élaboré de ces vestibules est le complexe de la tombe de Goliath au cimetière de Jéricho.
De l’intérieur des tombes
Du vestibule partent les chambres sépulcrales avec les niches mortuaires pour les sépultures. Les plus nombreuses sont les kochim ou fours dans lesquels étaient déposés les sarcophages, les cercueils ou les dépouilles mortelles. La niche mortuaire en forme de four est un trou creusé dans le sens perpendiculaire au sens de la chambre sépulcrale. C’est là qu’est déposé le défunt pour la première sépulture. Après la déposition du cadavre, la niche mortuaire était scellée.
Une deuxième forme est celle dite à arcosolium en ce qu’elle présente le plan de sépulture, dotée en général d’un puits à peine ébauché prêt pour la déposition du corps et, au-dessus, un arc creusé dans la paroi rocheuse. L’arcosolium est une forme de niche mortuaire considérée comme plus onéreuse que les autres en ce qu’elle pouvait offrir seulement trois arcosoliums par chambre sépulcrale alors que les sépultures en forme de fours pouvaient voir leur nombre augmenter dans les parois jusqu’à épuisement de l’espace.
Sur la base de certaines données évangéliques, on retient justement que la sépulture de Jésus fut effectuée dans une niche mortuaire à arcosolium. Joseph d’Arimathie était aisé et possédait un jardin avec une grotte creusée pour sa sépulture. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait préparé pour lui-même une sépulture élaborée. Le texte de Mc 16,5 que la critique exégétique estime être le plus ancien des traditions évangéliques, nous parle d’un ange assis sur la droite. Dans le texte de Jn 20, 12, on parle de la présence de deux anges, l’un aux pieds et l’autre à la tête du lieu où avait été déposé le corps du Seigneur. De ces détails, on déduit que la forme de la tombe de Jésus était à arcosolium et qu’il avait été placé sur la droite par rapport à l’entrée à partir du vestibule.
Les premières formes de vénération
Le lieu de la sépulture de Jésus devint immédiatement un lieu de pèlerinage et de visites dévotes (cf. les narrations du matin de Pâques (Mt 28,1-15 ; Mc 16,1-8 ; Lc 24,1-12 ; Jn 20,1-29).
Au cours de la période qui va de 30 après Jésus Christ, année présumée de la mort de Jésus, jusqu’à la construction des édifices païens d’Hélios Hadrien, nous ne disposons pas de témoignages précis. La communauté chrétienne de Jérusalem, demeurée dans la ville jusqu’au siège des légions romaines en 70 après Jésus Christ, était probablement la gardienne de la mémoire sacrée.
La ville fut complètement détruite par les soldats romains de Titus Flavius en 70 après Jésus Christ puis détruite et reconstruite par Hadrien au terme de la guerre contre Bar Kochba, en 135 après Jésus Christ. Les traditions relatives à cette période ont été élaborées surtout dans la littérature apocryphe, un domaine de recherche et d’évaluations historiques qui ne doit pas être sous-estimé.
Une source très importante du IIe siècle après Jésus Christ est la poésie de Méliton de Sarde, Homélie sur Pâques, qui nous informe sur la position du lieu où Jésus est mort. Au temps de la visite qu’il a fait à Jérusalem en 160 après Jésus Christ, Méliton indiquait que Jésus est mort au centre de la ville, disant ainsi la vérité : en effet, avec la construction de l’Aelia Capitolina, l’empereur Hadrien avait déplacé plus au nord le barycentre de la ville de Jérusalem. Par conséquent, la zone de la crucifixion et de la sépulture qui, au moment de la mort de Jésus, se trouvaient hors de la ville, vinrent marquer le centre de la nouvelle ville romaine. L’aspect le plus important du témoignage de Méliton repose dans le fait qu’en son temps, le lieu de la mort de Jésus était connu et vénéré par les chrétiens.
Un deuxième témoignage remontant à la fin du IIe siècle après Jésus Christ provient d’Eusèbe de Césarée qui parle de la position du Golgotha avant l’intervention de Constantin. Dans l’Onomastique des lieux bibliques, il parle expressément du Golgotha. Le Golgotha se montre en Aelia, au nord du Mont Sion (c’est-à-dire du Cénacle). La double affirmation, de Méliton et d’Eusèbe à propos du Golgotha, est d’une importance extrême parce que la tombe de Jésus est indiquée par les premières sources comme étant proche du lieu de la crucifixion.
Les autres informations utiles à notre discussion proviennent de ceux qui ont vu les changements introduits dans le lieu sacré au moment de la construction de la première basilique chrétienne. Le témoignage d’Eusèbe de Césarée sur les travaux exécutés pour la construction de la basilique du Saint Sépulcre (325-326 après Jésus Christ) est crédible après les études et les recherches archéologiques relatives au site du Sépulcre. L’ordre impérial de Constantin Ier était d’abattre le temple païen et de construire à sa place une église chrétienne en souvenir de la Croix et de la Tombe.
Eusèbe, dans la Vie de Constantin, et Cyrille de Jérusalem, dans ses Catéchèses, disent en chœur qu’une fois enlevées les structures païennes, apparut de manière surprenante la grotte sépulcrale (un antre), de manière presque inattendue. La grotte avait sur le devant une cour creusée dans la façade de la roche qui fut démolie immédiatement pour faire place à l’Anastasis. La pierre de fermeture était encore à sa place alors qu’autour de la tombe se trouvaient encore les traces du jardin primitif. A l’intérieur de la grotte se trouvait un lit de roche sur lequel avait été placé le corps du Seigneur.
La tombe fut isolée par le déblaiement de beaucoup de pierre et fut recouverte de marbres. On suppose, vu qu’en dehors du périmètre de l’Anastasis, en direction de l’ouest, ont été trouvées des traces d’autres niches mortuaires (cf. la tombe dite de Joseph d’Arimathie) que la grotte était multiple et que la tombe sainte fut isolée des autres.
Les édifices construits sur le lieu de la tombe de Jésus
Au-dessus de la tombe, fut construite un édicule avec le portique à quatre colonnes et la petite chambre plus interne fut destinée à la vénération des fidèles. Tel est donc le premier monument que, comble de l’ensemble de l’œuvre, la magnificence de l’empereur embellit d’excellentes colonnes et de très nombreux ornements, rendant ainsi resplendissant au moyen d’ornements de tout genre, la grotte vénérée (Eusèbe, Vie 34).
De cet édicule, on a quelques descriptions de la part de pèlerins et la reproduction iconographique dans les mosaïques, sur un certain nombre d’ampoules (euloghie), plats et médaillons. L’édicule constantinienne peut se reconstruire de cette manière : devant, elle comportait un portique à quatre colonnes, le fronton et le toit en pente. Derrière, se trouvait la chambre funéraire libérée de la roche à l’extérieur, réduite à une forme circulaire ou polygonale.
Dans le journal de l’Anonyme de Bordeaux, nous lisons : « A partir de là, presque à un jet de pierre, se trouve la grotte où fut déposé son corps et d’où il ressuscita le troisième jour. Là, maintenant, par ordre de l’empereur Constantin, est construite une basilique c’est-à-dire l’Église du Seigneur qui est d’une beauté merveilleuse. »
L’Anastasis constantinienne fut brûlée au temps de l’invasion des Parthes (614 après Jésus Christ), mais il ne semble pas qu’en cette occasion l’édicule sur la tombe ait été violé. Cependant, l’édicule et la roche de la tombe furent brutalement endommagés avec des massues de fer par le Calife fatimide al-Hakim en 1009 après Jésus Christ, lequel a également utilisé le feu pour fendre la roche mais le récit des témoins oculaires rapporte que celle-ci résistait comme un diamant.
L’édicule constantinien fut ensuite modifié à l’occasion de la reconstruction réalisée au XIIe siècle par les Croisés. L’artiste qui eut la charge de remodeler l’édicule du Saint Sépulcre était le bolognais Renghiera Renghieri. L’édicule croisé du Saint Sépulcre occupe encore le centre de la rotonde. L’abbé Daniel (1106-1107), un pèlerin russe qui fut parmi les premiers à voir la construction des croisés, parle encore d’une petite grotte taillée dans la roche qui avait une porte très basse : pour entrer, il fallait s’agenouiller. Sur la droite, se trouvait le banc de la sépulture caché par les marbres avec trois trous qui permettaient aux fidèles de toucher la roche avec les mains.
La tombe vénérée aujourd’hui se trouve au centre de la rotonde ou Anastasis. La rotonde est un élément constantinien. Elle avait 12 colonnes peut-être provenant du capitolium précédent, disposées par groupes de trois intercalées par des pilastres.
L’espace circulaire de l’Anastasis, délimité par les trois absides encore visibles, a un rayon de 10,5 mètres. Pour obtenir cette espace énorme, la montagne du Ghareb fut déblayée et, à cette occasion, un certain nombre de cellas funéraires unies à celle que l’on voulait isoler furent démolies.
Le banc de pierre sur lequel fut déposé le corps de Jésus fut en partie détruit au cours de la destruction de al-Hakim (1009) qui atteint justement le banc rocheux.
- Corbo écrit : « Il resta la roche au niveau du sol de la tombe et une grande partie du banc funéraire en dessous de l’arcosolium avec piédroits rocheux à l’est et au nord comme cela nous a été donné de savoir des travaux de restauration de 1555 (Boniface de Raguse) et après l’incendie de 1808. »
L’édicule actuel, refait en 1810, mesure 8,30 mètres de long pour 5,90 mètres de large et de hauteur. Le vestibule, appelé la Chapelle de l’Ange, mesure 3,40 mètres sur 3,90 alors que la chambre mortuaire mesure 1,93 mètres sur 2,07. Ceux qui entrent aujourd’hui dans l’édicule du Saint Sépulcre, trouvent « sur la droite » de la chambre mortuaire une plaque de marbre blanc longue de 2,02 mètres et large de 0,93 mètre qui recouvre le banc de roche sur lequel a été déposé le Seigneur.
Ceci laisse supposer que, dans la reconstruction de l’édicule, ait été suivie l’indication de Mc 16,5: « Elles virent un jeune homme assis à droite, vêtu d’une robe blanche. L’interprétation qui est proposée est donc celle-ci : l’ange se trouvait sur le lieu de la sépulture désormais vide. »
Suaire et linceul
La Terre Sainte a publié un éclairant article d’Ariel Alvarez Valdés intitulé Que découvrirent Pierre et Jean dans le Sépulcre (mars avril 2007, p. 66 sq) permettant de faire la distinction entre linceul et suaire.
Dernière mise à jour: 20/11/2023 10:50