Des pèlerins découvrent que les juifs sont leurs frères aînés
Un pèlerin français a été très étonné d’entendre dire d’un chrétien africain noir : « Le christianisme nous a été apporté en Afrique par vos pays colonisateurs, mais ce n’est pas une religion occidentale. C’est une religion proche-orientale ». Catholique parisien, il se sentait l’héritier d’un christianisme modelé intellectuellement par la pensée grecque et structuré sociologiquement selon le génie romain. Il comprit pour la première fois que sa religion était née en Palestine, au Proche Orient, issue du judaïsme, religion moyen orientale forgée d’Ur en Chaldée jusqu’à l’Égypte.
À Beersheva, près du puits de Tel-Sheva, où Abraham a conduit ses troupeaux et a rencontré Dieu, bon nombre de pèlerins, en lisant ensemble les chapitres 21 et 22, 26 et 27 de la Genèse, découvrent que leur foi en Dieu est un partage de la foi d’Abraham. « Jusqu’ici Abraham n’était pour moi qu’un personnage lointain ; après cette journée il est devenu pour moi comme un grand père », disait au groupe une jeune pèlerine.
À Avdat, dans cet espace désertique de Cadès où Moïse a vécu une quarantaine d’années, au mont Carmel où les pèlerins sont toujours saisis par la personnalité religieuse vigoureuse du prophète Élie, à Jérusalem, Ein Guedi et dans les autres lieux où David a vécu son histoire, beaucoup de pèlerins découvrent que les expériences religieuses de ces ‘Justes’ de l’Ancienne Alliance sont une Source de leur sens de Dieu et de leur expérience chrétienne.
A la source du christianisme
Le Repas Pascal juif est l’anticipation de notre Repas Eucharistique ; car l’Eucharistie de l’Église est liée au Repas que Jésus prit avec ses apôtres la veille de sa mort, qui était le Repas Pascal juif.
Non seulement la Pâque juive anticipait la Pâque chrétienne, mais les fêtes juives de la Pentecôte et de Hanukah sont les précédents de nos fêtes chrétiennes de la Pentecôte et de Noël.
La ‘Liturgie de la Parole’, première partie de nos messes, « a pris la suite de l’Office Synagogal » (Jungman), fait de lectures, de psaumes et d’un enseignement. D’ailleurs l’essentiel de l’Office Divin de l’Église, de la ‘Liturgie des Heures’, est constitué par le psautier, chef d’œuvre religieux, poétique du judaïsme.
La forme principale de la prière juive était la ‘Beraka’, l’action de grâce, dont le chant du Hallel (psaumes 113-118) était un sommet. La prière chrétienne se coule dans cette pratique. Le Renouveau Liturgique du XXe siècle a mis en grand relief l’action de grâce pour l’Histoire du Salut et pour les ‘Signes des Temps’.
Le sens religieux de l’Histoire est typique du judaïsme : « Je me sens partie prenante d’une longue chaîne. J’appartiens à quelque chose qui est plus grand qu’un pays, qu’une terre et que le temps actuel, à une Histoire plus grande que la vie » (David Grossman). Le sens chrétien de l’Histoire du Salut n’est que le prolongement et la plénitude, en fonction du Christ, de ce sens juif de l’histoire.
Le Seigneur Jésus a dit : « Je ne suis pas venu abolir la Loi mais l’accomplir » (Mt 5,17). Le christianisme reprend beaucoup des éléments de la religion juive, en leur donnant une plénitude, une valeur plus complète, un accomplissement. Saint Jean écrit : « Ce n’est pas un commandement nouveau que je vous donne ; c’est un commandement ancien que vous avez entendu. Et néanmoins c’est un commandement nouveau » (1 Jn 2,7-8). L’univers religieux juif est le contexte où baigne la religion chrétienne, même si elle apporte un ‘Plus’, le Christ et son Mystère.
Les pèlerins découvrent qu’ils sont des frères cadets, puînés, des juifs
Au temps de saint Paul, et durant quelques siècles, l’Église était composée de deux communautés : la communauté ‘judéo-chrétienne’ des chrétiens issus du judaïsme et la communauté des chrétiens issus du paganisme.
Actuellement en Palestine, depuis une cinquantaine d’années, le Patriarcat catholique latin est composé de deux communautés : la ‘communauté catholique d’expression hébraïque’ qui groupe quelques centaines de membres d’origine juive et la nombreuse communauté de près de 200 000 arabes catholiques auxquels sont joints quelques milliers de catholiques de diverses nations (Philippins, Indiens, etc.) travaillant en Israël. La communauté d’expression hébraïque a eu pour la première fois un évêque particulier, Monseigneur Jean-Baptiste Gourion, vers l’an 2000, qui était non pas évêque titulaire, mais évêque auxiliaire du Patriarche latin. Elle a, depuis quelques années, un centre à Jérusalem, qui est le couvent franciscain des saints Siméon et Anne.
Ce ne sont pas seulement les judéo-chrétiens‘ des premiers siècles ni les catholiques de l’actuelle ‘communauté d’expression hébraïque’ qui se rattachent à la religion juive. Le Pape Pie XI, condamnant l’antisémitisme que prônait Hitler vers 1930, n’hésitait pas à affirmer : « Nous sommes tous des Sémites spirituels ».
Cette conviction que nous tous chrétiens sommes les frères cadets des frères aînés que sont les juifs est l’une des découvertes des pèlerins de Terre Sainte. Le Pape Jean-Paul II aimait les désigner comme ‘nos frères aînés’. Pour beaucoup de chrétiens du XXe siècle ce fut une redécouverte par les moyens des Renouveaux Bibliques et théologiques d’avant et après le Concile Vatican II des années 1962-1965.
Les chrétiens arabes de Jérusalem ne l’avaient pas encore compris ni admis quand je suis arrivé en Terre Sainte en 1975. Je me souviens d’un fait suggestif. En 1976 appelé à prononcer l’homélie pour une messe des anciens élèves d’un collège de Jérusalem, j’y avais parlé d’Abraham parce que la première Lecture le citait. Le lendemain un catholique arabe très cultivé, qui m’avait écouté, me rencontrant, m’a dit : « On voit que vous êtes nouveau dans ce pays et que vous ne connaissez pas encore notre sensibilité. Nous savons qu’Abraham a existé ; mais cela ne nous fait pas plaisir d’entendre parler d’un juif. Vous prendrez l’habitude d’éviter d’en parler. »
Quelques jours après l’évêque auxiliaire de Galilée m’a dit : « Dans la catéchèse de ce pays on dit que les apôtres étaient syriens. Dire que Pierre et Jean étaient juifs les rendrait antipathiques pour notre population victime des colonisateurs juifs. Il n’est d’ailleurs pas faux de les dire syriens ; car au temps de l’Empire romain la Palestine relevait administrativement de la Syrie »..
Le jour suivant j’ai appris que dans les textes liturgiques le mot ‘Israël’ était remplacé par ‘Jacob’. Le Patriarche arabe Michel Sabbah, nommé en 1987, a eu le mérite et le courage d’écrire une lettre pastorale spéciale pour revaloriser l’Ancien Testament chez ses diocésains limités au Nouveau Testament.
Lors du récent Synode diocésain les représentants de la communauté arabe ont écouté avec intérêt et sympathie les interventions des représentants de la communauté d’expression hébraïque. Une page a été tournée. Les pèlerins en profitent avec joie.
Dernière mise à jour: 21/11/2023 10:40