Le père Frédéric Manns qui se rendra à Rome pour l’Assemblée spéciale du Synode des évêques pour le Moyen Orient fait un plaidoyer pour l’unité des Églises catholiques entre elles
Depuis le geste de Paul VI embrassant Athénagoras, une série impressionnante de signes prophétiques a été posée. L’heure est venue d’aller plus loin. L’heure est venue avec le synode d’oser l’audace, afin qu’advienne l’Église indivise des temps modernes et que la bonne nouvelle puisse être annoncée à tous. Si cette occasion est manquée le monde n’attendra plus rien des Églises. Trop souvent ceux qui s’occupent d’œcuménisme ne font que de regarder en arrière au lieu d’affronter le futur.
Il est vrai que l’inculturation du message chrétien se fit rapidement dans le monde sémite et dans le monde grec. Ces deux cultures vécurent en symbiose, sans confusion, dans la civilisation hellénistique à Alexandrie et à Antioche. À partir du quatrième siècle le monde sémitique antiochien devint majeur dans son christianisme et se distancia peu à peu du monde grec. Deux ruptures vont sanctionner cette partition au Ve siècle : à partir du concile d’Éphèse, l’Église syriaque orientale (nestorienne) et à partir du concile de Chalcédoine l’Église syriaque occidentale (jacobite) se disjoignent de l’Église grecque chalcédonienne (melkite). Restait un membre de jointure qui émergea comme communauté autonome à la fin du septième siècle : c’est l’Église syriaque occidentale surnommée maronite.
Église est à l’image de la Trinité
Cette vision historique permet de reconsidérer certaines priorités. L’unité des Eglises minoritaires dans un monde à dominantes musulmanes sera plurielle ou elle ne sera pas. L’Église est à l’image de la Trinité, à la fois une et plurielle, cimentée par le même amour. Or l’amour prend patience, rend service, ne jalouse pas, excuse tout, croit tout et espère tout. L’amour ne disparaîtra pas.
Certes l’unité est un don de Dieu. Mais il est possible de l’accepter du bout des lèvres et de la repousser du pied comme quelque chose de gênant. Ce qui est certain c’est que l’unité dérangera dans nos habitudes et dans notre paresse. L’Église doit redevenir une et plurielle, une dans sa foi au Christ, plurielle dans l’actualisation du message pour toutes les cultures. À la rigueur du droit romain, il faudra joindre la douceur de la Vierge que les Eglises orientales vénèrent avec son enfant. En effet, au Cénacle Marie était présente au milieu des apôtres et des frères de Jésus, deux groupes qui rivalisaient déjà entre eux. Elle seule pouvait être le trait d’union entre ces deux groupes de l’Église primitive. Il n’y a jamais eu une Eglise, pas même aux origines, mais des groupes qui chacun étaient l’Église en communion les uns avec les autres. Il n’y a pas eu un seul judaïsme à l’époque du Christ, mais des dizaines de mouvements qui malgré leurs différences récitaient tous le Shema Israël. Il y a eu l’Église de la circoncision et l’Église de la Gentilité et cela plus longtemps qu’on ne le pense habituellement.
L’unité est l’urgence des urgences, puisqu’elle répond à la prière du Christ : « Que tous soient un ». Conçue avec un certain dynamisme cette unité sauvera l’Occident de la putréfaction et l’Orient de la pétrification.
L’Église catholique n’est pas une fédération d’Eglises locales. Elle est communion d’Eglises locales qui sont communion de baptisés et toutes sont communion avec Dieu le Père, le Fils et l’Esprit. La communion est d’abord verticale par le Christ, tête du corps de l’Église. Le Christ n’est pas divisé.
L’Église catholique n’est pas une fédération d’Eglises locales. Elle est communion d’Eglises locales qui sont communion de baptisés et toutes sont communion avec Dieu le Père, le Fils et l’Esprit. La communion est d’abord verticale par le Christ, tête du corps de l’Église. Le Christ n’est pas divisé. L’Église de Rome depuis les temps anciens est celle qui préside à la charité et est au service de l’unité dans la foi.
La communion ne tolère ni absorption ni fusion entre les confessions. La recherche d’une unité visible inclut et respecte toute légitime diversité.
On l’a répété bien des fois : le premier millénaire a été celui de l’Église indivise, le second celui de la division, le troisième millénaire sera celui de l’unité vécue dans le pluralisme. Nous avons déchiré la tunique du Christ, geste que les soldats romains n’ont pas osé faire. Tant d’hommes et de femmes ont prié et prient pour l’unité des Eglises. Dieu les a déjà exaucés, puisqu’il écoute la prière de son Fils reprise par la prière des Eglises. De façon plus positive le but de l’œcuménisme est de prendre sa joie dans la joie des autres. « Les hommes du devoir n’ont jamais rien compris à la folie d’amour. Les hommes de morale ont toujours soupçonné l’amour d’amoralisme grave », écrit Bobin l’auteur du livre « Le Très Bas ». Or c’est la folie d’amour qui seule importe.
« Dieu s’est humilié jusqu’à l’Église. À l’Église de s’élever et d’élever le monde », écrivait le cardinal Newman récemment béatifié par l’Église romaine.
« Ces chrétiens qu’on assassine »
En Israël un parti politique a comme slogan « La paix maintenant ». Remettre tout au lendemain est signe de paresse. Les Eglises orientales devront remplacer ce slogan par celui de « l’unité maintenant ».
L’unité maintenant, parce que les Eglises orientales sont souvent réduites à leur plus simple expression dans certains pays.
L’unité maintenant, parce c’est la volonté du Christ avant sa mort.
L’unité maintenant, parce que Juifs et musulmans ont droit à recevoir la bonne nouvelle et ne peuvent la recevoir tant que les Eglises sont divisées.
L’unité maintenant, parce que l’unité est l’urgence des urgences. Tant que l’unité ne sera pas réalisée le Christ ne pourra pas revenir pour offrir son œuvre au Père.
Les titres de « Béatitude », « Éminence », « Excellence », « Sayyidna » n’ont aucune trace dans les Évangiles et le monde moderne s’en gausse. Bernanos avec sa franchise habituelle disait : « Je voudrais parler de Jésus-Christ très simplement aux hommes qui ne le connaissent pas ». Assez de vocabulaire édifiant, de langue de bois ecclésiastique. On n’attend pas l’avenir comme on attend un train. L’avenir se fait, la paix se construit au quotidien, l’unité est un don qu’on accepte avec toutes ses conséquences ou qu’on rejette.
L’Église ne saurait être missionnaire si elle ne travaille pas à retrouver son unité perdue. Car l’Église n’est pas une fin en elle-même, elle est au service de l’humanité et de ses souffrances.
L’unité n’a pas pour but de reconquérir l’autorité dans la perspective d’un christianisme de puissance. Il faut faire la preuve de l’amour plus fort, quitter les camails douillets. L’amour ne demande rien d’autre que d’aimer. L’Église ne saurait être missionnaire si elle ne travaille pas à retrouver son unité perdue. Car l’Église n’est pas une fin en elle-même, elle est au service de l’humanité et de ses souffrances. Elle doit jeter tout son poids dans le plateau de la balance de la justice au service du juste partage des biens de ce monde. En Orient les Églises orientales doivent tout mettre en œuvre pour que la paix règne. Elles doivent reprendre le cri de Paul VI : « Plus jamais la guerre ». Elles doivent promouvoir le respect de toutes les cultures et le dialogue interreligieux. Elles doivent être une voix prophétique qui crie dans le désert pour inviter les marchands de canon à cesser leur commerce et pour répéter que le recours à la guerre n’est pas un acte de courage, mais la folie suprême.
Depuis l’invention des micros jamais les hommes d’Église n’ont parlé autant. Le verbiage s’est multiplié, mais les gestes concrets ont diminué.
Après deux mille ans de christianisme les Eglises orientales sont invitées à proclamer la bonne nouvelle en actes. Elles doivent descendre de l’intelligence au cœur, car seul le cœur comprend car il englobe l’intelligence véritable.
Au moment de monter sur l’échafaud lors de la révolution française une des carmélites de Compiègne eut ce cri : « L’amour sera toujours vainqueur ». Oui il aura le dernier mot si les hommes d’Église ne s’y opposent pas. Ce message reste prophétique pour l’Orient d’aujourd’hui.
Gage de vitalité
Rien ne ressemble plus à un maronite de Syrie qu’un syrien orthodoxe. Impossible de reconnaître un nestorien et un syrien catholique. En Orient les problèmes fondamentaux restent communs qu’ils soient d’ordre économique, civique, spirituel ou pastoral. Communs aussi les chemins de l’unité par lesquels ils cherchent à suivre le Christ.
Chaque Eglise orientale a sa manière de vivre l’Église et sa mentalité façonnée par l’histoire. Toutes ces manières de vivre l’Église sont un gage de la vitalité de l’Église, car il existe plus d’une façon de vivre l’Évangile, comme il existe plus d’une façon d’incarner le charisme bénédictin ou franciscain. Chacun à sa façon légitime traduit la richesse de l’Église. Il en résulte une certaine peur de perdre son identité si l’unité passe par là. La réunification des hiérarchies sera la conséquence de l’unité plénière retrouvée. Mais la question des hiérarchies n’est souvent qu’un épouvantail à usage populaire pour polariser la volonté de puissance d’une minorité qui se crispe. La méfiance est tenace en Orient, car elle est un résidu d’une histoire tourmentée. Sans confiance à l’autre il n’y aura pas de réconciliation ni de paix profonde. Une certaine mentalité universaliste identifie inconsciemment la catholicité et l’administration universelle et ignore l’identité des Églises orientales. Ce n’est pas elle qui fera l’unité en profondeur, car les greffes ne réussissent pas toujours. Toute compétition ecclésiastique doit être bannie dans la recherche de l’unité. C’est la foi qui impose l’unité car le Christ ne saurait être divisé. Il en va de l’unité de l’Église comme de sa sainteté et de sa catholicité : elles sont en devenir. Seul un regard de foi qui s’inspire de l’unité de la nouvelle alliance peut éclairer les données de l’histoire qui est entre les mains de Dieu. L’Église est en croissance à travers les blessures mêmes de son histoire qui somme toute est menée par l’Esprit Saint.
Dernière mise à jour: 21/11/2023 10:34