De 1989 à 2005, ce sont presque deux millions de Soviétiques qui ont bénéficié de la « loi du retour » accordée aux juifs et qui se sont installés dans l’État hébreu. Pour quelles conséquences ?
Israël serait-il aujourd’hui, et pour quelques années encore, le deuxième état russe dans le monde ? Il est certain que la perestroïka (mutation-construction) transforma, dès 1989, l’empire soviétique en des blocs slaves, russes ou ukrainiens et diverses républiques plus ou moins indépendantes en Asie Centrale ou dans le Caucase (Géorgie, Arménie).
De 1989 à 2005, l’État hébreu a accueilli presque deux millions de Soviétiques. L’intégration a globalement été une réussite, mais la tâche était rude. Les premières aliyot (montées) vers la Palestine en 1880, puis au fil des décennies jusqu’à l’indépendance du pays (1948), furent essentiellement inspirées par des migrants venus de l’empire tsariste. Les décrets impériaux interdisaient aux juifs de résider en Russie même : c’est ainsi que l’Ukraine, la Biélorussie devenue Belarus, les pays Baltes virent fleurir la pensée de bourgades où l’on parlait yiddish. C’est dans ces régions qu’est né, en même temps que l’hésychasme chrétien oriental, le mouvement des hassidim, les juifs pieux.
Dès l’antiquité, les juifs habitaient dans le sud de l’Ukraine, sur tout le pourtour de la Mer Noire, en Géorgie (où furent écrits les derniers traités du Talmud ou Loi Orale) et en Arménie. Les juifs boukhares, venus en nombre après la chute du communisme, parlent encore le farsi-tat, le judéo-araméen mais aussi l’ouzbek, le persan, le tadjik, le kurde ou l’ouïghour… bien mieux parfois que le russe !
La Russie à Tel Aviv ? De D. Ben Gourion à Z. Jabotinsky, J. Trumpeldor, Moshé Dayan, Golda Meir, mais aussi Ariel Sharon ou Shimon Peres – plutôt polonais – le « kordon (cordon) ou zone frontalière de l’Ouest slave » a profondément marqué d’une empreinte yiddisho-slave l’hébraïté renaissante de l’État d’Israël. C’est aussi vrai de la grammaire de l’hébreu moderne due au biélorusse Eliezer Ben Yehudah que pour les kibbutzim, les lois très « socialisantes » du pays, l’habillement, les rites de la vie quotidienne… voire l’art des cosmétiques.
J’avoue voir tant de points de similitude entre Moscou, sa province et Tel aviv ou les villes nouvelles d’Israël. Les Africains et les Asiates de Russie sont ici Éthiopiens, Philippins, souvent chinois maintenant… qui se convertissent souvent au judaïsme. Une jeunesse qui a grandi en hébreu et en Israël, marquée par une nostalgie existentielle slave qui, en tout temps et en tout lieu, reste inhérente à l’âme slave… faite de contradictions, de versatilité, de passions ancrées dans le sens inné de « l’amitié » si chère aux « camarades » comme aux croyants.
Ce monde ex-soviétique est enraciné dans une quête de « vérité », par-delà le mensonge et le silence. Il disserte à perte d’heures sur la vie, la mort, les émotions vertigineuses et les grandes créativités. Le judaïsme ex-soviétique est la dernière hémorragie de sève sémitique à avoir quitté un pays de profondes traditions chrétiennes et musulmanes (Asie Centrale et l’Extrême-Orient).
Une situation tellement paradoxale ! Certains ont résisté aux conversions forcées au christianisme, aux pogroms, aux assassinats nazis et staliniens. D’autres se convertirent au christianisme orthodoxe russe – plus rarement au catholicisme. Une orthodoxie plurielle : moscovite, mais aussi géorgien, antiochien, arménien, syrien-orthodoxe ; ce qui est peu su. Il était courant, en Russie, de prendre le baptême en 1990. Un retour puissant pour des millions d’âmes qui redécouvraient la Résurrection. Les juifs découvrirent juste après qu’ils avaient le droit de revenir en Terre d’Israël.
Il faut être très prudent : sont-ils 400 000 ? Le Grand Rabbin I.M. Lau, rescapé de Buchenwald a publiquement affirmé la présence de 300 000 chrétiens venus d’ex-URSS. Ils ne sont pas « russes », terme trop factice : il ignore qu’ils furent et restent parfois très « soviétiques », enracinés dans des cultures très diverses unies sous cette bannière unitaire.
Les Églises voient en eux de possibles « paroissiens » ? On ne s’improvise pas slave, encore moins chrétien orthodoxe et oriental dans une société juive et israélienne qui a une si longue expérience d’un dialogue resté au stade du monologue.
En revanche, les « Russes ou soviétiques » ont partout apporté de la fraîcheur en Israël : l’humanité des infirmières, et l’expertise technologique, scientifique, médicale. La vie artistique, musicale doit beaucoup à ces gens sortis d’une Égypte contemporaine. Désormais, on offre des fleurs à l’entrée du shabbat comme on le fait en (Sainte) Russie postcommuniste et l’on boit du thé vert sur fond de falafel et de houmous.
Aujourd’hui, les « foules » slaves viennent en pèlerinages chrétiens, une vieille tradition russe. Voici 170 ans, on priait déjà en hébreu à Jérusalem dans l’Église orthodoxe russe de Moscou. Les chants polyphoniques des prières en slavon résonnent à nouveau à un rythme qui appelle à la découverte et la profondeur d’un christianisme revigoré dans un état juif et des sociétés musulmanes.
Dernière mise à jour: 21/11/2023 12:40