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L’Église melkite, la plus locale des Églises de Terre Sainte

Marie-Armelle Beaulieu
21 novembre 2010
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L’Église melkite est l’héritière du siège apostolique de Jacques le majeur, premier évêque de Jérusalem. Un honneur qu’elle partage avec l’Église grecque qui est melkite elle aussi mais orthodoxe… Car il y a des melkites catholiques comme orthodoxes. Petit retour sur l’histoire de la plus locale des Églises de Terre Sainte.


« Si je m’installais à Jérusalem, je fréquenterais l’église melkite ». Pour cette occidentale que son travail a amené à approcher toutes les Églises de Terre Sainte, c’est une sorte d’évidence. « Bien sûr, poursuit-elle, il y a l’obstacle des langues, encore qu’à l’église porte de Jaffa on ait à disposition un livret qui permet de suivre la liturgie, mais je ne sais pas, c’est celle qui me semble la plus évidente, la plus locale. »

Il n’est pas rare d’entendre parler de Jérusalem comme de l’Église-Mère, il est vrai que l’Église est née de la Pentecôte et que le Cénacle, où se cachaient les apôtres, est toujours visible aujourd’hui sur le Mont Sion. En cela toutes les Églises du Monde continuent de se tourner vers l’Église de Jérusalem pour ce qu’elle est : l’Église des origines.

Mais s’il est une Église qui peut revendiquer d’être la mère des Églises comme étant la descendante directe de l’Église des apôtres dans la continuité du lien apostolique avec Jacques, disciple de Jésus, premier évêque de Jérusalem c’est l’Église melkite. La catholique ou l’orthodoxe ?

Églises de pèlerins

Avant d’aborder ce point, examinons pourquoi l’Église melkite, plus que les autres, peut prétendre à ce titre. Les Églises arménienne, syriaque, copte et éthiopienne orthodoxes et leurs déclinaisons catholiques, de même que les Églises maronites, chaldéennes, ou plus récemment les Églises luthériennes et anglicanes sont ce que d’aucuns ont appelé des « Églises de Pèlerins ».

L’Annonce de la Bonne Nouvelle s’est répandue à partir de Jérusalem grâce aux Apôtres, d’abord dans la région puis au-delà, et au cours des siècles, du monde entier des chrétiens sont revenus à la source. Ils sont venus voir de leurs yeux, toucher à leur tour les lieux saints, les vénérer, y prier et des religieux se sont installés comme des têtes de ponts capables d’accueillir dans leurs langues respectives les pèlerins qui se succédaient, désireux de vivre au plus près de ces lieux saints et bénis. De plus, les plus anciennes de ces Églises en Terre Sainte (syrienne, arménienne, copte et éthiopienne) ne ratifiant pas le concile de Chalcédoine (451) se séparèrent de l’orthodoxie (droite ligne) locale.

Qu’en est-il de l’Église latine ? Certains ont voulu voir dans la conversion du centurion Corneille, baptisé par saint Pierre le premier pape, les prémices d’une Église latine en Terre Sainte. D’autres la font remonter plutôt à la présence de saint Jérôme. Historiquement, le premier patriarcat latin fut institué en 1099 par les croisés. Les patriarches latins se succédèrent à Jérusalem de 1099 à 1187, puis à Acre jusqu’à la chute de la ville en 1291. Le siège patriarcal fut restauré comme siège résidentiel en 1847, non loin de l’éparchie patriarcale melkite qui l’avait précédé dans la Vieille Ville.

De fait, la présence d’une Église melkite est plus ancienne dans la Ville Sainte.

Le terme de melkite (voir encadré page précédente) apparaît dès 460. C’est alors un sobriquet, donné par les Monophysites à ceux qui avaient approuvé le concile de Chalcédoine.

L’Église melkite, dite aussi grecque-catholique, est la sœur jumelle de l’église grecque-orthodoxe. Mais deux sœurs qui se sont déchirées et qui aujourd’hui, au moins à Jérusalem, portent encore la marque de ces déchirures au point de ne pas réussir à se parler, ou si peu.

Le Cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la Promotion de l’Unité des chrétiens, déclarait récemment en visite à la Custodie « Les Orthodoxes parlent d’événements du passé, de querelles survenues au XVe siècle, comme s’ils avaient eu lieu la veille. La permanence de la blessure doit faire partie intégrante de notre dialogue. »

Reste que les deux Églises grecques – orthodoxes et catholiques – puisent leurs origines dans cette Église de Jérusalem qui a pris la succession de l’Église primitive judéo-chrétienne.

Christianisme arabe

Suivant la tradition se référant à deux textes d’Eusèbe de Césarée, les quinze premiers évêques de Jérusalem auraient été juifs, les quinze suivant d’origine juive et c’est à partir du trentième (vers 200 de notre ère ?) que des chrétiens d’origine païenne succèdent à Jacques, frère de Jésus, sur le siège épiscopal de Jérusalem. Qui sont-ils ? Il semblerait que ce soit un « pêle mêle » entre des natifs de Terre Sainte (comme probablement saint Cyrille de Jérusalem, né autour de 315 à Jérusalem, ou dans ses environs »), et des évêques ou prêtres de passage, en pèlerinage, originaires de la Capadoce ou d’Arménie voire du monde romain comme Juvénal (en fait de tout l’empire romain d’Orient puis byzantin), et qui sont nommés évêques de Jérusalem durant leur séjour, d’autant que leurs Églises d’origine sont touchées par les hérésies du temps.

Ces évêques, « natifs du pays » et non juifs sont-il pour autant « Arabes » ?

De la présence d’Arabes à Jérusalem, il en est question dans les Actes des apôtres, au jour de la Pentecôte. Ils ne constituent pas pour autant la majorité (et de loin) de la population de la Palestine du IIIe siècle. Certains historiens avancent que tous étaient devenus chrétiens. Sont probablement devenus chrétiens également les juifs qui n’avaient pas été chassés, car vraisemblablement seuls les chefs religieux et les activistes politiques avaient été expulsés de Jérusalem en 70 puis en 135. Le reste de la population serait restée. Elle partage la ville avec les visiteurs de passage ou les étrangers qui s’y sont fixés et qui sont issus de toute la région : « Parthes, Mèdes et Élamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, des bords de la mer Noire, de la province d’Asie, de la Phrygie, de la Pamphylie, de l’Égypte et de la Libye proche de Cyrène, Romains résidant ici, Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes » comme l’énumère le livre des Actes des Apôtres (Ac 2,9-11). Chacun parle sa langue et les plus instruits parlent grec, la langue des évangiles et des épîtres, celle du Nouveau Testament. Ce n’est qu’après les invasions arabes (638) que les populations locales « s’arabisent » essentiellement par le biais de la langue qui se généralise et s’enrichit. Ils s’islamisent également, de gré ou de force.

Attachée à la langue arabe

Les « pères de l’Église du Moyen Orient » commencent à écrire en arabe pour se défendre et rendre raison de leur foi devant l’islam et les musulmans. Ils écrivent des traités de théologie, de philosophie, des commentaires des Écritures, des apologies, des textes liturgiques, mais aussi des pages d’histoire. Ils traduisent également des textes des traditions coptes, syriaques, chaldéennes, grecques ou latines. C’est l’âge d’or d’un christianisme arabe qui malgré les persécutions et les vicissitudes s’affirme et s’affine.

C’est dans ce patrimoine exceptionnel que l’Église d’expression arabe peut de nos jours encore continuer à puiser pour sa prière, sa réflexion, ses recherches.

L’Église melkite, née de juifs devenus chrétiens et ouverts aux Nations, grandit dans la culture arabe. Mais tandis que l’Église grecque orthodoxe s’hellénise de nouveau, l’Église melkite catholique, née d’une facture en 1724, saura davantage jongler avec les traditions et les langues. Dans son attachement à la tradition Byzantine, elle a été plus proche de ce courant arabisant.

Alternant des époques de latinisation – souhaitées ou non – avec des époques de nationalisme arabe revendiqué haut et fort, c’est cette capacité à savoir mixer le meilleur des deux traditions et cet indéfectible ancrage dans la réalité locale qui lui valut un certain succès dans le cœur des populations arabes.

Le fait d’avoir depuis toujours un clergé et des évêques arabes partout dans la région lui donne une certaine homogénéité par-delà les frontières. Un atout d’autant plus important dans le diocèse de Jérusalem que l’Église melkite voisine avec le patriarcat grec orthodoxe hellène et que quelques voix orthodoxes s’élèvent pour que l’Église locale soit représentée par des locaux. À ce jour, le patriarcat grec orthodoxe n’a permis l’accession à l’épiscopat qu’à un seul prêtre arabe, tous les autres étant « grecs de Grèce ».

Que ses évêques soient grecs ou arabes, l’Église melkite catholique de Jérusalem voudrait pouvoir entretenir de bonnes relations avec sa grande sœur grecque orthodoxe. Il semble qu’il faille attendre encore.


Origine du mot « melkite »

Le mot « melkite » vient de la racine sémite « mlk » qui signifie « royal » ou « impérial » ; c’est un sobriquet donné pour la première fois en 460, en Égypte, par les Monophysites à ceux qui avaient pris le parti du patriarche légitime, Timothée II, soutenu par l’empereur byzantin, Léon Ier. C’est donc à cette période synonyme de loyalisme politico-religieux. De l’Égypte, ce surnom se répandit jusqu’à la Syrie. Au moment du grand schisme entre Orient et Occident, en 1054, l’appellation de melkite échut à ceux qui choisirent l’Orient, ce n’est que lorsque l’Orient se divisa à son tour que l’on vit naître les appellations melkites orthodoxes et melkites catholiques, et ce n’est qu’un peu plus tard que l’usage consacra le terme de melkite pour les catholiques dits aussi grecs-catholiques tandis que les grecs-orthodoxes furent appelés « Roum ».


Église Mère

Selon Épiphane (vers 315) l’Église-Mère c’est celle des judéo-chrétiens. De nos jours, au-delà de telle ou telle confession, on tend à utiliser l’expression de façon générique pour rappeler que Jérusalem est la ville où dans le temps et l’histoire se sont déroulés les événements de la Passion et de la Résurrection.


Grecs mais Arabes

S’agissant des chrétiens orientaux de rite byzantin il est impératif d’intégrer qu’ils sont majoritairement arabes et que l’adjectif « grec » se rapporte à l’empire byzantin.
L’erreur à ne pas commettre est de confondre l’adjectif grec/grecque avec la nationalité grecque. Une erreur d’autant plus aisée à faire qu’il se trouve que la hiérarchie du patriarcat grec-orthodoxe se révèle être pour l’écrasante majorité de nationalité grecque…
Non, ce n’est pas simple !

Dernière mise à jour: 21/11/2023 11:44

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