Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Samarie-Sébaste, une cité deux histoires

Astrid Genet
21 novembre 2010
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable

Dans ces deux villes qui n’en font qu’une, les découvertes archéologiques font vivre 4000 ans d’histoire par périodes, ou devrait-on dire par couches, successives. L’antique Samarie prit le nom de Sébaste qu’elle conserve aujourd’hui. Mais ce sont deux villes et deux histoires que les habitants participent à raconter.


Autrefois nommée « Samarie », capitale du Royaume d’Israël, la ville aujourd’hui appelée Sébaste fut durant des siècles une étape sur le parcours des pèlerins et des voyageurs, avant d’être peu à peu délaissée, puis oubliée. De nouvelles découvertes archéologiques sur ce site de plus de 4 000 ans ; la rénovation du centre historique de la ville grâce à la participation de la population, lui permettent aujourd’hui de vivre un « renouveau » et la rappellent à notre bon souvenir.

Au cœur de la Palestine, sur les hauteurs de la Samarie, se situe Sébaste. La commune de 3 000 habitants, totalement musulmane, est située à une dizaine de kilomètres de la ville de Naplouse. Une cité et deux sites, qui se sont distingués au long des siècles.

Une ville antique, Samarie, stratégiquement élevée au sommet d’une colline, qui s’est étendue et doucement déplacée avec ses habitants, vers l’actuelle Sébaste, riche elle aussi d’histoire. Un déplacement qui s’est fait d’ouest en est, des hauteurs aux contrebas, érigeant un nouveau centre, à un jet de pierres des ruines archéologiques de l’antique Samarie.

La ville et son histoire intriguèrent et passionnèrent les amoureux d’archéologie et de vieilles pierres. Au premier rang desquels le père Michele Piccirillo, franciscain et archéologue du Studium Biblicum Franciscanum (école Biblique et archéologique de Jérusalem) qui constatant l’exceptionnel patrimoine culturel du lieu, commença une série de recherches et travaux sur le site archéologique.

Il n’était pas le premier, déjà de 1908 à 1910, puis de 1931 à 1933, des fouilles furent entreprises par l’Université d’Harvard, aidée de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. Elles avaient permis de mettre à jour de grandioses vestiges, toujours visibles. Elles révélèrent également que le centre-ville de Sébaste fut construit sur une partie des vestiges de la nécropole romaine, ainsi que sur l’accumulation des couches bâties entre les périodes médiévale et ottomane.

Sébaste s’inscrivit au parcours des pèlerinages durant la période chrétienne (byzantine), quand la tradition y situa le tombeau de Jean le baptiste.

Pourtant « Sébaste » fut ainsi nommée par Hérode le Grand, lorsqu’il entreprit de reconstruire la ville en 25 avant J.-C, sur les fondations de l’ancienne Samarie.

4 000 ans d’histoire

Centre agricole durant l’âge de Bronze et spécialisé dans la production de vin et d’huile pendant l’âge de Fer, la ville reçut le nom de « Samarie », sous le règne du roi Omri (885-874), qui en fit la capitale du Royaume d’Israël. En effet, cette ville sise sur le sommet des collines aux pentes abruptes, offrant un paysage et un panorama stratégique, faisait partie des importants Royaumes de l’époque.

Le roi Omri fut un grand bâtisseur. Les pans de murs qu’il fit bâtir et que l’on a mis à jour témoignent de la qualité du travail accompli. Sur une plate-forme, étayée par d’énormes murs, prenait place une Acropole fortifiée, entourée d’un double mur construit selon la technique phénicienne. Le palais royal fut édifié au sommet de l’Acropole. Ces grandes réalisations architecturales et ces luxurieuses décorations intérieures s’expliquent par les liens commerciaux, culturels et artistiques entretenus par le Royaume du Nord avec ses voisins syro-phéniciens, relations économiques et sociales poursuivies sous le règne du fils d’Omri, le roi Ahab (874-853), marié à une princesse phénicienne, Jézabel.

C’est au cours du VIIIe siècle avant J.-C, que l’empire assyrien prit le contrôle de Samarie et de sa région, sous le règne du roi Saragon II en 722 av. J.-C, divisant le royaume en deux provinces, une ayant Samarie pour Capitale, l’autre Meggido. La cité fut rebâtie et repeuplée, et la communauté locale déportée et remplacée par des captifs originaires du plateau central de l’Iran.

Durant les siècles suivants, le pouvoir passa de mains en mains : Assyriens, Babyloniens, Perses et Macédoniens, jusqu’à la prise de Samarie par Alexandre le Grand. Ce dernier installa un système de défense renforcé. Il établit des légions de soldats macédoniens, fit restaurer le mur intérieur de la ville, et construisit une série de tours rondes, dont on peut voir encore les restes sur le site, notamment une, mieux conservée.

En 108 av. J.-C., après une année de résistance, Jean Hyrcan assiégea et détruisit la ville. Quarante ans plus tard, Samarie fut annexée par Pompée à la Province de Syrie ; c’est le proconsul romain Gabinius (57-55 av. J.-C.) qui releva la ville de ses ruines. Mais il allait revenir à Hérode le Grand le soin de lui redonner sa splendeur.

C’est en 30 av. J.-C. que l’Empereur romain Auguste attribua la cité à Hérode le Grand, qui la renomma alors « Sébaste », ce qui signifie « Auguste » en grec, en l’honneur de l’Empereur. Hérode entreprit alors de grandioses constructions.

Il dédia un Temple à Auguste qu’il fit élever sur la plate-forme, où s’élevait jadis le palais des rois d’Israël, au sommet de la colline. C’est toujours dans cette partie occidentale, partie dominante, que l’on peut admirer en la parcourant à pied, l’Acropole de l’époque romaine avec son Forum, ainsi que les restes d’une basilique byzantine.

Mais Hérode qui voyait grand, ne s’arrêta pas là. Sébaste lui doit aussi son stade, son théâtre (de petites dimensions : 65 m, et dont il ne reste aujourd’hui que quelques gradins), ainsi que d’imposants murs fortifiés tout autour de la ville.

En descendant un peu, c’est entre les oliviers et au pied de la colline de l’Acropole, que l’on pouvait admirer la belle rue romaine qui traversait la ville d’Ouest en Est. Celle-ci était bordée de portiques de grès noir, abritant à l’époque de nombreuses boutiques, que l’on peut facilement imaginer en contemplant les restes des colonnes, qui en font, aujourd’hui, une charmante promenade.

Cependant la majorité des restes exceptionnels de l’actuelle Sébaste datent de la période postérieure au règne d’Hérode. Septimus, devenu à son tour Empereur romain et succédant à Auguste, décida vers le IIe siècle après J.-C., de reconstruire et réaménager une nouvelle fois la ville.

Le culte à Jean le baptiste

Dès les premiers siècles après J.-C., et avec la violence des persécutions subies à Jérusalem envers les premiers chrétiens, le christianisme s’étendit en Samarie, et se déploya dans toute la région. Le livre des Actes des Apôtres fait ainsi mémoire des premières prédications de l’apôtre Philippe en Samarie, très vite rejoint par Pierre et Jean qui y établirent l’Église à cet endroit. (Ac 8, 40)

C’est au cours des premiers siècles après J.-C., que se répandit aussi très rapidement, la tradition chrétienne, selon laquelle, le corps de Jean-Baptiste, exécuté dans la forteresse hérodienne de Machéronte, à l’Est de la mer Morte, (Mc 6,14-19), et retrouvé par ses disciples, aurait été transporté et enterré à Sébaste, aux côtés des corps des prophètes Élisée et Abdias.

Cependant, au long des siècles, deux autres lieux seront dédiés au culte du Baptiste sur le site de l’antique Samarie. Le premier, marque le lieu de la tombe du corps du prophète. C’est juste en dehors des limites du site archéologique de l’ancienne ville romaine, que fut construite une église, en l’honneur du saint prophète par les Byzantins. Celle-ci, tombée en ruines, fut relevée quelques siècles plus tard par les Croisés, dans la seconde moitié du XIIe siècle. Cette cathédrale croisée fut une des plus belles de Terre Sainte, et une des plus grandes, après celle du Saint Sépulcre. Il n’en reste aujourd’hui que les absides sud et quelques pans de mur. Un second lieu de culte attira très tôt les premiers pèlerins chrétiens à Sébaste. Celui-ci, est marqué par une petite basilique construite au Ve siècle, qui selon la tradition grecque médiévale, était le lieu du recouvrement de la tête du Baptiste. La basilique, située au cœur du site archéologique et tombée en ruine, fut à son tour relevée au XIIe siècle, par les Croisés.

En 1187, Sébaste fut prise et occupée par le neveu de Salah Edhin, Husam ed-Din Muhammad, qui transforma immédiatement la cathédrale croisée en mosquée, dédiée au prophète « Yahia », le nom musulman de Jean-Baptiste. La mosquée contenant la tombe du prophète, devint alors à son tour, un lieu de pèlerinage musulman durant plusieurs années.

Alors que pèlerins et voyageurs visitaient, sans se lasser, les tombeaux des prophètes et des saints, la population locale délaissa peu à peu l’antique ville, ses ruines et ses hauteurs, pour s’installer, dans la partie Est, autour de la mosquée. Et c’est à partir du milieu du siècle dernier, que le centre de la ville actuelle fut couvert de bâtiments en ciment, les maisons historiques étant petit à petit abandonnées, délaissées, recouvertes de débris et gravats, enterrant, en silence, les vestiges des siècles passés.

Sébaste relevée de ses ruines

Découvrant, grâce au travail du Père Michele Piccirillo, la richesse archéologique de l’ensemble du village, et surtout le besoin urgent de préservation et de conservation, l’ONG de la Custodie Ats-Pro Terra Santa et la Coopération italienne commencèrent en 2002, à travailler sur la partie sud du mur de la cathédrale croisée, actuellement mosquée, centre historique de Sébaste.

Abandonnée depuis des années et recouverte d’immondices, cette partie fit l’objet dans un premier temps d’un grand déblayage, afin de mettre au jour les bâtiments originaux qui avaient subi des transformations au cours des siècles, avec des matériaux bien souvent inadaptés. Ces matériaux enlevés et la stabilité des structures assurées, les fouilles ont continué, faisant apparaître notamment, un important édifice constitué d’une tour avec son escalier en colimaçon, et d’une chapelle datant probablement de l’époque croisée (début XIIe).

De magnifiques mosaïques byzantines furent également découvertes sous les décombres, poussant la communauté locale de Sébaste, ainsi que l’association palestinienne « Mosaic Centre » de Jéricho, à s’engager sur le projet, et commencer les recherches historiques, architecturales et picturales concernant la ville. La proximité avec la population locale, ainsi que le recueil de témoignages et d’histoires orales, furent d’une aide précieuse pour tenter de réécrire l’histoire de Sébaste.

Cette partie historique fut donc restructurée de 2005 à 2006, sous la direction de l’architecte palestinien Ossama Hamdan, et de la coordinatrice du projet, Carla Benelli. Travaux de rénovations, financés par la Coopération Italienne et l’aide de l’ONG Ats Pro Terra Santa.

Ces activités de conservation permirent également d’offrir du travail à la population locale, puisqu’environ une trentaine de personnes ont été ainsi employées sur le projet, recevant une formation adéquate. Cependant, la mise en œuvre de ces travaux s’est très vite heurtée à de nombreux problèmes, du fait de la situation politique du pays ; les contrôles et les difficultés d’accès au site, faisant de cette entreprise un « projet exigeant » pour toute l’équipe et les personnes impliquées.

Situées en territoire palestinien Sébaste et sa communauté sont devenues petit à petit, un peuple et une terre isolés, dans une région en crise, dont la situation sociale et économique s’est nettement détériorée depuis la deuxième Intifada (soulèvement).

Un projet ambitieux

Si l’objectif premier du projet était de permettre la conservation et la préservation d’une partie de la cité, par la restructuration et la rénovation de quelques bâtiments anciens, il était aussi de permettre à la population locale de Sébaste de pouvoir en tirer des bénéfices.

Il s’agissait aussi de sensibiliser fortement les jeunes générations à la richesse culturelle et historique de leur terre et de leur identité, comme de leur permettre de s’engager concrètement dans la sauvegarde de cet héritage culturel, ainsi que dans la vie économique et sociale de leur communauté. Enfin, les faire participer aux activités initiées par le projet de Sébaste.

Cette préservation de la mémoire et de l’identité a une place toute particulière dans la situation actuelle du territoire et dans le conflit israélo-palestinien, pour les générations futures. Et notamment, une importance majeure, comme le soulignent les coordinateurs locaux, pour le développement du potentiel et futur État palestinien.

Faire revivre Sébaste, c’est donner une importance et un engagement concret à cette communauté locale, dans le maintien de la préservation de leur site et de la ville, et ce, sur un long terme, pour l’avenir. Ce fut une des préoccupations majeures de la municipalité de Sébaste, ainsi que de tous ceux qui se sont investis dans le projet.

C’est pourquoi « le projet Sébaste » compte également mettre en place pour les enfants des projets éducatifs et pédagogiques, notamment d’apprentissage de l’histoire locale. Une histoire que, bien souvent, les habitants eux-mêmes méconnaissent. Une histoire transmise et enseignée de nouveau, sous forme de cours ou de stages comme celui de « de guides locaux » qui permettent à quelques jeunes de faire découvrir cette région aux visiteurs en parcourant le site archéologique, la partie actuelle rénovée de la ville, ainsi que la province de Naplouse.

La commune, ayant à cœur d’ouvrir le site au public a également aménagé, dans les bâtiments rénovés, une hôtellerie de quelques chambres pour de petits groupes, permettant aux habitants de la ville de participer à cet accueil, ainsi que de relancer l’activité économique de la cité.

L’ensemble du projet fut présenté lors de l’inauguration du centre, durant « The Sebastya Heritage Day » organisé par la commune, l’Association de Terre Sainte (Ats) et le Centre de Mosaïque de Jéricho, au printemps dernier. Cette journée permit de sensibiliser la population locale, autant que les visiteurs présents, à l’importance de la sauvegarde de ce riche patrimoine. Ce fut également un moyen de remercier les personnes engagées dans le projet et tous ceux et celles qui y ont apporté leur contribution.

Tous les travaux réalisés naissent du désir de redonner à la ville de Sébaste toute sa splendeur. Un esprit d’équipe et de collaboration permit au long de ces mois de recherches et de travaux, un résultat d’une réussite plutôt surprenante.

En effet, lorsque l’on se rend aujourd’hui à Sébaste, c’est avec le même émerveillement que l’on parcourt les ruines archéologiques de la partie occidentale de la ville, tout autant, que les bâtiments rénovés du centre actuel. Un vrai contact avec ces lieux, marqués par des siècles d’histoire, et comme « animés » par l’esprit de ceux qui ont apporté leur pierre à l’édifice, et en ont fait une ville pleine de vie.

Centre actuel et ruines archéologiques, renouveau et authenticité… le tout est conservé ! Pour la joie et le plaisir de tous puisqu’à présent, amoureux du site, ou simplement curieux, chacun tente de s’y rendre pour y admirer la beauté, celle d’une cité, Sébaste, qui n’a pas fini de faire parler d’elle…

Dernière mise à jour: 21/11/2023 12:08

Sur le même sujet