Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Christianisme d’expression arabe

Archiprêtre Alexandre Winogradsky *
20 janvier 2011
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Depuis quatroze siècles, les chrétiens  de Jérusalem s’expriment en arabe, «l’espéranto du Proche-Orient» faisant de cette langue un trait-d’union entre eux, une clé vers toute la culture d’expression arabe.

 

Jérusalem est compacte. Il suffit de se promener à travers des ruelles pratiquement inaccessibles à des véhicules modernes pour ressentir une atmosphère « pliée, recroquevillée parfois » sur elle-même. Les quartiers, les immeubles ont souvent changé de propriétaires, ne fût-ce que si l’on se limite à l’ère chrétienne. Il fut un temps où l’on parlait géorgien et serbe à l’intérieur du patriarcat orthodoxe de Jérusalem, même si le patriarche et les moines étaient et sont le plus souvent grecs. Il y eut aussi des siècles plus marqués d’arabité. Le patriarche Sophronios qui obtint, en 681, l’édit de tolérance accordé par le sultan pour que chrétiens (et juifs) puissent librement pratiquer leur foi dans les murailles de Jérusalem, était d’origine arabe.

Il y a des lieux merveilleux à Jérusalem. Tout d’abord, on peut grimper et faire en hauteur le tour des murailles de la Ville. Tout cela ouvre sur des paysages que l’on devine illimités dans le temps et la densité chronologique. En hébreu, « midbar (désert) » peut être relié à « medabber = (Dieu) parle ». Nous considérons le plus souvent le « désert comme un lieu « vide » ce que veut dire le mot russe « poustinya ». On part au désert pour se refaire une fraîcheur mentale, réveiller les neurones de la foi et faire le vide intérieur. L’occidental est volontiers nombriliste. En Orient, il faut écouter Celui qui parle, et précisément entendre Dieu dans le désert, donc là où Il parle ; cela ne relève pas de rêves utopiques ou de djinns farceurs. Notre vacuité peut alors se remplir d’une Présence aussi forte que le nombre des grains de sable…

La ville semble, en contraste, beaucoup trop « enfermée », cerclée. Si l’on regarde l’histoire moderne, à la suite de la chute de l’empire ottoman, il n’y a guère qu’une famille turque… et encore. Une langue et une civilisation si importantes qui ont disparu en une nuit. Tous les fonctionnaires sont partis en 1918. Les Turcs n’avaient jamais voulu enfanter dans la région, donc se mêler à une population très mouvante. De même, il n’y aurait qu’une seule famille écossaise alors que la citadelle de l’Église Saint-André porte haut le drapeau des Highlands… sur un territoire partiellement grec.

Il faut toujours prendre de la hauteur pour voir l’étroitesse géo-architecturale de Jérusalem : que ce soit sur le toit de l’hôtellerie franciscaine Casa Nova entre la Porte de Jaffa et la Porte Neuve. Ou encore, à la 3e Station, face à l’église catholique arménienne, l’ancien hospice autrichien, aujourd’hui hôtel et centre culturel issu de l’empire des Habsbourg… Sur le toit, on découvre ces ruelles de toujours. À peine si les maisons ont changé, mais on sent les foules cosmopolites qui allaient au Temple sur la gauche puis les chrétiens qui ont suivi la route vers la résurrection sur la droite (Saint Sépulcre ou Anastasis/Lieu de la Résurrection). Si le regard se porte au-delà du drapeau autrichien, on perçoit clairement la vallée du Cédron, Géhenne du Jugement qui descend vers Bethléem, Ville de David et du Messie.

De ce point stratégique situé sur le Chemin de la Croix, le regard découvre combien la Vieille Ville est étroite. Les habitations sont souvent précaires, mais c’est Jérusalem. À la traverser journellement et au cours des ans, puis de siècles en siècles, un autre sentiment peut affleurer : cette prétendue étroitesse ouvre sur l’universalité et est imprégnée de pratiquement tout lieu de notre terre. Des croyants du monde entier y ont vécu et ressenti, transmis ces largesses de l’Esprit.

Il reste alors à découvrir l’arabité fondamentale du christianisme de Jérusalem. Cela échappe au regard partisan ou politicard. Ici, vivent des fidèles qui, depuis l’époque du retour de Babylone, puis les diverses invasions, ont parlé araméen, nabatéen : ils sont des Sémites de l’Église. Au VIe siècle ils parlaient l’arabe et cette langue est une des très grandes langues du christianisme. Ne passez pas à côté de cette réalité lors de votre passage à Jérusalem.

D’autant que l’arabe est aussi l’espéranto naturel du Moyen-Orient et trace un trait d’unité depuis le Maroc jusqu’aux émirats du Golfe. Les Arabes de Jérusalem sont grecs-orthodoxes, grecs-catholiques. Ils ont fréquenté les Écoles de Frères latins ou des cours donnés en arménien, ils sont coptes, syriens orthodoxes ou catholiques, maronites pour ne citer que les Églises locales traditionnelles.

Avec beaucoup de liberté, ces fidèles chrétiens de langue et de culture arabes passent les murailles des schismes historiques et constituent un ferment toujours actif d’une unité chrétienne qui cherche à respirer ici aux dimensions de la Révélation et de toutes les Nations qui viennent visiter ce pays.

 

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