S.E. Mgr Lahham, Archevêque de Tunis, a participé au Synode des Évêques pour le Moyen Orient. Nous reprenons ici, du bulletin diocésain Flash, sa réflexion, un bilan à cheval entre le Moyen Orient dont il est issu et la Tunisie dont il est archévêque.
- Quelques informations d’ordre général :
– Les pères synodaux étaient 187
– Les pays représentés étaient (le Moyen Orient + la Turquie, l’Iran, les pays du Maghreb).
– Ajouter aux nombre des pères synodaux une 50aine d’experts, d’auditeurs et de consulteurs.
– Les Églises orientales représentées étaient : l’Église maronite, grecque catholique, arménienne catholique, syrienne catholique, copte catholique, chaldéenne et latine. Ajouter les représentants des dicastères (ministères romains) qui traitent d’une manière ou d’une autre avec les Églises orientales.
– D’autres évêques représentaient les conférences épiscopales des cinq continents, ou des pays occidentaux qui accueillent un bon nombre de catholiques orientaux (Paris).
– Des délégués fraternels des autres Églises étaient invités et ils ont pris la parole.
– Un juif, un musulman sunnite et un musulman shiite étaient invités aussi et ont pris la parole.
– Pendant le synode (le 20 octobre) 5 des pères synodaux ont été créés cardinaux (le patriarche copte, le préfet de la Congrégation des saints, le préfet de la congrégation du clergé, le préfet de l’oecuménisme et l’évêque de Apparecida- Brésil).
– Beaucoup d’activités étaient organisées le soir (mairie de Rome, repas dans les différentes ambassades…)
– Des lettres sont parvenues au Pape du Roi de Jordanie et du Président palestinien.
– Deux grand messes présidées par le Pape ont marqué le début et la fin du Synode (10 et 24 octobre).
– Le Pape a fait cadeau aux Pères synodaux d’une très belle icône représentant l’Assomption de la Vierge.
– Pendant les sessions générales, on a entendu 252 interventions ainsi réparties : Liban 54, Syrie 28, Vatican 25, Jérusalem 23, Égypte 22, Iraq 22, USA 10, Italie 8, Jordanie 8, Brésil 5, Canada 5, Australie 3, Argentine 3, Iran 3, Chypre 3, Émirats 3, Djibouti 2, Inde 2, Kuweit 2, Turquie 2, Angleterre 2, France 2, Tunisie 1, Tanzanie 1, Maroc 1, Islande 1, Grèce 1, Hongrie 1, Ethiopie 1, Ukraine 1, Roumanie 1, Libye 1, Venezuela 1, Algérie 1, Espagne 1, Kenya 1, Érythrée 1, Chine 1, Allemagne 1.
Les principaux thèmes traités
- 1. La situation politique
Elle était toujours présente. La Terre Sainte, l’Iraq, le Liban, et d’une certaine manière la Turquie et l’Iran. Cette situation de conflit a une influence évidente sur la vie et la continuité de la présence chrétienne dans les pays du Moyen Orient. L’Iraq a perdu la moitié de ses chrétiens (400 000 sur 800 000), les chrétiens dans les territoires palestiniens occupés sont devenus le 1.3 % de la population, les chrétiens libanais sont à peine le 30 %. pour ne pas parler de la Turquie ou de l’Iran où on est à moins de 0.01 %. Cette instabilité politique, avec ses conséquences économiques et sociales, est donc la raison principale de l’émigration des chrétiens, surtout que, en tant que minorités, ils se sentent plus visés et plus touchés. Sont liés à ce phénomène, quoique de manière indirecte, deux autres points : la montée de l’Islam politique et fanatique, poussé par des raisons qui diffèrent d’après les pays, et l’impression qu’ont les chrétiens d’être traités – dans plusieurs pays moyen orientaux- comme des citoyens de catégorie B.
- 2. Le dialogue avec l’Islam
Un autre thème toujours présent. Mais comme les pays du Moyen Orient ne sont pas monolithiques, l’Islam non plus, les niveaux de dialogue avec l’Islam s’en ressentent. Au Liban, on a l’impression que l’Islam shiite « confisque » le pays ; en Iraq on sent que certains groupes armés islamistes veulent vider le pays des chrétiens ; en Syrie en Jordanie, tout va bien ; en Palestine, les chrétiens souffrent parce qu’ils sont palestiniens ; en Égypte, il y a une tension continue que personne n’arrive à désamorcer ; en Turquie et en Iran, malgré la politique déclarée des gouvernements respectifs, les chrétiens se sentent très peu à l’aise. Les pays du Maghreb- réalité entièrement absente au Synode sauf dans les trois interventions de la Tunisie, de l’Algérie et du Maroc – ont leur expérience spécifique dans le dialogue avec l’Islam. Ceci dit, il a été souvent question de dépasser le dialogue de « formalités orientales » avec l’Islam pour arriver à un dialogue de vérité.
- 3. La juridiction des Églises patriarcales (sui juris)
Une question épineuse et strictement orientale, et par conséquent difficile à suivre pour des esprits latins. Elle se résume en ceci : il y a des fidèles des rites orientaux qui ont émigré dans plusieurs pays où il n’y a pas de hiérarchies orientales (des évêques ou des diocèses), ou très peu. Dans les pays du Golfe, il n’y a que la hiérarchie latine. Dans les Amériques et en Australie, il y a un ou deux diocèses de chaque rite et c’est insuffisant, vu les distances géographiques et la dispersion des chrétiens orientaux. Or, d’après le Droit Canon oriental, l’institution de hiérarchies orientales en dehors des territoires d’Orient est soumise au Saint Siège, qui ne semble pas être pressé. D’où, pour les Orientaux, le risque de perdre leur rite et de s’intégrer dans le rite latin. Pour les pays du Golfe, il y a aussi des difficultés à envisager de la part des gouvernements respectifs qui permettent une seule église catholique (indépendamment du rite) dans chaque grande ville (à Dubaï, il y a une seule église de rite latin pour plus de 100 000 catholiques). Ajouter à cela la difficulté des rites orientaux à se mettre d’accord entre eux, on comprend la complexité du problème et l’hésitation du Saint Siège.
- 4. Une petite dent contre l’Église latine
Les Patriarches orientaux voient dans le droit Canon oriental – fait par l’Eglise de Rome – une restriction de leur juridiction et de leurs pouvoirs respectifs : leur juridiction sur les fidèles de la diaspora (cfr supra), la nomination des évêques où une double enquête est faite : une de la part du Synode oriental et l’autre par le Nonce Apostolique, l’interdiction – au moins officielle- d’exercice pastoral de prêtres mariés dans les paroisses et les diocèses en dehors du Moyen Orient, les relations parfois conflictuelles avec les Dicastères romains (la Curie romaine), les religieux de rite latin présents au Moyen Orient et qui ne célèbrent pas dans le rite oriental, la présence d’un Patriarcat latin à Jérusalem… Certaines interventions y faisaient allusion, d’autres en parlaient avec un ton plus fort et parfois blessant.
- 5. L’esprit de communion
C’était l’un des deux buts principaux du Synode. Un bon nombre de jeunes évêques orientaux en parlaient avec conviction et une véritable bonne volonté. Cette communion, tant voulue par le Synode et tant désirée par les fidèles tous rites confondus, rencontre des difficultés pratiques, vu la compénétration de diverses Églises et de divers rites – et par conséquent de diverses juridictions- dans un même endroit (13 en Terre Sainte, 18 au Liban). Des propositions ont été faites en ce sens : la formation d’un comité inter-rituel pour traiter les questions communes, un seul séminaire avec des formations particulières regardant les différents rites, unification de la date de la célébration des fêtes de Noël (d’après le calendrier grégorien) et de Pâques (d’après le calendrier julien). Cette unification existe en Jordanie depuis 40 ans. Une autre proposition : composer un catéchisme unifié pour toutes les Églises catholiques ou même chrétiennes (cela existe déjà au Liban et en Palestine, et il est en train de se faire en Égypte).
- 6. Autres thèmes
A. La formation des prêtres
La crise des vocations sacerdotales et religieuses n’est pas aussi aigüe qu’en Occident. Néanmoins, elle commence à se faire sentir. Les Pères synodaux ont appelé à une nouvelle pastorale des vocations, avec un sérieux esprit de discernement, vu le statut social important du prêtre en Orient.
B. Aide matérielle aux chrétiens du Moyen Orient
Cette aide est demandée à deux niveaux. Comme les Églises en Orient ont beaucoup de terrains (surtout au Liban), il a été proposé de donner des lots de terres aux jeunes pour y construire des logements ou des usines, ou acheter des terrains (Terre Sainte) pour construire des logements pour les jeunes couples. Le deuxième niveau consiste à aider les familles chrétiennes de condition matérielle moyenne à payer les scolarités des écoles catholiques.
Impression générale
Le Synode pour le Moyen Orient a reflété la vraie situation du Moyen Orient (où toute idée simple est une idée fausse par définition). Confusion des idées, hésitations à prendre des décisions claires, tendance à la victimisation, bonne volonté, véritables souffrances, espoir dans l’avenir, besoin d’aide des autres Églises… Et bien d’autres choses encore où les pasteurs de rite latin dans des pays latins risquent fort de « perdre leur latin ! ».
Malgré tout, il reste que ce Synode a été une véritable grâce.
Dernière mise à jour: 16/12/2023 22:36