Gethsémani 1921
L’émoi fut grand dans le monde archéologique de la ville sainte, quand on apprit, au mois d’août dernier, qu’on avait découvert à Gethsémani, à côté des ruines de l’église médiévale du Sauveur, une église plus ancienne, qu’on ne tarda pas à identifier avec celle de l’Agonie ou de la Prière, dont parlent les pèlerins du IVe siècle. En effet, on avait cru absolument complètes les fouilles pratiquées en 1906 et reprises l’an dernier sous la direction éclairée de l’architecte Antoine Barluzzi. Déjà on travaillait très activement à jeter les fondations de la nouvelle basilique, dédiée à la Prière du Sauveur, dont la première pierre a été bénite solennellement, il y a un an, par notre inoubliable protecteur, le très regretté Cardinal Giustini.
Les premières découvertes
Pendant le nivellement du terrain sur lequel devait s’élever la nouvelle basilique, on n’avait rien négligé pour sonder encore une fois le terrain, dans l’espoir d’y trouver quelques éléments nouveaux capables d’expliquer l’un ou l’autre des problèmes multiples, que soulevait cette église du Sauveur, aux murailles lourdes et massives. Rien cependant ne vint éclairer les données assez vagues, que nous possédions jusqu’alors ; car, la découverte de quelques rares tombeaux lorsqu’on eut atteint la terre vierge, ne saurait être considérée comme un résultat archéologique bien appréciable.
Toutefois, un mur ancien, d’une époque qu’on ne pouvait guère fixer, était construit, à une certaine distance, sur la même ligne que le rocher profondément entaillé, qu’on remarquait à l’extrémité de l’abside nord de l’église du Sauveur. On ne tarda pas à s’apercevoir que le mur en question suivait exactement la même direction qu’un autre mur antique, qui avait semblé jusqu’alors sans relation avec la façade de l’église médiévale du Sauveur. Guidé par les axes des profondes coupures du rocher et par les murs archaïques dont nous venons de parler, l’architecte tourna ses recherches du côté nord-est. Quelle ne fut pas sa surprise en constatant, à deux mètres au-dessous de l’église médiévale de splendides mosaïques appartenant à un édifice régulier et symétrique, tourné sensiblement vers le nord-est. Cet édifice ne tarda pas à s’imposer par la netteté et par la perfection de ses lignes, comme étant la basilique du IVe siècle, depuis longtemps soupçonnée, mais dont on n’avait, jusqu’à nos jours, retrouvé aucune trace.
Taille détaillée
Nous allons donner brièvement la description des ruines du vénérable monument. Notre rapide compte rendu a pu être complété depuis que nous avons eu le bonheur de déblayer, non sans beaucoup de peines et de difficultés, l’abside centrale.
L’ancienne église de l’Agonie est de forme rectangulaire de 20,05 m de longueur sur 16,35 m de largeur. Orientée du S.O. au N.E. elle est divisée en trois nefs par deux rangées de supports. La nef centrale est large d’axe en axe de 7,82 m et les deux nefs latérales ont 4,88 m chacune. Devant l’église il devait y avoir un atrium dont le milieu était occupé par la citerne, bien conservée et construite avec le même appareil que l’ancienne église. L’étendue de l’atrium donnait à l’édifice du IVe siècle la proportion d’un à deux, si usuelle dans les monuments chrétiens de Palestine à cette époque.
L’église nouvellement découverte avait un axe sensiblement différent de celui qui fut adopté dans la restauration ultérieure, c’est-à-dire dans l’église du Sauveur. Son axe s’incline de 13°30 vers le nord. Pour asseoir le chevet de l’édifice, on a profondément échancré l’escarpement rocheux de la montagne, avec une rare patience, comme il est aisé de le constater derrière l’abside centrale. Les absides latérales ne sont pas rectilignes, comme cela pourrait sembler au premier abord, mais semi-circulaires.
La pierre mise à nue
En comparant le matériel de construction de notre église du IVe siècle avec celle du Sauveur, nous sommes tout d’abord surpris de l’épaisseur très faible des murs qui n’ont que 0,60 m, ce qui contraste avec les murailles massives de l’église médiévale, qui mesuraient jusqu’à 2,50 m d’épaisseur. Les colonnes avec leurs supports, reposaient sur de grandes dalles carrées de 0,70 m de côté, dont quelques-unes sont encore in situ et encadrées de quelques fragments de mosaïques. Les anciens supports des piliers de l’église médiévale au contraire mesuraient de 1,70 à 2 m de côté. J’ajoute que les entrecolonnements offrent des espaces très réguliers de 2,40 m tandis que les entre colonnements dans l’église du XIIe siècle variaient de 4,10 à 5,05 m de socle à socle.
Les colonnes dont nous avons des tronçons considérables sont d’ordre corinthien avec bases attiques et chapiteaux parfaitement identiques à ceux de l’église de la Nativité à Bethléem. Les colonnes devaient avoir, base et chapiteau compris, 5,16 m de hauteur. À côté des tronçons de colonnes dont nous venons de parler, gisent d’autres tronçons de diamètre plus réduit : elles ont dû appartenir à l’atrium qui précédait l’église.
Mais plus que les colonnes et leurs différentes parties, c’est la roche centrale qui attire notre attention c’est un grand bloc émergeant de 0,35 m en moyenne au-dessus du pavé de l’église. À première vue on constate que ce bloc est une saillie rocheuse, régularisée avec beaucoup de soin sur les côtés. La surface a moins bien conservé sa native inégalité. Les derniers résultats des fouilles ont mis à jour la dernière partie du rocher, cachée jusqu’ici sous les décombres : elle est taillée en hémicycle parallèlement au mur de l’abside centrale.
Les mosaïques
Tout le pavé de l’église était recouvert de splendides mosaïques. Dans les deux nefs latérales l’ornementation se présente généralement en guirlandes entrecroisées de bouquets stylisés. L’encadrement extérieur était formé d’une bordure à double torsade et de deux bandes noires. Ailleurs c’est un panneau décoré de carrés à motifs géométriques reliés par de minces guirlandes. Le dessin a quatre tons : noir, bleu, rouge et jaune, sur fond blanc avec une harmonieuse dégradation de couleurs et une finesse exquise dans le travail. Dans la nef centrale le dessin paraît avoir été beaucoup plus riche et vraisemblablement floral. Dans les épaves, hélas ! trop petites et trop rares, qui nous ont été conservées, c’est le vert qui domine avec toutes ses nuances, comme si le mosaïste avait voulu imiter le paysage qui fut témoin de l’Agonie du divin Maître. Partout les mosaïques ont conservé les traces d’un incendie violent et prolongé.
Une certaine quantité de cubes très menus en pâte émaillée ou en verre, trouvés dans les déblais, semblent impliquer une décoration murale en mosaïque, probablement historiée. Les parois de l’église devaient avoir aussi leur part de peinture murale. Un reste précieux d’une fresque nous présente la figure d’un ange qui apparaît les ailes déployées. À droite, il devait y avoir la figure du Sauveur, puisqu’on y voit le nimbé cruciforme qui entourait exclusivement l’auguste figure du Rédempteur.
Dans le cours des dernières fouilles, on a trouvé un nombre très élevé de tombeaux, dont quelques-uns ont été creusés dans l’église même, comme par exemple les trois du fond de l’abside latérale nord encadrés de belles mosaïques. Ce sont sans doute des privilégiés qu’on a voulu abriter pieusement dans le voisinage d’un sanctuaire vénéré.
Voilà exposé très brièvement le résultat des fouilles faites ces derniers mois à Gethsémani. Elles fournissent à l’histoire des sanctuaires de Jérusalem une de ses pages les plus intéressantes et auront certainement un grand retentissement dans le monde entier, surtout chez les amis de Terre Sainte. Qu’il nous soit donc permis d’émettre un vœu que tout chrétien voudra bien partager avec les enfants de saint François, gardiens séculaires des sanctuaires de Terre Sainte c’est que ce site vénéré depuis les origines chrétiennes comme celui de l’Agonie du Sauveur et consacré dès le IVe siècle par une église élégante, dont les restes vénérables sont aujourd’hui sous nos yeux, soit bientôt rendu au culte. Dieu le veut !