«Je viens, j’ai grandi au sein d’une famille qui avait érigé la simplicité en règle de vie, une famille chrétienne de petits bourgeois patriotes établis dans une belle ville du littoral méditerranéen, à l’abri d’un cap montagneux couvert de pins parasols et de thym sauvage. » Né à l’ombre du mont Carmel en 1947, année fatidique du partage de la Palestine, Elias Sanbar est à l’âge de quinze mois, avec toute sa famille – dont tante Alice, une Juive allemande rescapée de la Shoah qui avait commis le crime d’épouser quelques mois auparavant l’homme qu’elle aimait, un Arabe chrétien, l’oncle Michel – chargé dans des camions par les troupes sionistes qui ont décidé de nettoyer Haïfa de ses habitants arabes, et débarqué de l’autre côté de la frontière, au Liban, où ils vivront désormais, comme des centaines de milliers d’autres réfugiés palestiniens, un exil définitif. C’est la Nakba, la catastrophe, qui engloutit toute une patrie : près d’un million d’expulsés, plus de cinq cents villages rasés. Drame originel et personnel qui engendrera son engagement naturel dans la cause palestinienne. Sans haine et sans ressentiment.
Ici, au-delà de la politique et de la lutte, au sein du Fatah et de l’OLP, pour la reconnaissance des drames et des droits du peuple palestinien, c’est une véritable déclaration d’amour que livre Elias Sanbar à sa dulcinée, sa dame, la Palestine bien-aimée – si bien incarnée par sa fille et reine, la Vierge de Nazareth. Amour de cette Terre sainte et humble, simple et que l’histoire profane a tant compliqué. Amour de l’Histoire sainte aussi, mais vécue dans la douce luminosité de la familiarité avec les lieux, avec les gens, et qui abolit les distances dans l’espace comme dans le temps : l’Évangile, ça s’est passé ici, c’était hier seulement. « Jésus est passé par ici », comme dit le poème contemporain d’Al-Bayati. Jésus, « le Fils des voisins », dit Sanbar avec humour, et son ami Darwish : « C’est un enfant du pays… » Mahmoud Darwish, le poète, le camarade – l’ami. Car ce dictionnaire, loin de la sécheresse habituelle, est aussi un chant d’amitié – cette amitié qu’Aristote voyait comme véritable fondement de la cité, de la polis, de toute politique digne de l’homme.
Au fil des pages, des souvenirs, des anecdotes, c’est cette Palestine lointaine et pourtant familière que peint par touches ce Français d’adoption, répondant à l’injonction du poète : « Porte ta terre natale où que tu sois… » Sans chauvinisme aucun, Elias Sanbar la porte à ce degré de personnalité qui atteint l’universalité – et chacun, mystérieusement, en lisant ces amicales confidences se sentira un peu Palestinien…
Cette évocation aimante de son pays perdu est admirable, admirable de constance, de dignité et de lucidité. Un patriotisme exemplaire, très humain, si chrétien. Justice et miséricorde – on se souvient que c’est dans sa patrie que l’un et l’autre furent d’abord liés, ainsi que l’amour du prochain comme des ennemis.
Elias Sanbar,
Dictionnaire amoureux de la Palestine,
Plon, 2010, 481 p., 24,50 euros
Dernière mise à jour: 28/12/2023 21:55