Vouloir démêler la trame de l’histoire de Jérusalem à la fin du XIXe siècle, début XXe est une entreprise audacieuse.
Vincent Lemire a relevé le défi et nous livre une thèse intitulée La soif de Jérusalem. Historien, en choisissant une méthodologie très originale, l’hydrohistoire, il nous embarque au fil des eaux de la ville pour nous révéler la Jérusalem qui fascina pèlerins, archéologues, ingénieurs et orientalistes.
Pantalon relevé côté dérailleur, il arrive en fendant l’air sur son vélo sans âge. Vincent Lemire, Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée est de passage à Jérusalem pour ses recherches.
Il en profite pour présenter son livre fraîchement publié (janvier 2011) aux Publications de la Sorbonne « La soif de Jérusalem, essai d’hydrohistoire (1840-1948). »
Qu’est-ce que l’hydrohistoire ?
C’est une proposition méthodologique. À vrai dire, j’avais entrepris des recherches sur l’histoire de Jérusalem, une gageure quand tout semble avoir été dit, quand tant de passions se croisent, quand la ville apparaît saturée de mémoires. C’est au bout d’un an et demi que j’ai eu cette idée de faire une histoire de la ville sur la période 1840-1948 par le prisme de l’eau. C’est une histoire par l’eau et non une histoire de l’eau dans le sens où ce n’est pas une histoire des techniques hydrauliques, des bassins, des canaux, des aqueducs, des sources etc. mais le pari que l’étude des infrastructures hydrauliques, leurs symboliques, leurs appropriations successives, la rencontre avec les différents acteurs qui se sont penchés au-dessus de ces citernes ou de ces aqueducs, archéologues, pèlerins, ingénieurs et stratèges vont révéler, mettre au jour l’histoire de la ville dans sa globalité. Elle peut alors apparaître de façon plus simple, plus accessible tandis qu’une histoire linéaire de la ville la rend difficile à cerner.
Comment l’eau peut-elle être le vecteur de l’histoire ?
J’ai articulé mes recherches sur trois axes principaux. Tout d’abord, l’eau est un des supports majeurs des rites religieux, à Jérusalem comme ailleurs et dans tous les monothéismes. Les problématiques hydrauliques de Jérusalem sont intimement liées aux problématiques religieuses, aux rites religieux. C’est ce que j’ai appelé la mémoire de l’eau.
Ensuite, l’eau est un des supports prioritaires des politiques d’aménagement urbain, en particulier dans les villes de cette époque, mais encore aujourd’hui. Quel que soit le pouvoir en place, son objectif premier est de satisfaire aux besoins en eau potable de la population. L’électricité, le tramway, le téléphone etc. ne viendront qu’après, mais la question de l’alimentation de la ville en eau est depuis les pharaons jusqu’à aujourd’hui essentielle aux politiques urbaines. Sa gestion, son administration révèlent la répartition des pouvoirs dans la ville.
Quel est, à l’époque ottomane à Jérusalem, l’équilibre entre le pouvoir municipal, le gouvernement ottoman, le pouvoir des consulats, des communautés religieuses ? À l’époque mandataire, quelle sera la politique d’administration de l’eau du gouverneur britannique etc.
Le goût des eaux
Comment archéologues et ingénieurs à la fin du XIXe siècle étudiaient-ils les circuits de canalisations d’une source à une piscine, d’un bassin à un autre ? En goûtant les eaux tels des œnologues. C’est ce que nous apprend en détail le chapitre le goût des eaux. —– La soif de Jérusalem, Le goût des eaux p 66 sq.
Troisième axe – que j’ai intitulé « la guerre de l’eau » – on le sait, dans le cadre du conflit israélo palestinien l’eau est un des enjeux majeurs. C’est à partir de 1908 que les sionistes vont faire de l’eau un dossier. C’est dans les années 1920 que les Palestiniens vont prendre conscience qu’elle est un des atouts des changements qui se dessinent. Il y a un léger décalage, mais on peut dire qu’à partir de la fin de la Première Guerre Mondiale, l’eau devient un support de concurrence nationaliste entre les acteurs du sionisme et les acteurs du nationalisme palestinien.
Ainsi, l’analyse des problématiques liées à l’eau est intégrée au sein des stratégies de prise de contrôle ou de défense du territoire. C’est un moyen de renouveler des historiographies qui sont connues mais de les saisir par un biais différent.
Vous avez choisi un segment 1840-1948 mais à quand remonte l’histoire de l’eau dans la Ville Sainte ?
Aux origines pré-salomoniennes. Les archéologues de l’École Biblique qui ont travaillé très précisément sur la source du Gihon dans la vallée du Cédron à l’Est de la Vieille Ville ont prouvé que c’est la présence de sources dans la vallée orientale de la ville qui explique pour une grande part l’installation humaine y compris préhistorique. Comme souvent, l’histoire de la ville se confond avec l’histoire de ses points d’eau. Il n’y a pas d’installation humaine agglomérée, c’est-à-dire de ville, sans des points d’eau qui soient un peu conséquents. L’histoire d’une ville, c’est l’histoire de son alimentation en eau. Il faut comprendre quelque chose de très simple : une ville c’est une population nombreuse agglomérée sur un territoire restreint. C’est cela qui distingue une ville d’une campagne, et donc pratiquement dans tous les cas, que ce soit à Londres, à Chicago, à Jérusalem ou en Afrique noire la pluviométrie du territoire d’une ville n’est jamais suffisante pour satisfaire les besoins en eau de sa population. Une ville a toujours eu besoin – et de plus en plus de nos jours où les besoins sont exponentiels – d’aller chercher son eau à l’extérieur de son territoire par des systèmes d’aqueducs, de canalisations, de dérivations. Ce qui induit de contrôler les alentours. Quand on va chercher l’eau d’une source qui est à 15, 30, 50 kilomètres, il faut convaincre les habitants des abords de la source, et être le maître du territoire tout le long du trajet d’acheminement.
Pourquoi avoir choisi ce segment particulier 1840 – 1948 ?
Deux raisons ont présidé à mon choix. La première, je désirais étudier l’histoire de la ville avant 1948. Si on regarde la bibliographie disponible il y a depuis 1948 profusion d’études sur le conflit israélo-palestinien, sur Jérusalem après 1948, la colonisation de Jérusalem-Est etc. mais il y a relativement moins d’études sur la période avant 1948, sur la préhistoire du conflit pourrait-on dire.
La seconde, je désirais travailler sur la ville, tant qu’elle était encore une ville et pas une ville coupée en deux.
1840, c’est la décennie lors de laquelle la ville entame son essor démographique. Le premier consulat européen s’installe ; il s’agit du consulat britannique en 1838, suivi du consulat français en 1843.
La pratique des pèlerinages redémarre, lentement d’abord pour devenir massive dans les années 1870. Au milieu du XIXe siècle, Jérusalem vit un tournant historique, la ville sous l’empire ottoman renaît.
Ce siècle, 1840-1948, permet d’étudier la remise en mouvement d’un système urbain, son essor, son équilibre dans les années 19 et sa crise à partir du Mandat britannique jusqu’à son délitement qui va aboutir à la partition de 1948.
Dans votre livre précisément, on voit qu’à partir de 1840, Jérusalem attire à elle de nouveaux visiteurs : les pèlerins, les archéologues, les ingénieurs. En quoi l’eau les intéresse-t-ils ?
Les premiers à arriver, ce sont les pèlerins, bible en main, dont ils se servent comme un guide de voyage. Mais ils ne reconnaissent pas les lieux bibliques, la toponymie est complètement brouillée ; elle est en grande partie recouverte par une toponymie arabe qui s’est installée là depuis plusieurs siècles ; les traditions sont extrêmement mêlées, les monuments sont pour partie ensablés, ensevelis ou ruinés.
Les pèlerins sont face à une ville illisible, incompréhensible, insaisissable pour eux et face à ce malaise, à cette espèce de trouble qui les saisit, les points d’eau de la ville tiennent lieu de points de repères. Ils concluent logiquement qu’en dépit des guerres, des invasions, des croisades, des événements de toute sorte depuis l’histoire biblique les sources elles n’ont pas bougé. Si donc on retrouve les sources et les points d’eau mentionnés dans la bible, comme la source de Gihon, la piscine de Siloé etc. on pourra toucher aux lieux bibliques. Dans les récits des pèlerins, les points d’eau sont bienvenus pour ce qu’ils sont, rafraîchissants, mais aussi parce qu’ils constituent un point de repère de ce qu’ils sont venus chercher.
Ensuite, à partir des années 1860, arrivent les archéologues. Ils cherchent à trouver, retrouver les lieux saints chrétiens de la ville. Pour eux aussi les points d’eau vont être des points de repères dans cette géographie qu’ils ont du mal à appréhender et on va les voir chercher à renommer les vallées et les points d’eau.
Jérusalem paraît simple aux pèlerins d’aujourd’hui, il n’en était pas de même à cette époque. Ainsi pendant toute une partie du XIXe siècle, la vallée du Cédron se promène sur les cartes entre la vallée du Cédron actuelle au bas du mont des oliviers et la vallée du Hinnom actuelle. Il y a beaucoup de cartes qui situent la vallée du Cédron à l’ouest et qui font du couple bassin de Mammilla/piscine du patriarche le couple de Gihon/piscine de Siloé car ils ont dans les deux cas sous les yeux un bassin avec un canal.
(N.D.L.R. La vallée du Hinnom prend Porte de Jaffa et se dirige vers le Sud à l’angle sud-ouest de la ville en direction de Bethléem, elle bifurque soudain vers l’Est, longeant le Sud pour rejoindre les vallées du Tyropœôn et du Cédron près de l’angle Sud-Est de la ville.)
Après les pèlerins et les archéologues, les ingénieurs sont convoqués, plus tardivement à partir de la toute fin du siècle, par les autorités locales : le gouverneur ottoman, l’autorité municipale qui leur demande de proposer des schémas de rénovations, modernisation des conduites en place. Comment vont-ils chercher à s’y retrouver ? En lisant les récits des archéologues, qui, eux, lisent la bible pour se rendre compte que l’aqueduc qu’ils vont rénover est celui de Soliman qui est celui de Salomon.
Parlez-nous de ces deux figures de la ville.
Salomon et Soliman sont les deux figures incontournables des sources textuelles.
Salomon dans la bible, c’est le roi plein de sagesse, de bon gouvernement. C’est celui qui peut canaliser les eaux, drainer, apporter de l’eau potable à sa population. On se souvient des fameux jardins de Salomon et de son aqueduc qui reliait le temple qu’il a fait construire aux sources de la vallée d’Ortas dites encore de Salomon.
Les archéologues ont cherché des traces tangibles du roi Salomon sur l’aqueduc. Un exercice périlleux, ne serait-ce que parce qu’un aqueduc ça se répare et donc ça s’efface. Ce n’est pas un temple, c’est une infrastructure fonctionnelle qui a tendance à se transformer.
Les archéologues se sont évertués à montrer que l’aqueduc méridional de Jérusalem est salomonien or, à y regarder de près, il est davantage romain que salomonien. Néanmoins rien n’interdit de penser que les romains et en particulier Ponce Pilate – à en croire Flavius Josèphe – ont construit ou rénové l’aqueduc entre Jérusalem et Ortas et rien n’interdit de penser qu’ils ont repris le tracé d’un aqueduc antérieur qui pourrait être celui de Salomon.
Vive nos aïeux !
Parmi les sources épluchées par l’auteur on découvre la revue Jérusalem, qui est le journal diocésain du patriarcat latin qui paraît toujours.
Et une revue ancêtre de notre La Terre Sainte, éditée en France sous le nom La Terre Sainte, Royaume de Marie de 1865 à 1875 puis de 1876 à 1907 sous le nom La Terre Sainte. Elle aurait été écrite par un chevalier du Saint-Sépulcre ! Promesse d’un article à venir sur les ancêtres de notre magazine.
Soliman le Magnifique, est lui l’un des sultans fondateurs de la puissance de l’empire ottoman au XVIe siècle.
Dans les archives de l’époque, on le voit présider à la fondation du waqf hydraulique de 1541 signé sur le Haram El Sherif, l’esplanade des mosquées. Le document est signé par les représentants du sultan, une série de fonctionnaires, des témoins, le mufti.
Le texte dit que Soliman a construit un aqueduc entre Jérusalem et Ortas. Ce qui est amusant c’est que c’est toujours le même, c’est toujours la même vallée, c’est toujours la même source. C’est logique, c’est de l’hydraulique gravitaire. Il faut perdre le moins d’altitude entre le point de départ et le point d’arrivée si bien que le tracé est imposé par le relief qui n’évolue pas ou peu.
Chaque souverain quand il entre en fonction cherche à imprimer sa marque, en particulier au moyen de l’eau même s’il existe d’autres moyens comme des monuments, des lieux de culte etc. Mais alors qu’on aura tendance à détruire un monument pour en construire un autre à la place, le parcours de l’eau impose son empreinte et impose une certaine continuité.
Soliman fonde un waqf, une fondation pieuse musulmane. C’est comme un bien de mainmorte dans la culture chrétienne, c’est-à-dire qu’il va affermer un certain nombre de possessions impériales, des villages qui lui appartiennent, des terrains, des champs, des vergers dont les revenus vont servir à l’entretien de cette infrastructure. Les waqfs contribuent ainsi à financer des écoles, des dispensaires, orphelinats, des fontaines, une soupe populaire ou ici un aqueduc.
De plus Soliman, à l’aval de cet aqueduc, construit dans Jérusalem un certain nombre de fontaines qu’on peut voir encore aujourd’hui et ces fontaines sont dédicacées et dans certains cas on peut lire « Soliman second Salomon »
Cet écho entre la figure de Salomon et celle de Soliman revient fréquemment aux XVIe siècle. au moment de la fondation des infrastructures mais aussi en 1865 dans un document où 91 notables de Jérusalem de toutes confessions écrivent au sultan, à Istanbul, pour lui demander que les canalisations qui sont abîmées soient restaurées.
Ce document qui est rédigé en ottoman – en turc de caractères arabes – fait référence au waqf de Soliman et à Salomon. Au XIXe siècle à Jérusalem, la personne de Salomon n’est pas liée à l’identité juive, Salomon est la figure fondatrice de l’entité urbaine locale et elle est utilisée dans des documents purement musulmans ou Salomon est le porte-drapeau de l’identité citadine de Jérusalem ; Salomon c’est le roi de Jérusalem, jusqu’à la guerre de 1914, il n’est pas juif, il est la figure syncrétique des identités religieuses locales.
Sans compter qu’avec ces deux noms, Salomon et Soliman, nous sommes dans l’homophonie totale. Dans les langues sémitiques les deux noms s’écrivent SLMN, sans voyelle. Ce qui distingue l’un de l’autre ce sont leurs qualificatifs l’un est roi, l’autre empereur Mais il est intéressant de voir que nous sommes jusqu’à la fin du XIXe dans une grande porosité des systèmes identificatoires des référents.
Aujourd’hui on a l’impression que chacun a pris son hérault (héros) à l’époque, c’est beaucoup plus complexe.
Juifs, chrétiens, musulmans en paix dans la même ville ?
Si l’on regarde les sources de l’administration locale, par exemple les recensements fiscaux, et si l’on regarde quels toponymes les fonctionnaires locaux utilisent pour localiser les propriétaires, on se rend compte qu’il n’y a pratiquement pas de toponymes confessionnels, il n’y a pas de quartier juif ou musulman ou chrétien.
Les recensements ottomans pour les années 1883-1905, utilisent une vingtaine de toponymes, il n’y en a que trois à consonances confessionnelles. Cela signifie que dans l’esprit des habitants de l’époque la ville n’était pas divisée comme aujourd’hui avec les quatre quartiers musulman, juif, chrétien, arménien.
Et si l’on regarde la religion du chef de famille – qui de fait est notée lors des recensements- on voit que les quartiers mixtes l’emportent de très loin sur les zones homogènes.
La fameuse quadripartition de Jérusalem, dont on a l’impression qu’elle est de toute éternité, a été fabriquée pratiquement de toutes pièces par les visiteurs occidentaux qui arrivant dans cette ville sont perdus, cherchent à comprendre la complexité de la ville et pour se faire cherchent à la simplifier.
De fait les Arméniens tendent à se regrouper, de fait les chrétiens habitent de préférence auprès du Saint-Sépulcre pour autant, il y a beaucoup de juifs dans le quartier musulman, beaucoup de musulmans dans le quartier juif, énormément de chrétiens dans le quartier musulmans et vice-versa, le quartier le plus homogène est le quartier arménien.
Jusqu’en 1905, 1910 il y a une identité citadine commune partagée, la mixité l’emporte sur l’homogénéité des quartiers, c’est encore plus vrai de la ville nouvelle y compris dans les quartiers bourgeois hors les murs.
Au moment où l’on parle de Jérusalem capitale de deux États, ses eaux sont-elles toujours un enjeu ?
Il faut rappeler que jusqu’en 1910, l’eau n’est pas un élément concurrentiel, c’est plutôt un élément de partage, on s’arrange, quand telle communauté a moins d’eau l’autre lui en donne etc.
En 1908, Arthur Rupin à la tête du bureau de l’organisation sioniste s’installe à Jaffa, ouvre dans les deux mois un dossier qu’il intitule en allemand Wasserleitung von Jerusalem, adduction hydraulique pour Jérusalem. Cela montre que le mouvement sioniste a une conscience assez aiguë et précoce de l’enjeu hydraulique.
Pour les Palestiniens, c’est plus tardif. C’est aussi logique, comme ils sont sur place, ils ne peuvent pas imaginer que cela puisse représenter un problème d’autant moins qu’ils sont très dominants sur la question et que l’eau arrive en abondance sous le Haram El Sherif.
Ce n’est qu’au milieu des années vingt que les Palestiniens réalisent cet enjeu, quand une nouvelle fois la source d’Ortas est détournée par la municipalité mandataire de Jérusalem qui interdit à Ortas l’activité principale qui est le maraîchage. Toute la vallée maraîchère va plus ou moins être dédommagée, mais les Palestiniens se plaindront que l’eau d’Ortas ne serve plus qu’à l’accroissement de la ville juive de Jérusalem.
L’exécutif du Congrès arabe palestinien va s’emparer de cette affaire et la politiser pour dénoncer le caractère démesuré à leurs yeux de l’immigration juive. De fait, 1925 est un pic d’installation de juifs à Jérusalem, 34 0, contre environ 8 5 en 1922, 8 0 en 23, 3 0 en 22, 2 0 en 28.
Cette immigration entraîne le développement urbain de la ville, or faire des maisons génère d’énormes besoins en eau pour les mortiers, bétons etc. De plus 1925, c’est l’année de la construction de l’université hébraïque sur le Mont Scopus, et c’est l’année d’une impressionnante sécheresse.
C’est la conjonction de tout cela qui entraîne une crise terrible. On assiste à des bagarres dans les rues ; les sources, les fontaines publiques sont gardées par des soldats. Elles ne sont ouvertes que deux heures par jour, et les mères de famille reçoivent des bons de distributions en fonction du nombre d’enfants.
C’est le premier moment où je vois la politisation explicite de la question de l’eau.
Parle-t-on toujours de l’eau dans le processus de paix ?
Dans l’initiative de Genève, il y a un chapitre sur l’eau. Les positions israéliennes et palestiniennes diffèrent, et dans les discussions actuelles au sujet de l’approvisionnement en eau on entend l’écho des débats des années vingt.
Les Israéliens depuis le début sont dans une logique de grandes infrastructures, de grands investissements. À l’inverse la partie palestinienne défend une approche à plus petite échelle, en défendant par exemple le droit des mini captages dans les villages palestiniens, le droit d’avoir des citernes domestiques qui ont été interdites durant le mandat et pendant tout une partie de la période israélienne parce que ce n’était pas hygiénique
De nos jours les Israéliens songent à construire d’immenses usines de dessalinisation sur la côte tandis que les Palestiniens font une approche locale extrêmement fine, liée à la pluviométrie par secteurs, aux ressources existantes etc.
Tous les acteurs persistent à dire que l’eau est un des cinq dossiers parmi les plus importants avec le retour des réfugiés, les frontières, le statut de Jérusalem, mais l’eau est la seule à ne pas constituer un point de blocage ; l’eau au contraire elle constitue plutôt un support de dynamique dans la discussion.
Vous avez étudié l’histoire de Jérusalem avant ses divisions, pensez-vous qu’elle puisse devenir la capitale de deux États ?
Il n’y a que deux façons de partager : soit on construit un mur, une frontière ce qui est devenu impossible du fait des implantations juives du côté arabe ; soit on partage la gestion d’un territoire commun et alors il faut définir des compétences.
Je pense que l’on arrivera à cette seconde solution c’est-à-dire à un pouvoir municipal sur Jérusalem qui sera mixte, avec des élections locales auxquelles tout le monde participera.
Et tous devront veiller à ce que les équilibres ne soient pas rompus afin de gérer les affaires communes de la ville comme cela c’est fait jusqu’en 1948. La partition de la ville, s’est «epsilon» à l’échelle historique.
La vocation de Jérusalem n’est ni dans la séparation ni dans l’exclusion mais dans l’équilibre des traditions en présence.
D’où Jérusalem tire-t-elle son eau au XIXe ?
À défaut de source intra muros, la ville de Jérusalem s’approvisionne en eau de trois manières.
– Grâce à un chapelet de sources dans la vallée orientale : source de Gihon, fontaine de Siloé, puits de Job…
– Grâce aux citernes qu’elles soient collectives comme les grands bassins à ciel ouvert de Bethesda, ou du Sultan, du patriarche ; ou communautaires comme celles du couvent Saint-Sauveur ou encore domestiques, privées, chaque unité d’habitation pratiquement avait sa citerne.
– Grâce aux sources régionales, extérieures
La vieille ville de Jérusalem est située à 730-740 mètres d’altitude et dans le cadre d’un système hydraulique gravitaire – jusque dans les années 1930 on ne sait pas faire monter de l’eau – il faut trouver des sources qui soient plus hautes.
Soit au sud sur la dorsale Bethléem/Hébron avec Ortas et Aroub, soit au Nord au-delà de Ramallah.
Le scoop
Quelle ville européenne a la même pluviométrie (à peu de chose près) que Jérusalem ?
Vous n’allez pas en croire vos yeux : Londres ! (583,6 mm en moyenne de 1971 à l’année 20) «… on retiendra trois chiffres simples : la pluviométrie moyenne de Jérusalem s’élève à environ 650 mm par an ; les années les plus sèches à environ 350 mm ; les années les plus humides à 950 mm. Jérusalem sur le plan quantitatif, ne manque donc pas de pluie puisqu’elle reçoit à peu près la même quantité que Londres ; c’est bien l’irrégularité de ces pluies qui posent problème et qui rend primordiale la question du captage et de la conservation.
La soif de Jérusalem,
Les citernes et les eaux
du ciel p 186
La Terre Sainte actuelle est redevable sans le savoir au pacha et Vice Roi d’Egypte, connu sous le nom de Mehemet Ali de son nom complet Muhammad Ali Pasha al-Mas’ud ibn Agha. C’est à lui que l’on doit la possibilité pour les occidentaux de pouvoir non seulement venir – ce qu’ils ont toujours pu faire au cours des âges – mais surtout de pouvoir se fixer en Palestine. Officiellement vassal du sultan ottoman, il n’hésita pas à mener une politique indépendante et expansioniste. Sous la direction de son fils Ibrahim Pacha, les armées de Méhémet-Ali s’emparèrent de la Palestine et de la Syrie, et s’approchèrent jusqu’à quelques jours de marche de Constantinople. Une intervention diplomatique franco-britannique conduisit à une solution négociée en 1833, laissant le contrôle de la Syrie et de la Palestine à l’Égypte. Quand les Turcs reprirent le contrôle de la Palestine en 1840, l’empire ottoman n’était plus le même et les libertés accordées par Ibrahim Pacha aux minorités religieuses juives et chrétiennes leur permirent de se renouveler sur la terre qui les avait vu naître !
Dernière mise à jour: 29/12/2023 23:58