Les quelque 2000 soudanais encore présents en Israël vivent un tournant décisif. Arrivés dans le pays en tant que réfugiés, il pourraient le quitter volontairement puisque le Soudan du Sud a proclamé son indépendance.
Jusqu’en juillet 2011 il n’y avait pas d’autre solution, et même si la route vers Israël n’était pas sans embûche, des milliers d’exilés du Soudan et du Darfour s’y engageaient nombreux avec le seul but de fuir l’horreur de la guerre civile frappant leur pays depuis plus de cinquante ans. Mais désormais tout a changé, le Soudan du Sud a accédé à l’indépendance le 9 juillet 2011. Le pays va être reconstruit à zéro, et les 2 000 réfugiés soudanais vivant en Israël se retrouvent confrontés à la question d’un éventuel retour : si rester en Israël est une possibilité, qu’impliquerait au contraire le retour chez eux ? À ceux qui n’ont pas suivi le drame soudanais durant les cinq dernières décennies, il pourrait être difficile de comprendre la jubilation et l’allégresse avec lesquelles a été reçue la nouvelle de la naissance du nouvel état du Soudan du Sud. L’attente fut longue, le chemin tortueux et le poids des millions de morts et d’exilés trop lourd pour ne pas se réjouir lorsqu’arrive le dénouement : ils ont enfin un pays.
Immédiatement reconnu par l’État d’Israël, en attente de l’établissement de relations diplomatiques stables avec le nouvel état africain, l’idée est que les réfugiés soudanais retournent au Soudan du Sud. Le gouvernement israélien les encourage à prendre le chemin de leur pays. Il est prêt pour cela à couvrir les frais du voyage de retour à ceux qui le désirent. Mais qu’en disent-ils ?
L’aventure ne fait que commencer, il reste aujourd’hui à travailler dur pour s’en sortir, pour construire un pays qui est pour l’heure sans activité économique et sans ressource. Mais ils semblent prêts, l’envie ne manque pas, l’effort, le travail acharné et la bonne volonté non plus. Les réfugiés soudanais en Israël l’affirment, ils rêvent de rentrer chez eux tout en craignant de débarquer dans un pays ravagé et qui plus est les mains vides après ces nombreuses années d’exil et de survie. Si leurs espérances sont nombreuses, ils savent aussi que la réalité face à laquelle ils vont se confronter en atterrissant à Yuba, leur nouvelle capitale, n’est pas si facile.
Chrétiens africains en Israël
Ils sont chrétiens, en grande majorité venus d’Erythrée, d’Ethiopie, du Tchad et du Soudan, et lorsqu’ils arrivent en Israël ils essayent tant bien que mal de trouver des lieux de célébration religieuse. Difficile à Eilat où la plupart d’entre eux passent les premiers mois à travailler dans des hôtels et où il n’y a pratiquement aucune église. La seconde destination est le plus souvent Tel Aviv dans la mesure où s’y trouvent toutes les ONG d’aide aux réfugiés. La Pastorale des immigrés qui dépend de l’Eglise Latine de Terre Sainte peut compter sur l’aumônier de la communauté africaine, le père Adam Civu. Tous les samedis matins des dizaines de fidèles se réunissent dans l’église Saint Pierre à Jaffa pour la célébration de la messe. Chants africains, nombreux enfants et débordement de joie. Vivre en Israël cependant n’est pas leur objectif, la Terre Sainte n’est pour eux qu’un lieu de passage parmi tous ceux qu’ils ont dû traverser pour survivre, dans l’attente d’une vie meilleure. La vie d’un réfugié est une lutte désespérée et constante pour survivre, dont le futur est sans promesse. Mais au cœur de cette attente, il n’est pas question pour eux de laisser de côté leur vie spirituelle et celle de leurs enfants. L’Eglise, de par son caractère universel, offre la possibilité à chacun de recevoir les sacrements dans sa langue maternelle et en communauté.
Un nouveau type d’immigration
La situation fut difficile pour Israël, pays habitué à une immigration radicalement différente et absolument pas préparé à assumer ces milliers de réfugiés et de demandeurs d’asile africains. C’était la première fois que le pays était confronté à un flux massif d’exilés qui aujourd’hui atteint les 20 000 personnes. Une population non juive prête à tout pour rentrer dans le pays, trouver un travail et s’en sortir. La politique d’immigration en Israël est fondée sur la Loi de la Nationalité de 1952, laquelle complète la Loi du Retour de 1950 basée sur le principe de jus sanguinis établissant le droit de tout Juif à immigrer. La Loi de la Nationalité leur donne simultanément la nationalité juive. Israël étant un pays jeune avec un système de régulation des demandes d’asile politique encore en développement, le flux des réfugiés africains qui à partir de 2007 fit la une des journaux nationaux, a pris de court les autorités. Ce fut le commencement des problèmes et des questions de légalité. Quel statut donner à ces milliers de personnes venues d’Afrique qui arrivent chaque jour à la frontière d’Eilat ?
Même s’ils sont communément dénommés réfugiés, certaines différences sont à prendre en compte. « Les demandeurs d’asile politique disposent d’un statut distinct de celui des réfugiés en général » souligne Cloé Sparragano, coordinatrice des demandes de papiers de la ARDC (African Refugee Development Center), organisation israélienne dont le siège est à Tel Aviv et qui depuis 2004 aide la population africaine en besoin d’asile politique en Israël. La première étape consiste pour eux à parvenir à traverser la péninsule du Sinaï et arriver en Israël. À partir de ce moment-là, ils deviennent « demandeurs d’asile » et commencent un long processus. « Nombreux sont ceux qui demandent le statut de réfugié », explique Lisa, collègue de Cloé à ARDC, « mais il est très difficile de l’obtenir. L’année dernière sur 3 000 demandes, Israël n’a accordé le statut de réfugié qu’à trois personnes seulement et deux d’entre elles étaient de Corée du Nord ». Un réfugié dispose des mêmes droits qu’une personne qui a la nationalité, avec tous les avantages que cela implique : visa de travail, aides sociales, etc.
Demandeurs d’asile, et non pas réfugiés
Toutefois le demandeur d’asile quant à lui se retrouve dans une situation qui n’est autre qu’une impasse, il ne peut être déporté mais il n’est pas certain qu’il obtienne un visa de travail, il n’a aucun droit et bien évidemment n’a aucune couverture, ni assurance médicale ni rien. « C’est une manière de dire… Ok, nous reconnaissons que vous êtes là, nous vous protégeons mais ne comptez pas sur autre chose » commente Matthew, également à la ARDC. À l’heure actuelle en Israël, les exilés d’Erythrée comme ceux du Soudan ne peuvent obtenir le statut de réfugié. « Ce qu’ils peuvent faire – et ce en quoi justement nous les aidons depuis mon département- c’est obtenir un visa de liberté conditionnelle (conditional release visa) qu’ils doivent renouveler tous les trois mois. », explique Cloé. Ce programme nommé Assistance à la demande d’asile (Asylium Application Assistance) tente d’aider ceux qui ont besoin de papiers à demander un visa au Ministère de l’Intérieur israélien. Le siège est à Lod, là où il faut justement se rendre pour l’entretien durant lequel le demandeur d’asile doit présenter les documents qui prouvent son identité. « Pour cet entretien, tous les documents qui valident leur identité sont utiles, certificats de naissance, de mariage ou même documents délivrés par leur école dans leur pays d’origine, etc. » explique Cloé, tout en soulignant que cette étape est problématique puisque la majorité d’entre eux fuient d’un pays à l’autre sans aucun papier qui pourrait prouver leur identité. « Nous faisons alors la chose suivante : nous faisons appel à la Croix Rouge qui bien souvent réussit à contacter les familles des exilés au Soudan ou en Erythrée qui enverront les documents nécessaires pour passer l’entretien de Lod ». ARDC leur prépare également une lettre pour accompagner les documents de demande d’asile ; en outre, l’organisation propose des ateliers pour expliquer le déroulement de l’entretien et quelle attitude adopter. « Il y a par exemple de nombreuses femmes soudanaises qui ne regardent pas les hommes dans les yeux pour des raisons culturelles propres à leur pays, mais elles doivent savoir que pendant cet entretien au Ministère, il est préférable qu’elles regardent leurs interlocuteurs. »
La réponse des ONG
En plus d’une protection légale, l’équipe d’ARDC travaille à leur obtenir les aides minimales que la condition de demandeur d’asile ne leur accorde pas. Education, distribution de nourriture, abris pour femmes et enfants : telles sont les autres activités proposées par les volontaires qui travaillent à ARDC. Depuis l’éclatement du conflit au Darfour et l’arrivée massive des exilés, des dizaines d’Israéliens prenant conscience de la situation ont décidé non sans peine de monter une organisation pour venir en aide à ceux qui à ce moment-là en avaient le plus besoin. À la suite d’ARDC d’autres organisations à but non lucratif ont vu le jour. Leur siège est pour la plupart à Tel Aviv mais elles essayent aussi de s’implanter près des lieux où se trouvent les demandeurs d’asile lorsqu’ils arrivent d’Afrique. C’est le cas de l’association Advocates for Asylum, où Keith Goldstein travaille depuis deux ans en tant que volontaire en donnant des cours d’anglais et d’hébreu aux réfugiés africains qui le désirent. La plupart de ses élèves sont des hommes qui ont entre 15 et 25 ans arrivés en Israël fuyant leur pays d’origine et qui ne parlent pas la langue locale, pas même l’anglais. « Le langage est un outil basique nécessaire à la survie, la communication est le point de départ, si vous ne pouvez pas communiquer vous ne pouvez pas exprimer vos besoins, voilà précisément ce pour quoi nous essayons de les aider en leur enseignant les langues » explique Keith tout en montrant quelques exercices qu’elle a préparés pour ces cours. Des demandeurs d’asile arrivés du Tchad, de l’Erythrée et du Soudan assistent à ses huit cours par semaine en groupe de 5 ou 6 élèves par session. « Il y a d’autres nécessités mais nous n’avons pas les moyens d’y pourvoir, toutefois enseigner une langue est à notre portée » conclut-elle.
2 guerres civiles et 1 génocide ethnique
La fin de la colonisation britannique au Soudan en 1955 donna lieu à deux guerres civiles (1955-1972 et 1983-2005) entre le gouvernement de Khartoum, majorité musulmane au nord du pays, et les rebelles au sud, minorité chrétienne. A ceci s’ajouta en 2003 le conflit ethnique de la zone du Darfour située à l’ouest du Soudan entre les populations arabe et africaine. A la fin de la deuxième guerre civile, ils conclurent un Accord de paix global qui six ans plus tard devait se traduire par un référendum d’autodétermination. Celui-là même qui en juillet 2011 donna naissance au Soudan du Sud en tant qu’état indépendant du Soudan du Nord. A la fin de la deuxième guerre civile soudanaise, les chiffres évoquaient 2 millions de morts et environ 4 millions d’exilés. Ceux en effet qui ont pu s’échapper ont fui vers les pays voisins comme l’Ethiopie, le Tchad, l’Uganda et le Congo. Mais la plupart d’entre eux finirent par se retrouver en Egypte qui depuis 1994 commença à accepter les exilés soudanais. Même s’il n’y a pas de chiffres précis, les estimations rendent compte d’environ un million et demi de réfugiés soudanais vivant dans les zones les plus pauvres du Caire dans des conditions inhumaines. Depuis 2005, suite à l’éclatement deux ans plus tôt du conflit au Darfour que les Etats-Unis qualifièrent de génocide, des centaines de réfugiés commencèrent à arriver en Israël. Mais c’est à partir de 2007 que le flux d’exilés du Soudan, d’Erythrée, d’Ethiopie et du Tchad prit beaucoup d’importance, atteignant entre 50 et 100 exilés par jour. Ils arrivaient depuis l’Egypte où leurs terribles conditions de vie les avaient poussés à décider de risquer leur vie en traversant la péninsule du Sinaï pour arriver en Israël. En 2010, on parlait d’environ 20 000 réfugiés et demandeurs d’asile africains en Israël installés principalement à Eilat et dans les banlieues de Tel Aviv. Si la plupart d’entre eux sont originaires d’Erythrée et que les Soudanais à l’heure actuelle sont environ 2 000 dans tout Israël, la question, maintenant qu’ils ont un pays, est de savoir s’ils vont y retourner ou non.
William, demandeur d’asile soudanais
Séquestré par la milice du Soudan du Nord à l’âge de 9 ans, il vécut un véritable enfer. Il parviendra à s’en échapper seulement des années plus tard en s’enfuyant vers la capitale du Khartoum. Là il étudia dans un centre d’accueil tenu par des catholiques missionnaires. Refusant de rentrer dans l’armée afin de ne pas aller combattre dans le sud du pays où vivait et vit encore sa famille, il fut jeté en prison avant de s’échapper en Egypte où il demeura 7 ans jusqu’à ce que la situation au Caire devienne trop difficile pour y rester. Il décida alors de traverser le Sinaï pour rejoindre Israël avec la vague de réfugiés africains arrivée à Eilat en 2007. Il vit aujourd’hui à Tel Aviv où il travaille comme homme de ménage.
Depuis juillet dernier, le Soudan du Sud est devenu une réalité, que va-t-il se passer maintenant ?
Eh bien maintenant que nous sommes indépendants nous attendons que s’établisse l’ambassade du Soudan du Sud en Israël pour voir ce que nous allons faire. Il y a une grande sympathie entre le Soudan du Sud et Israël parce que nous avons un ennemi commun, les arabes musulmans contre lesquels nous nous sommes battus pendant des décennies. Israël annonce maintenant qu’il va nous aider, à dire vrai c’est autrefois que nous avions besoin d’aide, plus maintenant parce que nous avons un pays.
Allez-vous alors rentrer chez vous ?
Je ne suis pas en Israël pour m’installer c’est sûr. Mais même si nous avons désormais un pays, nous avons un peu peur de rentrer. Pour construire un pays, nous avons besoin de l’éducation, c’est le plus important. Moi je voudrais étudier, bien me former et ensuite bien sûr repartir dans mon pays, chez moi, parce qu’ici il n’y a pas d’avenir pour nous. Depuis que je suis arrivé, j’ai essayé d’étudier, j’ai même réussi les épreuves d’admission de l’IDC d’Herzliya mais les bourses qu’ils proposaient ne couvraient pas l’intégralité des frais et je n’avais pas les moyens de les payer.
Dernière mise à jour: 31/12/2023 12:34