Le phénomène de la survie est sans frontière. Au cœur d’un XXIe siècle en proie à une crise financière globalisée et brutale, le nombre des travailleurs étrangers ne cesse de s’accroître, en Europe surtout, mais aussi en Israël. Pont entre l’Orient et l’Occident, la Terre Sainte est une destination de plus en plus courante pour les travailleurs émigrés tandis qu’elle apparaît comme l’unique solution possible pour de nombreux réfugiés et exilés politiques de pays africains.
Selon la dernière étude réalisée par le Bureau Central des Statistiques israélien, plus de 116 000 travailleurs étrangers vivent actuellement dans le pays. En 2010 seulement, 32 000 étrangers sont entrés sur le territoire avec un permis de travail, 5 000 de plus que l’année précédente. Des chiffres impressionnants pour un pays qui compte environ 7 millions d’habitants. Consciente de cette réalité, l’Eglise Latine de Terre Sainte a créé une Pastorale pour les travailleurs étrangers dont l’objectif principal est d’apporter un soutien et un suivi spirituel à ces communautés venues des quatre coins du monde. Elles constituent en effet une minorité religieuse dans un pays à grande majorité juive, elles ne parlent pas la langue de la communauté chrétienne locale (arabe et hébreu) et il leur est souvent difficile de réaliser de longues distances pour assister à la messe régulièrement.
Un nouveau défi
Dans ce contexte s’inscrit ce que le père David M. Neuhaus sj, Vicaire patriarcal Latin du Vicariat catholique de langue hébraïque définit comme « le défi de l’Église locale d’être ouverte et d’évangéliser », se référant au plus de 200 000 travailleurs étrangers actuellement en Israël auxquels s’ajoutent les réfugiés, les exilés politiques, etc. qui au bout du compte constituent une importante communauté chrétienne face à des nécessités spirituelles nombreuses et variées. Messes dans leur langue natale, activités culturelles, excursions, visite de la Terre Sainte, etc. Chaque aumônier de la Pastorale essaye de répondre aux attentes de ses fidèles en leur offrant les moyens spirituels de mener une vie chrétienne hors de leur pays d’origine.
Existant dans la pratique depuis plusieurs décennies, la Pastorale des Immigrants est désormais officielle depuis avril dernier et dispose d’ores et déjà d’une commission de coordination présidée par le père David M. Neuhaus sj, nommé par le Patriarche Latin, Fouad Twal. « L’idée est que chaque aumônier de la Pastorale des Immigrés travaille en coordination avec les aumôniers des autres communautés et avec l’Eglise locale » explique le père Neuhaus. Aujourd’hui, la Pastorale dispose de prêtres pour les communautés philippine, africaine, indienne, latino-américaine, ukrainienne, roumaine, libanaise et polonaise. A ces diverses communautés, s’ajoute le fait que les chiffres des travailleurs étrangers ne cessent de varier. « C’est une population de type fragile, qui fluctue sans cesse, ce sont des personnes qui ne viennent pas pour s’installer mais pour travailler pendant le temps qui leur est imparti par le visa, et dont l’avenir est incertain » souligne le père David, tout en rappelant comment en quelques années une communauté étrangère très nombreuse peut brusquement décliner et vice-versa. « Voilà ce qui arriva avec la communauté des travailleurs roumains » affirme-t-il « et il s’agit d’un phénomène imprévisible ».
Autre résolution prise par la commission de coordination de la Pastorale : sensibiliser la société face à l’existence de ces communautés. Déjà lors du dernier synode du Moyen Orient le thème fut largement évoqué, commente le père David. Aux travailleurs étrangers s’ajoutent des centaines de milliers de réfugiés ou des personnes en demande d’asile politique qui pour la plupart viennent de pays africains et sont chrétiens. Tel Aviv et Eilat sont les villes les plus couramment ciblées par les immigrants. Afin de renforcer l’efficacité de la Pastorale, la commission a examiné la nécessité de contacter et de travailler en coordination avec les ONG locales qui travaillent de près avec ces populations et qui disposent d’une expérience aidant à connaître la réalité à laquelle se trouvent confrontés aussi bien les réfugiés que les exilés politiques.
Et les enfants ?
La réunion tant attendue qui a eu lieu en avril dernier a présenté les points décisifs qui désormais feront l’objet de l’effort commun de la Pastorale. « Outre la coordination, deux thèmes clés ont été avancés au moment d’aborder les besoins spirituels de ces communautés de travailleurs étrangers en Israël » commente le père Neuhaus. Le premier point concerne les enfants et le second les lieux de réunion pour les célébrations religieuses. « Je me réfère aux enfants de ces travailleurs, nés ici ou arrivés avec leurs parents alors qu’ils étaient encore très petits » continue-t-il. Le phénomène des travailleurs étrangers a pour conséquence un autre phénomène dont l’importance n’est pas des moindres : les enfants. Pour commencer, ils parlent tous hébreu, contrairement à leurs parents. La majorité d’entre eux n’ont jamais vécu dans leur pays d’origine ou ne s’en souviennent plus, vont à l’école avec des enfants israéliens et sont finalement plus intégrés que leurs parents dans la société israélienne. Cependant, ils appartiennent à une minorité religieuse, les chrétiens catholiques, et n’ont pas la citoyenneté israélienne. Une situation problématique puisque le nombre d’enfants de travailleurs étrangers et d’exilés politiques n’a de cesse d’augmenter.
Face à cette réalité et grâce à l’initiative de la paroisse de la communauté philippine, des catéchèses en hébreu sont proposées à une vingtaine d’enfants dans un centre récemment ouvert à Tel Aviv. « C’est une première, et si ça marche bien, l’idée sera appliquée aussi aux autres communautés de la Pastorale » raconte le père Neuhaus, tout en montrant les livres avec lesquels le message du Christ est enseigné aux plus jeunes. Mais la joie de pouvoir compter sur ce groupe de catéchisme est quelque peu ternie par un obstacle pratique rencontré au moment de s’occuper spirituellement des communautés qui forment la Pastorale : celui de l’espace physique où se réunir. « Nous sommes limités pour ce qui est des lieux où peuvent se rencontrer les fidèles » souligne le père David, « à Tel Aviv, il n’y a rien, les églises dans cette région du pays sont à Jaffa et pour la plupart des fidèles sont bien trop éloignées » continue-t-il. « Nous avons besoin d’un centre bien placé à Tel Aviv dans une zone où les fidèles pourraient venir sans problème » il conclut, non sans rappeler que le centre où le catéchisme est enseigné aux enfants a déjà du déménager trois fois.
L’Asie en force
Parmi ceux qui arrivent des cinq continents prédominent aujourd’hui avec force les asiatiques : ils représentent en effet plus de la moitié des travailleurs étrangers – les Philippines et la Thaïlande en tête de liste, suivies de près par la Russie et d’autres pays de l’ex-URSS, l’Inde et la Chine. Si cette population d’immigrés est constituée à 52 % d’hommes, il y a en réalité chez les asiatiques une majorité écrasante de femmes et seulement 13 % d’hommes. Un phénomène facilement explicable par le type d’activités auxquelles ils ont l’habitude de se consacrer. Les femmes asiatiques pour la plupart, gagnent leur vie en accompagnant et en prenant soin des personnes âgées. Elles laissent derrière elles mari, enfants et amis, et en plus de leur famille, leur communauté spirituelle et la sécurité de vivre dans leur pays d’origine. Elles doivent se confronter brutalement à un pays radicalement différent du leur. Israël leur donne un visa de travail et la possibilité de gagner leur vie pendant quatre ans mais il leur faut s’adapter à une langue très différente, à une autre conception de l’Etat, à une religion majoritaire qui n’est pas la leur et enfin à une société un peu moins pittoresque. Et le tout pour un salaire qui tourne autour des 1 000 dollars américains par mois, rapidement déboursés puisque l’idée est d’en envoyer la plus grande partie possible chez eux dans leur pays en ne s’accordant à eux-mêmes que le plus strict nécessaire. Et sans oublier que les premiers mois de paye voire la première année toute entière sont consacrés au remboursement de la dette contractée par l’achat du billet d’avion pour aller en Israël.
Et une fois arrivés ?
La question est de savoir quelles sont les vies menées par ces 100 000 travailleurs étrangers une fois arrivés en Israël ? Le père Angello Ison, aumônier franciscain chargé depuis 1997 de la communauté philippine en Israël livre le récit de son expérience : « Ils travaillent, travaillent, travaillent et lorsqu’ils libèrent leur dimanche pour se rendre à la messe, ce moment devient le centre de leur vie spirituelle, civique et sociale, un moment de rencontre avec les autres travailleurs étrangers de leur communauté avec lesquels ils partagent les mêmes conditions de vie ». En effet, il ne faut pas oublier que ce qui peut rendre difficile l’adaptation des travailleurs étrangers en Israël est qu’ils se retrouvent pour la première fois de leur vie habitant un pays où ils représentent une minorité religieuse. Mais l’adversité est facteur d’unité. Face à une société radicalement différente de la leur, pouvoir assister à la messe et avoir la possibilité de se confesser dans sa langue maternelle leur permet de mener leur vie spirituelle en se sentant comme chez eux. « Les messes sont en Tegalog » raconte le père Angello « J’ai l’habitude d’inviter des prêtres philippins pour des périodes de trois mois afin qu’ils puissent prendre soin des fidèles et qu’ils se sentent comme chez eux ». Reste que célébrer la messe en Tegalog ne résout pas tous les problèmes. « Seulement 15 % d’entre eux viennent jusqu’ici car c’est un peu compliqué pour eux » continue le père Angello se référant à la région de Tel Aviv, aux églises Saint Pierre et Saint Antoine à Jaffa. La situation est paradoxale puisque les travailleurs étrangers vivent en très grande majorité à Tel Aviv, dans la ville la plus laïque de l’Etat d’Israël, où il est pratiquement impossible de trouver une église. « C’est la raison pour laquelle nous avons ouvert un centre près de la gare d’autobus à Tel Aviv » explique le père Angello. Le lieu s’appelle la chapelle de la Divine Miséricorde ; la messe y est célébrée et c’est là qu’une vingtaine d’enfants originaires des Philippines suivent des catéchèses en hébreu.
Disparition de la main d’œuvre palestinienne
Fin 2010, Israël comptait officiellement 225 390 travailleurs étrangers dont près de 150 000 illégaux soit plus de la moitié. Ce soudain attrait des étrangers pour Israël et la possibilité « d’entretenir » autant de clandestins sont nés de l’appel d’air créé ces dernières années par l’interdiction faite à l’immense majorité des Palestiniens de venir travailler en Israël « pour raison de sécurité ». Si, l’entente entre Palestiniens et Israéliens a toujours été relative (sic) depuis 1948, du moins depuis 1967 avaient-ils trouvé un modus vivendi. Les travailleurs en provenance de Gaza et de la Cisjordanie entraient chaque matin en Israël et s’en retournaient chez eux le soir. Nombre d’entre eux étaient des journaliers, et la plupart étaient embauchés à moindre coût. On estime à 180 000 personnes le nombre de travailleurs qui faisaient ainsi quotidiennement la navette d’un territoire à l’autre. Paradoxalement, ce sont les accords de paix d’Oslo qu ont marqué le glas de cet échange de services. En même temps qu’Israël acceptait le transfert de compétences économiques vers l’Autorité Palestinienne, l’État Hébreu imposait, dès 1993, les premières mesures de « bouclage » entre les deux entités politiques, mettant un terme à la libre circulation des populations. Ces mesures, compréhensibles pour une part dans la perspective de la création de deux États distincts, devinrent petit à petit des mesures de privation voire de rétorsion à partir de la deuxième Intifada.
Au final, en 24 ans, le nombre de travailleurs palestiniens travaillant en Israël a été diminué par soubresauts successifs par (presque) six.
1987 180 000 (avant la 1re Intifada)
1991 100 000
1992 116 000 (après la guerre du Golfe)
1993 65 000 (après les accords d’Oslo)
1996 35 000
1998 56 000
2000 125 000 (avant 2e Intifada)
mi 2002 7 532
fin 2002 31 018
mars 2004 33 386
mars 2011 33 000
À ces chiffres officiels s’ajoute, en 2011, le nombre de quelque 15 000 Palestiniens qui, en dépit du mur de séparation et de toutes les barrières de sécurité, arriveraient à se rendre en Israël clandestinement chaque jour. Preuve que l’absence d’attentat dans l’État hébreu n’est pas due aux mesures de sécurité israéliennes qui laissent apparaître des limites pour qui entend vraiment les déjouer.
Reste que la main-d’œuvre palestinienne se trouve gravement affectée par le chômage dans ses territoires sans État de Droit.
500 000 chrétiens en Terre Sainte ?
Pour donner une idée de la population de la Terre Sainte, Israël et les Territoires occupés (bande de Gaza incluse), on arrondit au chiffre supérieur de 11 millions d’habitants : 6 millions de juifs et 5 millions d’Arabes au milieu desquels vivraient 180 000 chrétiens, soit 1,5 % de la population appartenant à 13 églises différentes. Autant qu’une statistique – généreusement arrondie – puisse être fiable, on omet de dire, pour simplifier une situation compliquée dans tous les domaines, que ces 180 000 chrétiens sont arabes (Israéliens et Palestiniens).
Or on considère que la plupart des 200 000 travailleurs étrangers sont chrétiens, admettons que 100 mille d’entre eux le soient vraiment.
Et surtout, suite à l’immigration slave des années 90, circulent des chiffres faramineux : 400 000 des Slaves ayant bénéficié de la loi du retour au titre de leur judaïté seraient en fait chrétiens.
Un certain nombre aurait déjà émigré vers les États-Unis, mais en 2010 certaines estimations considèrent qu’ils seraient encore 200 000, tous orthodoxes (les statistiques israéliennes n’en reconnaissent que 23 000, ceux en fait qui ont osé afficher la couleur lors du recensement).
L’un dans l’autre, la Terre Sainte compterait 480 000 chrétiens, dont la moitié est orthodoxe. Et la moitié aussi serait entrée dans le pays ces 20 dernières années.
Quand bien même la population slave chrétienne s’assimile à la société israélienne et par voie de conséquence au judaïsme, avec des conversions massives dans le cadre du service militaire pour la deuxième génération, même si le gouvernement israélien organise savamment le roulement des populations de travailleurs immigrés ; ces données aujourd’hui ne sont pas seulement un « casse-tête » pour les Églises qui veulent accompagner ces nouveaux fidèles mais elles sont les prémices d’une évolution à venir (si ce n’est en cours) du visage du christianisme en Terre Sainte.
L’universalité de l’Église de Terre Sainte n’en paraît que plus évidente et en même temps ces différents groupes s’ignorent mutuellement. Il faudrait pouvoir les unir sans les confondre.
Les 180 000 chrétiens arabes n’en demeurent pas moins les fils de prédilection de ce pays où ils ont porté au cours des siècles, sous tous les régimes politiques, la flamme de la foi. La situation actuelle fait d’eux aussi la population chrétienne la plus menacée. Il ne s’agit pas seulement de politique, mais aussi de mondialisation, de schémas familiaux et économiques qui évoluent très vite avec une perte de vitesse des traditions et valeurs chrétiennes. L’Église de Terre sainte est décidément magnifique mais toujours fragile.
Dernière mise à jour: 31/12/2023 12:39