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Munib Younan: mission dialogue

Edward Pentin
31 janvier 2012
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Mgr Younan salue le patriarche copte orthodoxe de Jérusalem dans le grand salon du patriarcat grec orthodoxe. ©MAB/CTS

La petite communauté luthérienne de Terre Sainte est particulièrement attachée à la paix et à la réconciliation. Et depuis
un an environ, l’évêque de Jérusalem est également le président de la Fédération luthérienne mondiale.


« Pour moi être évêque signifie être « le serviteur des serviteurs » ». C’est ainsi qu’a commencé la conversation avec l’évêque luthérien de Jérusalem Monseigneur Munib A. Younan, élu il y a un an et demi président de la Fédération luthérienne mondiale. « Je suis un arabe chrétien palestinien – précise-t-il – qui a grandi à Jérusalem-Est. Mes parents étaient des réfugiés venant d’un village où vivaient seulement treize familles chrétiennes mais où aujourd’hui il n’y en a plus une seule. »
Pour quelqu’un comme Mgr Munib A. Younan, le fait d’être minoritaire (y compris dans sa religion) dans son propre pays est quelque chose de normal et non traumatisant. « J’ai grandi dans la tradition évangélique luthérienne. Mes parents m’ont appris dès mon plus jeune âge qu’être un bon luthérien signifie s’engager dans l’œcuménisme. J’ai donc toujours considéré les chrétiens des autres confessions comme des frères et sœurs dans le Christ. Puisque nous sommes d’accord sur 95 % des contenus doctrinaux, le reste, nous pouvons le laisser de côté. Regardons ce qui nous rassemble plutôt que de regarder ce qui nous sépare. Surtout dans une époque comme celle-ci, où nous sommes de plus en plus éloignés de Dieu et de notre prochain. Sur ce point, je rejoins Sa Sainteté Benoît XVI. Quand je l’ai rencontré en décembre, il disait que l’Europe avait besoin de mieux connaître le Christ, qu’elle avait besoin de spiritualité. Je peux dire la même chose de mon Église. Nous avons besoin d’un christianisme plus profond, d’une spiritualité qui nous enseigne à voir le Christ dans notre prochain. C’est un défi qui concerne toutes les Églises chrétiennes de Jérusalem ».

Une école de cohabitation

Quand on lui demande quels sont les principaux outils pastoraux de l’Église luthérienne de Jérusalem, l’évêque Younan n’a pas de doute : « Nous avons, nous aussi, des écoles similaires aux écoles catholiques, où 48 % des élèves sont musulmans. Nous mettons l’accent sur la cohabitation entre l’islam, le judaïsme et le christianisme. Nous enseignons à dialoguer sur le plan politique, nous tenons à ce que nos élèves apprennent la non-violence, nous faisons la promotion du rôle des femmes, et transmettons une éducation de qualité. Nous misons beaucoup sur la formation et sur l’éducation capable de transformer la société. Les Églises, à travers les institutions éducatives, offrent une contribution déterminante pour la création d’une société inspirée des valeurs de paix, de justice et de réconciliation. » Sur les relations œcuméniques et interreligieuses, l’évêque luthérien s’est engagé, avec les chefs religieux des Églises chrétiennes, à promouvoir un climat d’ouverture et de dialogue. Un travail qui a abouti à des objectifs concrets. « Nous les luthériens, avec les anglicans, les patriarcats catholiques, avec les franciscains et les Églises orthodoxes, nous avons participé au Conseil des institutions religieuses de Terre Sainte, un organisme auquel appartiennent aussi les deux grands rabbins d’Israël, le juge président du tribunal islamique, et les ministres des affaires religieuses en Israël et en Palestine. Nous avons abouti à trois objectifs : Tout d’abord, nous dénonçons chaque déclaration blessante prononcée à l’encontre des autres, rabbins, imams ou représentants du clergé chrétien. Deuxièmement, en collaboration avec l’Université de Yale (États-Unis), nous sommes en train d’étudier 700 manuels scolaires d’Israël et de Palestine, pour analyser les enseignements qui sont transmis les uns sur les autres. Lorsque nous aurons en main les résultats de cette enquête, nous nous tournerons vers les ministres de l’éducation en Palestine et en Israël pour leur demander d’introduire les changements opportuns afin que notre prochain puisse être représenté comme il le mérite. En ce moment nous sommes en train de préparer un document sur Jérusalem, et sur ce qu’elle représente pour les musulmans, les chrétiens et les juifs. Élaborer un tel document sur les divergences et les convergences est déjà un dialogue. Jérusalem, si nous le voulons, peut être un instrument de réconciliation. »

Arabe, chrétien, palestinien

Dans l’histoire personnelle de Munib A. Younan ces trois identités coïncident. Et elles doivent certainement peser beaucoup dans les choix pastoraux de l’Église luthérienne de Terre Sainte. « Comment pouvons-nous renforcer la spiritualité de notre Église ? Comment pouvons-nous progresser plus en profondeur sur notre chemin ? C’est en donnant la priorité à l’écoute de la Parole et à la recherche de réponse aux problèmes de notre propre peuple en partant de ce que l’Évangile et les Écritures nous disent. C’est une des raisons pour laquelle nous encourageons les cours sur trois ans de formation au leadership, destinés aux jeunes âgés de 15 et 16 ans en plus des cours du dimanche, et à des groupes religieux qui pendant les week-ends peuvent ainsi approfondir leur compréhension de la foi. Cet engagement pour la formation au leadership est fondamental pour nous, compte tenu également de l’émigration croissante des chrétiens de Terre Sainte. Nous sommes maintenant au total moins de 1,7 % de la population. Et nous avons besoin de trouver des personnes disponibles et motivées pour transmettre aux plus jeunes le patrimoine de foi et de traditions que nous avons reçu un jour. »
Une pause, comme s’il cherchait les mots justes : « Il est temps d’être des témoins vivants du Christ dans le contexte arabe dans lequel nous vivons. Je veux aussi demander à tous nos lecteurs d’aider les chrétiens palestiniens à ne pas quitter Jérusalem. Nous, chrétiens palestiniens, devons être de plus en plus des instruments de paix, des promoteurs de la justice, des défenseurs des droits de l’Homme et en particulier de ceux de la femme, des initiateurs du dialogue et des ministres de la réconciliation. C’est pourquoi nous demandons à nos frères chrétiens d’Occident de prier pour nous. Ne nous laissez pas seuls, afin que nous puissions continuer à témoigner de la bonne nouvelle sur la terre où tout a eu un commencement. »♦


L’évêque de la non-violence

Munib A. Younan, est, depuis le 24 juillet 2010, président de la Fédération luthérienne mondiale, à laquelle adhèrent 145 Églises de 79 pays, représentant plus de 70 millions de chrétiens. Il est évêque de l’Église luthérienne en Palestine et Jordanie depuis 1998. Né à Jérusalem le 18 septembre 1950 d’une famille d’origine orthodoxe, il ressent à 11 ans le désir de servir la communauté luthérienne en tant que pasteur. Après le lycée, il étudie la théologie en Finlande et aux États-Unis. De retour en Terre Sainte, il exerce son ministère à Jérusalem, Beit Jala et Ramallah. Particulièrement attaché à la cause de la non-violence et au dialogue interreligieux, il est l’un des fondateurs du Conseil des Institutions religieuses de Terre sainte. Il est marié depuis 1980 et père de trois enfants. Il est grand-père.
Les origines de l’Église luthérienne de Terre Sainte remontent à 1841, lorsque la reine d’Angleterre et le roi de Prusse ont décidé de créer à Jérusalem un archevêché protestant commun. En 1886, l’Église luthérienne et anglicane ont commencé à travailler séparément. La communauté luthérienne arabophone de Terre Sainte compte aujourd’hui près de 500 membres, auxquels s’ajoutent environ 200 fidèles de langue allemande.

Dernière mise à jour: 01/01/2024 00:18

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