Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Le panier d’Ireneos

Giuseppe Caffulli
22 février 2012
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable

Jérusalem. Au croisement de la rue du Patriarcat grec et de la voie sinueuse qui conduit à la porte de Jaffa il y a une tour ronde. L’étrange bâtiment attire d autant plus l’attention qu’un panier est suspendu à l’un des fenêtres et se balance au vent. C’est l’unique lien qui relie encore le patriarche déchu Ireneos au reste du monde.


Jérusalem. À l’angle de la rue du patriarcat grec (sur laquelle l’élégante porte d’entrée du siège patriarcal ne s’ouvre pas sans raison), et de la voie sinueuse qui conduit à la porte de Jaffa, au milieu d’autres maisons et d’immeubles autrefois splendides (et maintenant recouverts d’une patine de décadence) on distingue une sorte de tour ronde. Une bizarrerie au milieu des formes architecturales carrées de l’essentiel de la vieille ville. Mais ce n’est pas la seule curiosité de l’immeuble. Attirant l’attention des passants et des pèlerins qui descendent en groupe vers le Saint-Sépulcre, un panier d’osier se balance dans les airs, suspendu à une corde guidée par une poulie.  De temps à autre dans la journée, un homme qui ploie aujourd’hui sous les années fait descendre le panier. Sa barbe hirsute lui masque de gris le visage, une croix d’or se détache sur sa soutane. Une femme, parfois une none, dépose dans le panier des vivres : du pain, des légumes, l’immanquable houmous, du riz bouilli. Au signal, le panier rejoint le deuxième étage de la tour, pour disparaître à l’intérieur où l’entraînent des mains maintenant osseuses.

Depuis quelques années, c’est ici qu’a trouvé refuge, ou plutôt c’est ici que s’est reclus le patriarche grec orthodoxe grecque déchu, Ireneos Ier.

Son histoire prend un tour tragique à la fin de l’année 2004, lorsque le comportement du patriarche – qui selon les commentaires de certains de ses confrères aurait sérieusement nuit aux droits de l’Eglise – conduit le Synode orthodoxe de Jérusalem à le déposer. Ce qui prit effet le 7 mai 2005. Quelques jours plus tard, le 24 mai, le Synode pan-orthodoxe de Constantinople (Istanbul) ratifiait la décision et «excommuniait» Ireneos Ier, le relevant de l’autorité patriarcale.Bien que le gouvernement israélien ait longtemps continué à défendre la présence du patriarche au siège patriarcal, installant des soldats armés dans le monastère grec de la vieille ville,  Ireneos n’a pas pu faire autrement que de se rendre. À sa place, le Synode a choisi Theophilos III parmi les membres de la fraternité monastique du Saint-Sépulcre.Depuis, réduit à l’état de simple moine, l’ancien patriarche a fait jouer tous les pions politiques à sa disposition, en Israël et à l’extérieur, pour résister. Dans une interview au Jerusalem Post, il a déclaré en termes non équivoques que «la nomination de Theophilos III est un acte illégal et qu’Israël, toujours attentif à la loi, faisait bien de ne pas la reconnaître. » De fait, la reconnaissance du nouveau patriarche – dans le domaine de la représentation juridique, et non de la légitimité de l’Eglise – n’interviendra qu’en 2007 après un long bras de fer avec les autorités israéliennes, qui cherchait également à invalider les ventes rendues possibles par Ireneos Ier.

En plus de contester la légalité de son éviction, Ireneos a toujours soutenu être étranger aux faits qui lui étaient reprochés et dont tous ne sont pas très clairs. Certaines rumeur l’accusent d’avoir vendu (ou pire bradé)  des propriétés du Patriarcat à des hommes d’affaires israéliens entrainant des dissensions à l’intérieur de l’Église orthodoxe de Jérusalem, qui possède d’immenses bien et de nombreux terrains. Entre autres objections soulevées à Ireneos celle selon laquelle il revenait au  Synode de gérer ce trésor.

Quoi qu’il en soit, au final, le religieux a dû capituler. Il s’est alors installé à quelques centaines de mètres, dans l’une des nombreuses propriétés du patriarcat de la vieille ville, ultime forme de protestation: s’exclure du monde, renoncer à toute relation, couper les ponts avec tout et tout le monde (à l’exception des quelques femmes qui assurent ses repas). Mais tout en rendant plus visible son opposition, avec ce panier suspendu à l’intersection de deux routes très fréquentées au cœur de la Jérusalem chrétienne.

Quelques années ont passé et certaines blessures sont restées dans le cœur de l’Eglise grecque-orthodoxe. Mais le magistère de Theophilos III, homme cultivé et ouvert, a été en mesure de dissiper les doutes de la plupart des fidèles orthodoxes, disséminés entre Israël (40000) et dans les Territoires palestiniens occupés (25 000).Reste pourtant ce panier en osier, ballotté par le vent, accroché à une fenêtre, tourné vers le mont des Oliviers. Le cri silencieux d’un homme défait, qui a choisi de s’enfermer dans le silence. Et qui attend maintenant d’être jugée par l’histoire.

Le numéro en cours

La Newsletter

Abonnez-vous à la newsletter hebdomadaire

Cliquez ici
Les plus lus