Un raccourci - dont on ne sait plus qui l'a créé a longtemps - dit que la Nakba, la catastrophe pour les Palestiniens était la création de l'État d'Israël. De plus en plus, la sémantique se déplace. La Nakba ce n'est plus (seulement) il y a 64 ans, c'est aujourd'hui "quand un paysan perd son champ à cause d’une colonie, quand un fils émigre à cause de la situation."
(Jérusalem/mab) 15 mai 2012, Jérusalem Est semble ne pas avoir entendu les appels à la grève générale lancés en Cisjordanie pour commémorer le début de la Nakba, la catastrophe, il y a 64 ans.
Tout est ouvert, les cours de récréation résonnent des cris joyeux d’enfants. Mêmes dans les quartiers les plus prompts d’ordinaire à affronter les forces de l’ordre présentes quotidiennement pour empêcher les heurts avec les colons, c’est plutôt calme.
Il y a bien eu quelques jets de pierres et leur cortège d’arrestation dans un quartier du sud de la ville. Mais alors qu’il était question de « plusieurs manifestations à Jérusalem Est », le bruit circule d’un unique rassemblement devant la porte de Damas en fin d’après midi.
Écrire « commémorer le début de la Nakba », tranche singulièrement avec la formulation habituelle : « La Nakba, la catastrophe que représente la création de l’Etat israélien».
On ne sait plus si ce raccourci est historique, politique ou journalistique. En revanche, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour présenter la Nakba de façon différente.
La différence la plus communément admise est de dire que la Nakba n’est pas un fait du passé. Si c’est la catastrophe de l’exode, si c’est la catastrophe de la perte de la terre, alors la Nakba continue.
« C’est tous les jours la Nakba ici ou là en Cisjordanie, explique Nadia, quand un paysan perd son champ à cause d’une colonie, quand un fils émigre à cause de la situation. »
La Nakba est-elle la création de l’État d’Israël ? Nadia répond : « La catastrophe c’est celle de la disparition de notre peuple, de son expulsion de ses terres, c’est celle de la séparation des familles, c’est celle des oliviers coupés. »
Nadia est de la manifestation de Jérusalem. Une manifestation particulièrement bien encadrée. Partie de la Porte de Damas, elle a remonté la rue Salah Eddin jusqu’à une cinquantaine de mètres des bureaux du ministère de la Justice israéliens situés là, pour revenir par la rue de Naplouse à son point de départ. Quelques drapeaux palestiniens sont brandis – ce qui est interdit à Jérusalem – ainsi que la représentation de clés qui symbolisent les villages perdus, détruits, les expulsions.
Ils sont 150 à 200 qui reprennent des slogans. « Nous sommes tous un, de Ramleh (banlieue de Tel Aviv NDLR) à Jenin, de Naplouse à Jérusalem. » « Il n’y aura pas de paix en Palestine tant que chacun n’aura pas le droit au retour. » « C’est clair, nous ne voulons pas voir un seul sioniste. »
Les dix soldats israéliens qui entendent cela restent impassibles. À vrai dire, ils ferment la marche. Il se dit qu’un accord a été passé sur la tenue de cette manifestation, sur son trajet, les symboles déployés, les limites à ne pas dépasser.
Au moment d’arrivée au point de retour, porte de Damas, la petite escouade prend la tangente de la foule pour la dépasser sur la droite. Elle se fait copieusement siffler, quelques noms d’oiseaux fusent mais il n’y aura pas de violence.
En Cisjordanie, plusieurs manifestations auront donné lieu à des affrontements avec l’armée israélienne, on comptera une vingtaine de blessés légers. Au final, le chef de la Police israélienne se félicitera que les manifestations aient été beaucoup moins violentes.
À vrai dire, il semble que le terrain de la protestation se soit déplacé. La date du 15 mai a été marquée sur les réseaux sociaux. Sur facebook, les statuts et commentaires n’oublient pas. Si les uns se veulent mesurés « 1948, nous pouvons pardonner, mais pas oublier », d’autres expriment la violence intérieure contre « l’entité sioniste ». La somme des informations désormais disponible sur la toile au sujet de la Nakba non seulement empêche d’en effacer le souvenir, mais plus encore, elle le ravive.
Un observateur attentif notera que de plus en plus les Palestiniens reprennent à leur compte les codes de la commémoration utilisés par les juifs israéliens pour la commémoration de la Shoah. Ainsi des sirènes qui ont retenti dans le centre de Ramallah pour marquer le souvenir. Cette année, les médias israéliens avaient relayé une campagne photographique ou l’on voyait le bras tatoué du numéro du camp d’un survivant portant un enfant. On a pu voir la main d’un vieillard, et la main d’un nourrisson tenant la même antique clé de maison.
Pour la plupart, ils ne cherchent pas à faire un exact parallèle. Ils cherchent à éveiller les consciences non pas des dirigeants de la communauté internationale, mais de tous les étrangers qui pourraient faire pression sur leurs hommes (et femmes) politiques pour que cesse l’aveuglement sur ce qui se passe ici et aujourd’hui au nom de ce qui s’est passé là bas et autrefois.
Cela marche si bien, qu’un certain nombre d’israéliens font tout leur possible pour assimiler commémoration de la Nakba à haine des juifs, un créneau porteur pour faire taire la voix des Palestiniens. La bataille médiatique bat son plein.