Montée de l’islamisme : la démocratie est-elle possible dans les pays arabes ? (2)
Qu’est-ce que la montée de l’islamisme signifie quant à la possibilité de réformes démocratiques au sein d’Etats majoritairement musulmans, espoir récemment ravivé par le printemps arabe ? Se peut-il que ces Etats musulmans deviennent un jour véritablement démocratiques ? Dans la seconde partie de l’interview qu’il a accordée à Terrasanta.net, le professeur David Forte, expert en droit islamique à la Cleveland Law School (USA), explique qu’une démocratie, pour fonctionner, a besoin d’un cadre mais aussi d’une substance et que dans le cas présent, c’est, d’après lui, la substance qui fait défaut.
(Rome) – Qu’est-ce que la montée de l’islamisme signifie quant à la possibilité de réformes démocratiques au sein d’Etats majoritairement musulmans, espoir récemment ravivé par le printemps arabe ? Se peut-il que ces Etats musulmans deviennent un jour véritablement démocratiques ? Dans la seconde partie de l’interview qu’il a accordée à Terrasanta.net, le professeur David Forte, expert en droit islamique à la Cleveland Law School (USA), explique qu’une démocratie, pour fonctionner, a besoin d’un cadre mais aussi d’une substance et que dans le cas présent, c’est, d’après lui, la substance qui fait défaut. Ce professeur américain nous fait également partager sa réflexion sur une autre question, suite à une remarque formulée à ce sujet par un des adjoints d’Oussama Ben Laden : comment et pourquoi des catholiques qui ne pratiquent plus sont-ils considérés comme prêts à se convertir à l’islam ?
À l’heure où de nouvelles démocraties apparaissent en Turquie, en Irak, en Tunisie et en Egypte et dans le sillage du printemps arabe en général, dans quelle mesure l’islam devient-il plus compatible avec la démocratie ?
En deux mots, on ne sait pas. Ce que l’on sait en revanche c’est que la démocratie ne nécessite pas seulement un cadre mais qu’elle requiert aussi une substance. Une démocratie ou un gouvernement représentatif se fondent sur la conception d’un individu rationnel, capable de penser librement, doté du libre arbitre et en mesure donc d’effectuer des choix intelligents pour lui-même et pour la société. La question du système électoral n’importe que si celui-ci est profondément ancré dans cette vision de l’être humain. D’après ce que nous comprenons de l’idéologie des Frères musulmans, ces derniers sont très favorables à diverses formes de démocratie mais ils veulent que celles-ci comprennent l’imposition de la loi de la charia à d’autres. Je ne suis pas sûr que la substance démocratique soit présente dans ce cas.
Il s’agit peut-être d’une façade démocratique ?
Non, il s’agit de plus que d’une simple façade. Ce n’est pas une façade de « république populaire » comme celle des Etats communistes d’Europe de l’Est. Les islamistes croient vraiment dans la choura, système par lequel les premiers califes étaient élus par les anciens des plus grandes tribus musulmanes. Ils croient vraiment dans ce système, mais la substance qu’ils veulent voir émerger de celui-ci est d’une nature qui ne respecte pas beaucoup les droits des minorités. La question qui se pose est la suivante : lorsque les gens auront fait l’expérience du vote, y aura-t-il une sorte de mouvement social permettant la transformation du cadre démocratique pour y inclure une nouvelle substance et cela éloignera-t-il la population de l’idéologie contraire à cette substance ? C’est ce que nous ne savons pas encore. Nous ne savons pas quel peut être l’effet thérapeutique, existentiel des cadres démocratiques sur la conception que les gens ont d’eux-mêmes.
Que pensez-vous du printemps arabe ? Y voyez-vous un développement prometteur pour une possible réforme de l’islam ou un simple épisode historique ?
Là encore, ça dépend de la question de savoir si le monde arabe peut devenir autodidacte grâce aux réformes démocratiques. Si les classes dirigeantes du secteur de l’enseignement acceptent une plus grande ouverture en permettant au peuple de lire davantage, alors celui-ci peut devenir plus civilisé, auquel cas il pourrait revenir à l’idée selon laquelle le rôle joué par la charia dans la société doit être limité, et non pas absolu, et l’appliquer peut-être aux questions de culte et de succession. L’Etat mixte pourrait émerger d’une nouvelle réalité dans laquelle les gens ne croient pas que la charia corresponde à leur conception de l’individualité et de la dignité dans le contexte des réformes démocratiques. Il y a là un espoir mais nous ne savons pas s’il se concrétisera.
Quelles sont les véritables chances qu’une alliance soit conclue avec l’Eglise pour faire face au sécularisme ? Cette perspective est-elle envisageable et réaliste ou est-elle en train de s’éloigner ?
À l’heure actuelle, elle n’est pas réaliste. Il y a des centaines de millions de musulmans qui considèrent leur foi comme un contenu spirituel et qui pourraient faire alliance avec des institutions véritablement spirituelles comme l’Eglise contre des forces anti-spirituelles telles que le sécularisme. Mais une alliance de ce type serait conclue au niveau des élites, les alliances ne sont pas des mouvements de masse. Il s’agit de coalitions entre les élites. C’est ce qu’elles ont toujours été. Or à l’heure actuelle, les élites de l’islam sont opposées au sécularisme uniquement parce que celui-ci limite leur pouvoir. Si l’Eglise s’alliait avec elles contre le sécularisme, cela reviendrait seulement à les débarrasser d’un ennemi de plus. Les islamistes, je crois, ne maintiendraient pas une alliance conclue avec des chrétiens.
Des alliances positives ont pourtant existé par le passé : l’Iran et le Saint Siège se sont par exemple unis aux Nations-Unies pour défendre certaines positions liées à la protection de la vie.
La seule alliance que je connaisse au niveau politique a été créée en opposition à la promotion d’une sorte de mandat mondial au sujet de l’avortement. Il s’agit peut-être d’une sorte d’alliance mais là encore, elle porte sur un sujet spécifique. Contre le mouvement de sécularisme en revanche, cela pourrait être contre-productif de conclure une alliance car le fait est que toutes les minorités chrétiennes du Proche-Orient sont protégées par des régimes laïcs, bien que ceux-ci puissent être autocratiques. En éliminant le sécularisme, vous pourriez éliminer le seul tampon qui existe entre ces minorités et les islamistes, qui pour beaucoup d’entre eux, bien que ce ne soit pas le cas de tous, souhaitent tout simplement la disparition des chrétiens.
Et c’est ce qui inquiète les responsables chrétiens en Syrie, en Egypte et ailleurs ?
Tout à fait. À l’heure actuelle, je pense qu’il existe partout au Proche Orient un mouvement rampant continu de nettoyage ethnique qui pousse les chrétiens hors de la région.
Pensez-vous que cela puisse changer ?
Je ne vois rien pour l’instant qui indique un changement à venir. Même les Coptes les plus aisés, les élites, quittent l’Egypte.
Des documents découverts dans la résidence d’Oussama Ben Laden et récemment rendus publics indiquaient que de plus en plus, des catholiques non pratiquants, des catholiques irlandais en particulier, seraient prêts à se convertir. Pensez-vous que ceci vienne souligner le discours de Benoît XVI à Ratisbonne et les dangers d’un déficit de foi dans la raison ? Que l’islam constitue une menace pour l’Occident non pas tant en raison de son héritage chrétien mais plutôt à cause de l’existence du sécularisme et de sociétés sans foi ?
Je crois que le pape a été visionnaire sur ce point… Benoît XVI comprend l’impact sociologique sur une société qui abandonne la juste raison et utilise la raison uniquement à des fins instrumentales très restreintes. Ce type de société se retrouve dans un état de manque et en quête d’un foyer spirituel. La foi musulmane se présente comme une foi très simple et pratique, certains sécularistes peuvent la considérer comme une sorte d’unitarisme spirituel, et l’unitarisme est ce vers quoi se tournent de nombreux intellectuels ayant perdu la foi chrétienne. Une raison en quête de principes premiers résisterait à l’islam car le fondement philosophique de l’islam est presque exclusivement instrumental, contrairement à ce qu’il était durant les premiers siècles de l’islam. S’il existait une tradition intellectuelle florissante intégrant la loi naturelle, une bonne partie de ces intellectuels percevraient la valeur de la foi car elle est en quête d’un principe premier. C’est une autre méthode de recherche de principes premiers. Mais si vous avez une structure philosophique déconstructrice dans laquelle vous ne cherchez pas la juste raison, alors les gens cherchent partout une alternative spirituelle.
Parce qu’ils n’ont pas de foi pour les guider ?
Ce n’est pas qu’ils n’ont pas de foi et de raison pour les guider, c’est qu’ils n’ont pas foi « dans » la capacité de la raison à leur permettre d’atteindre des résultats justes. Dans un cas comme celui-là, vous vous laissez persuader par une multitude d’influences… C’est de la foi « dans » la raison et du caractère raisonnable de la foi dont nous avons besoin. Des deux donc, mais vous devez avoir foi dans le fait que la raison vous pousse vers le bien ultime. Si vous considérez que le bien ultime vous est tout simplement transmis par vos ancêtres ou par le Coran ou par la Bible et rien de plus, alors vous n’avez pas foi dans la raison.
Diriez-vous que l’islam est fondamentalement une foi sans, ou manquant de, juste raison ?
C’est une foi basée sur la praxis, une foi pleine de raison instrumentale qui repose sans cesse la question du « comment faire mieux » car la question du « pourquoi le faire » a déjà été résolue.
En ce qui concerne l’avenir, êtes-vous optimiste à propos de la réforme de l’islam ?
Je dirais, par boutade, que j’étais plus optimiste il y a 10 ans. Aujourd’hui, je suis un pessimiste prudent.