Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Visite au Néguev

Texte: Pietro Kaswalder ofm Photo: Rosario Pierri ofm Studium Biblicum Franciscanum
2 juin 2012
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Dans notre imaginaire, le désert est un espace vide. Dans nos souvenirs de pèlerins, le ‘désert est chaud et beau. Les professeurs de l’école d’archéologie franciscaine, le Studium Biblicum Franciscanum, nous proposent de repartir au désert sur les traces des civilisations qui y ont vécu.


La région du Néguev (Darom, Naqab) est située dans le sud d’Israël. Elle s’étend de la Méditerranée à la mer Rouge, de la montagne de Juda au désert du Sinaï. Le Néguev constitue un pont ou une voie de communication entre la mer Rouge et le désert du Sinaï. Au début, c’était une terre d’exploration et de passages commerciaux (IVe millénaire avant J.-C.), devenue ensuite la frontière sud du royaume de Juda (Xe siècle avant J.-C.) et, enfin le cœur de la Nabatène (IVe siècle avant J.-C.) et de la Province d’Arabie (106 apr. J.-C.).

Panorama de l’acropole d’Avdat qui mesure 56 x 51 x 58 mètres, vue du sud-est. On reconnaît l’emplacement pour le travail du raisin et le mur défensif de la caserne de l’époque byzantine.

Les populations sédentaires dans le Néguev sont toujours appelées nomades, mais les réalisations artistiques, agricoles, les constructions civiles et militaires sont le témoignage de civilisations qui ont peu à peu évoluées au fil des siècles. Amalécites, Madianites, Qédarites, Juifs, Nabatéens, Byzantins ont laissé des réalisations très impressionnantes, mises au jour par les fouilles de ce siècle dernier.
Terre difficile et inhospitalière, le Néguev est la marraine d’expressions religieuses les plus anciennes et les plus intéressantes du monde biblique. Les routes de passages, des pistes encore authentiques aujourd’hui, sont parsemées de sanctuaires et d’éléments religieux : le massebot à partir du IXe millénaire avant J.-C. jusqu’à l’âge du bronze (Har Qarqom) ; les sanctuaires madianites (Timna), édomites (eyn Hatzevah et Qitmit) ; israélites (Qadesh Barnea, Kuntillet Ajrud, Horvat Uzza, Tel Arad), sont une preuve vivante que le Néguev a été le berceau du yahvisme biblique.
La présence militaire, qui assure les routes et les biens de valeur pour passer d’une mer à l’autre, se voit à travers la construction de forteresses militaires réalisées à plusieurs époques. De Arad à Qadesh Barnea, d’Avdat à Quntillet Ajrud.

Acropole d’Avdat, vue de l’ouest. Tous les côtés d’Avdat, riches en grottes naturelles, ont été couverts par des villas de banlieue, des installations industrielles pour le travail de l’huile et du vin, des grottes monacales et des nécropoles. Le porche du temple nabatéen réutilisé dans le narthex de la cathédrale byzantine mesure 23×90 mètres.

Avdat, Oboda, Khirbet Abdeh

L’acropole d’Avdat (Khirbet Abdeh) est placée au sommet d’une colline spacieuse et bien défendue. Distante de 67 km de Beer Sheva, elle est située à quelques kilomètres de Sede Boker, de la maison de David Ben Gourion, et de la source d’Eyn Avdat. La ville est née au cours du IIIe siècle avant J.-C. et fut consacrée au dieu nabatéen Zeus Oboda. Son plus grand développement eut lieu pendant les règnes d’Oboda III (30-9 av. J.-C.) et d’Arétas IV (9 av. J.-C.-40 apr. J.-C.). Le temple nabatéen a été dédié au roi Oboda III qui à sa mort fut déifié, comme le précise l’inscription mise par son successeur Aréta IV.
Avdat se trouve sur la piste principale qui reliait Pétra et Aila avec les ports méditerranéens. Selon la Tabula Peutingeriana elle constituait l’une des stations militaires les plus importantes de la Limes Palaestinae. Cette ligne, qui commence à Gaza et passe par Elusha et Avdat dans le Néguev, est devenue la ligne de démarcation de la Palaestina Tertia au cours du IVe siècle. Les fouilles ont mis au jour l’habitat citadin à l’intérieur et à l’extérieur de l’acropole : des thermes, des nécropoles avec des tombes richement décorées, des installations industrielles pour le vin, l’huile d’olive et la céramique. Et naturellement des structures militaires nabatéennes et romaines. Un camp militaire nabatéen pour les chameaux et les chevaux (100 x 100 mètres) est resté quasiment intacte, juste au nord de l’acropole. La grande caserne des limitanei (40 x 61 mètres) à l’est de l’enceinte sacrée a été reconstruite à plusieurs reprises, à l’époque de Dioclétien, de Théodose Ier et de Justinien.

L’église de Saint-Théodore a été construite dans le coin sud-est de la cour du temple nabatéen (40×50 mètres) contre l’adyton du temple de Zeus Oboda. Le martyrion remonte à 450 apr. J.-C. et servait à une communauté monastique, un couvent, vues les salles qui se situent à l’ouest du narthex. Sur le pavement de la basilique on peut encore lire in situ des inscriptions sur quelques pierres tombales en marbre.

Parmi les découvertes les plus importantes d’Avdat il ne faut pas oublier les nombreuses inscriptions en grec. On y lit les dédicaces de la tour du sud, du sanctuaire nabatéen et de nombreuses pierres tombales. Parmi toutes ces dédicaces, nous rapportons celle, païenne, d’Irénée : Bonne chance. Que Zeus Oboda aide Eirenaios qui a construit cette tour en l’an 188, avec les fabricants Wailos de Pétra et Eutychès (l’année de la Province Arabie est en 294 apr. J.-C.).
Les deux églises d’Avdat sont très importantes. Le martyrion de Saint Théodore (14×25 mètres), le soldat martyr d’Aila, a été construit au cours du Ve siècle pour remplacer le temple nabatéen, lorsque la ville est devenue chrétienne. Le titre de l’église du martyrion de Théodore apparait dans l’inscription funéraire de Zacharie placée dans le bas-côté sud. La cathédrale (13×22 mètres) a été construite près du porche de l’ancien temple nabatéen. Ce sont toutes les deux des basiliques de type monoabsidial.
L’exploration d’Avdat a commencé avec U. Seetzen (1807), et s’est poursuivie avec E. Palmer-Drake (1870) ; A. Musil (1902), R. Jaussen-M. Savignac-L.-H. Vincent (1904) et A. Alt (1921). Les fouilles d’Avdat ont commencé en 1912 par C.L. Wooley-T.E. Lawrence, et ont continué jusqu’à nos jours avec les israéliens A. Negev, Y. Tsafrir et D. Chen.

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Nizzane, Nessana, Auja el-Hafirah

Les restes de Nizzane (el-Auja Hafirah) sont situés près de la frontière sud d’Israël avec l’Egypte, à 52 km au sud de Beer Sheva. La ville fut fondée par les Nabatéens au IIIe siècle avant J.-C. L’apogée de Nizzane fut certainement à la période romano-byzantine. Au IIe siècle après J.-C. l’« escalier saint » qui permettait d’accéder au temple romano-nabatéen de l’est a été construit. L’empereur Dioclétien (280 apr. J.-C.) fit reconstruire la caserne pour les limitanei. Et à l’époque byzantine l’administration ecclésiastique est documentée par divers ensembles chrétiens.

Album photos ⇓

 

Nizzane était un important centre administratif, à en juger par les archives de papyrus retrouvés dans les fouilles de H.D. Colt (1934-1938). Les archives contiennent des textes littéraires, parmi lesquels un fragment de l’Enéide de Virgile, un dictionnaire grec pour l’Enéide, certains chapitres de l’évangile de Jean, des fragments des lettres de Paul, certains textes apocryphes (Actes de Saint-Georges ; lettres apocryphes d’Abghar et les 12 chapitres de la Foi). Parmi les documents administratifs il y a 195 textes en grec et en arabe, couvrant la période de 512 à 689 apr. J.-C. On y trouve des documents sur les taxes, des contrats de mariage et de divorce, des actes de vente, des affaires militaires.
Dans les grandes forteresses militaires romaines (35×85 mètres, 7 tours de guet), les très fidèles de Théodose étaient de garde pour la défense des Limes Palaestinae, le long du chemin entre le Neghev et le Sinaï. Le fort de Nizzane a été fouillé par D. Urman (Ben Gourion University) à partir de 1987.
L’église des Saints Serge et Bacchus (10 x19 mètres) située dans le secteur nord de l’acropole a probablement remplacé le temple nabatéen. La basilique de la Theotokos fut ajoutée au VIIe siècle sur la colline au sud, en dehors de l’acropole. Au pied de la colline un monastère a été fouillé par P. Figueras (1995) qui présente une église double et un monastère monolithe.
A l’époque moderne durant la Première Guerre mondiale (1914-1917), Nizzane était un avant-poste militaire de l’armée ottomano-germanique doté d’une caserne militaire et d’un hôpital. ♦

Dernière mise à jour: 02/01/2024 11:41