Un petit coin de paradis
L’ouverture d’une piscine à Jérusalem-Est est un événement. De ce côté de la ville, les piscines ne sont pas légion. À ma connaissance il y en a trois. Celle du Dan Hôtel. Grande, originale, une partie de plein air, une partie couverte, encaissée au cœur de l’hôtel, luxueuse et hors de prix. Celle de l’American Colony.
Là aussi un hôtel, 5 étoiles comme l’autre, la piscine de plein air est moins grande mais son environnement a gardé le cachet de ses 120 ans. Magnifique, mais il faut montrer pâte blanche et débourser 30 euros. L’entrée dans la dernière piscine est à 8 euros, pour 45 minutes, à des heures restreintes. Les femmes sont admises à de 6 h 45 le matin à 7 h 30… et ont un créneau similaire en fin d’après midi.
Pour avoir accès à quatre lignes d’eau dont deux sont occupées par des jeunes femmes qui nagent imperturbables dans leurs combinaisons intégrales – islam oblige. Les deux autres lignes sont prises par l’aquagym d’un groupe de sexagénaires palestiniennes en goguette qui rient de leurs difficultés à lever la jambe jusqu’à la surface de l’eau. Leur joie fait plaisir à voir. C’est la piscine du YMCA, dans un sous-sol où les néons sont rois.
Printemps 2012, le bruit se répand, l’hôtel Saint George, après des années de travaux, a rouvert ses portes. Il a une piscine, de plein air, sur le toit de l’hôtel d’où la vue sur la vielle ville est, dit-on, absolument unique. Juin 2012, premières chaleurs et première tentative. Mais la piscine est réservée aux clients de l’hôtel. Août 2012, on dit que c’est ouvert tous les jours. Nouvelle tentative, un jeudi après midi. Entrée 23 euros. Direction 5e étage. Souffle coupé.
La ville, comme on ne la voit jamais parce que d’ici on la surplombe depuis le nord. À part le clocher des Dominicains en contrebas, pas un point de vue n’offre ce panorama. On voit toute la ville à 340 degrés. On entre timidement dans ce petit carré d’eau turquoise et fraîche parce qu’on ne regarde pas les coupoles du Saint Sépulcre en maillot de bain sans que cela ne vous procure une sensation étrange.
Je m’en ouvre (plus tard) à un dominicain polytechnicien et bibliste qui m’interroge étonné et réprobateur « Pourquoi cette culpabilité ? Le Seigneur a-t-il manqué sa création ? » Je mets bien évidemment un peu de temps à comprendre le rapport. Je connais le bon père, ce qui me met sur la piste. Dieu veut notre bonheur. Je relis un passage du catéchisme de l’Église sur la création de l’homme pour achever de comprendre que le bonheur ressenti ce jour-là avait un goût de paradis. Conclusion : nager en regardant le Saint Sépulcre pourra entrer dans la liste des « 100 choses qu’il faut avoir faites à Jérusalem ! »