5 400 kilomètres, seul en fauteuil roulant pour venir en Terre Sainte.
Félix n’a pas envie que l’on résume cela à un exploit. Il dit être « juste » venu en pèlerinage. Rencontre avec ce pèlerin atypique.
En novembre, deux pèlerins français arrivèrent à Jérusalem à pied. Quel ne fut pas leur étonnement de rencontrer des difficultés pour être hébergés (gracieusement si possible). Comment ne saluait-on pas davantage leur exploit ? Car c’en est un. Mais comment leur dire en termes choisis et délicats que l’exploit ne constitue plus un événement dans la Ville Sainte où chaque année depuis des siècles, des pèlerins ont fait le même trajet, dans les mêmes conditions ou plus difficiles. Que c’est certes admirable mais que cela deviendrait presque banal ? Jérusalem tue toujours les prophètes (Lc 13, 34).
À pied, à vélo, accompagné d’un âne, en bateau, en 4L, ils sont des dizaines chaque année à arriver dans la Ville Sainte mais jamais encore on n’avait entendu parler d’un pèlerin arrivé seul en fauteuil roulant.
« Si un jour dans ta vie, il y a quelque chose qui t’enferme, te bloque, t’empêche d’avancer, alors fais un pèlerinage. »
Ce nouvel exploit, c’est Félix Bernhard qui l’a réalisé. À 38 ans, il a quitté Francfort il y a six mois et a parcouru 5 400 km, seul, en fauteuil.
Le pèlerinage, ce n’est pas une nouveauté pour Félix. « J’ai fait quatre fois le chemin de Compostelle pour m’entraîner, par des chemins différents ».
Un entraînement physique seulement ? « Si un jour dans ta vie, il y a quelque chose qui t’enferme, te bloque, t’empêche d’avancer, alors fais un pèlerinage. » Un voyage pour se changer les idées ne suffirait-il pas ? « J’ai récemment passé des semaines à parcourir l’Australie, c’était magnifique. Mais une semaine après mon retour j’étais déjà retourné dans ma routine. » Tandis que selon Félix, « il n’y a pas un pèlerinage qui n’entraîne une profonde mutation intérieure, un réel changement dans ta vie. […] Le pèlerinage naît du désir de faire l’expérience de Dieu ».
Félix a toujours été profondément croyant. « Dès l’âge de six ans j’ai commencé à converser avec Dieu. Je m’adresse à lui comme à un père et à Jésus comme à un ami. »
Cette relation intime avec Dieu ne s’est jamais démentie, pas même quand Félix a perdu l’usage de ses jambes dans un accident de moto à l’âge de 19 ans. « Non, je n’ai eu aucune révolte. Je me suis juste dit : « Ok, on va faire avec ». […] Je ne pense pas être quelqu’un de spécial… Je suis simplement assis dans un fauteuil roulant, c’est la seule différence. »
Il y a bien pourtant quelque chose de « spécial » chez Félix, c’est son étonnante joie de vivre, doublée d’un caractère bigrement trempé et d’un humour ravageur. « Il m’arrive de faire des spectacles stand up (littéralement « se tenir debout ») ce qui ne manque pas de sel dans mon cas. »
Bien plus qu’un exploit
Évidemment Félix répond de bonne grâce aux questions qui lui sont posées sur son exploit.
6 mois, 9 pays traversés, 5 000 kilomètres. « Pour être exact, j’ai fait 4 200 kilomètres sur route et 1 200 pour traverser les mers en bateau ou en avion. » 5 paires de gants de cuir renforcés usés jusqu’à la corde, un nombre de crevaisons incroyable, de chutes, des milliers de camions qui l’ont frôlé à 5 cm. « En Croatie tu te dis que les gens conduisent moins bien qu’en Italie, mais tu n’es pas encore passé par l’Albanie, ni la Turquie… » Et dans les côtes ? « C’est une question de technique, mais je peux gravir seul une côte de 20 % »
Mais Félix ne désire pas que l’on réduise son pèlerinage à un exploit sportif. « Je me suis senti des forces incroyables sur le trajet. J’ai parcouru jusqu’à 50 kilomètres par jour. Je ne suis jamais allé aussi vite mais j’avais une envie : arriver à Jérusalem. Cette envie me pressait. Ce n’est pas comme aller sur la tombe d’un saint, fut-ce un apôtre, mais c’est aller sur les lieux de la vie de Jésus lui-même. Là où il a vécu, prêché, enseigné. »
Tout au long du chemin c’est ce qui l’a motivé, et tout au long du chemin c’est ce qu’il a demandé dans sa prière « arriver ». « À chaque fois que je me suis senti être à la limite de mes forces, que je n’en pouvais plus, la prière me donnait de nouvelles forces. » « Pas un jour ne s’est passé sans que j’expérimente la présence et l’aide de Dieu. » Et des autres que Dieu a mis sur son chemin. « Sans eux je ne serai jamais arrivé au terme. Ceux qui m’ont indiqué la route, donné des conseils, aidé à réparer, hébergé. Ils ont été comme des anges sur mon chemin. Sans eux, je serais en train de me vider de mon sang dans un fossé turc ».
Félix est arrivé avec deux mois d’avance sur son planning. Il la ensuite parcourue le pays toujours en comptant sur la Providence. »
Prochaine destination ? « Je n’en prévois pas. Et c’en est fini des pèlerinages. Jérusalem est atteinte et je suis content. Mais je ne recommencerai pas. C’est le plus difficile trajet que j’ai fait de ma vie. Ça suffit. »
Félix a démissionné de la banque où il travaillait. « Je pense écrire un livre. Raconter un peu tout cela et que mon témoignage serve à une chose : que celui qui me lise se dise « s’il a pu le faire, alors moi aussi je peux. ».
Dernière mise à jour: 30/12/2023 10:43