Autrefois visité par les pèlerins chrétiens qui entraient à Bethléem, le Tombeau de Rachel sur la route des Patriarches est désormais une enclave entourée par la barrière de sécurité. Point d'histoire sur la tombe d'une des matriarches d'Israël.
Le personnage de rachel dans la bible
Rachel était l’épouse de Jacob – ou Israël – dont les 12 fils fonderont les 12 tribus d’Israël. Dans l’Ancien Testament, Jacob travailla 7 ans. Puis encore 7 ans. Pour obtenir du père de Rachel – Laban – qu’il lui laisse épouser sa fille. Épouse favorite, elle fut d’abord stérile. Puis, elle donna à Jacob les deux fils de sa vieillesse, les deux derniers : Joseph et Benjamin. Elle mourut à la naissance de Benjamin. Le livre de la Genèse (chapitre 35) raconte : « Il restait un bout de chemin pour arriver à Ephrata quand Rachel accoucha. (…) Rachel mourut et fut enterrée sur le chemin d’Ephrata – c’est Bethléem. » Elle serait morte il y a environ 3 500 ans. Selon la tradition juive, elle fut ainsi inhumée séparément de Jacob.
Dans le prophète Jérémie, on retrouve la figure de Rachel « Ainsi parle le Seigneur : Écoutez ! à Rama on entend des plaintes, des pleurs amers : c’est Rachel qui pleure à cause de ses fils ; elle refuse d’être consolée, parce qu’ils ne sont plus » (Jérémie 31, 15).
L’évangéliste Matthieu (2, 18) reprend à son compte, les paroles de Jérémie et applique les pleurs de Rachel au moment du massacre des enfants de Bethléem.
Tradition juive de pélerinage
Dans la tradition rabbinique, Jacob inhuma Rachel sur le bord du chemin, près de Bethléem pour une raison : il savait que ses descendants prendraient ce chemin lors de l’exil à Babylone. La matriarche pourrait alors prier pour qu’ils en reviennent. Rachel incarne ainsi la mère juive par excellence. C’est à ce titre qu’elle est vénérée au lieu supposé de son tombeau.
La littérature rabbinique commente la phrase du prophète Jérémie. Le Midrash – l’interprétation rabbinique de la Bible – fait parler ainsi Rachel : « Si moi, une simple humaine, était prête à ne pas humilier ma sœur [Léa] et était prête à prendre une rivale [Bilhah] sous mon toit, comment Toi, le Dieu éternel, compatissant, peux-tu être jaloux d’idoles, qui n’ont pas d’existence véritable, qui ont été mises dans ta demeure (le Temple à Jérusalem) ? Laisseras-tu mes enfants en exil sur ce motif ? » Touché par sa demande, Dieu y accédera.
Le site est inscrit au patrimoine national israélien depuis 2010. C’est un lieu de pèlerinage qui connaît un succès croissant. Pour l’anniversaire de la mort de « Rahel-imenou », Rachel notre mère, le 12 ‘hechvan (fin octobre, début novembre), il est visité ces dernières années par quelque 100 000 juifs (des femmes essentiellement).
Localisation et histoire de l’édifice
Origène (253), Eusèbe (339) et saint Jérôme (420) parlent du tombeau de Rachel dans le voisinage de Bethléem. Le pèlerin de Bordeaux (333) signale le « monument » élevé sur le sépulcre, à 4 milles au sud de Jérusalem et à 2 milles au nord de Bethléem. Théodose (530) y vit un « monument en pierre. Arculfe (670) nous apprend qu’il avait la forme d’une pyramide. Puis Théodoric, l’israélite Benjamin de Tuléda et Edrisi, géographe arabe, tous trois du XIIe ajoutent que la pyramide a été formée de 12 pierres représentants les 12 fils de Jacob ou les 12 tribus d’Israël. Les Croisés, comme nous l’apprennent ces mêmes voyageurs, élevèrent par-dessus ce monument un édicule carré de 7 mètres de côté, formé de 4 piliers reliés entre eux par des arceaux en ogives, de 3 mètres d ouverture et hauts de 6 mètres, le tout était couronné d’une coupole. Du XIVe au XVI siècles, les pierres disparurent et le mausolée fur restauré plusieurs fois. En 1560, Mohammed, pacha de Jérusalem, fit murer les 4 arceaux et imprima ainsi au petit édifice la physionomie d’un vulgaire oueli musulman. À la place de la pyramide, on éleva un cénotaphe en maçonnerie. Finalement, en 1841, Montefiore, le millionnaire anglais, obtint pour les israélites la clé du « qoubbet Rahia » et y adjoignit un pauvre vestibule carré avec un mihrâb, qui sert depuis de lieu de prière aux musulmans. »
Barnabé Meistermann, In Guide de Terre Sainte, Paris 1936.
Tradition musulmane et Unesco
Depuis octobre 2010, le tombeau de Rachel est source d’une nouvelle polémique. Israéliens et Palestiniens prétendent tous deux le classer au titre de leur patrimoine.
Si le lien biblique est établi, et que les vénérations juives et chrétiennes (jusqu’à la fin des années 80) sont aisément vérifiables, qu’en est-il d’un culte musulman ? Bien que les Israéliens le contestent, le monument a été transformé en mosquée dès le XVIe siècle comme l’attestent le récit de plusieurs pèlerins comme Johannes Poloner (1422) ou Félix Fabri ofm (1480). En 1500, Bernardo Amico explique que les chrétiens ne sont d’ailleurs plus autorisés à entrer.
On sait par ailleurs que le terrain était situé sur le territoire de la tribu Taamre à qui aurait aussi appartenu le cimetière adjacent. C’est eux qui auraient transformé le lieu en mosquée. Est-ce eux aussi qui l’auraient élevé au rang de oueli, monument funéraire, élevée en l’honneur de Bilal ibn Rabah, compagnon éthiopien du Prophète et premier muezzin ? Il faudrait poursuivre les recherches. Reste que la tradition palestinienne a conservé pour le site ce nom de mosquée Bilal ibn Rabah.
Le conflit de traditions se double d’un conflit territorial. Le tombeau de Rachel est en Palestine, à l’intérieur des Frontières de 1967, désormais reconnues par les Nations Unies. Dans le cadre d’un accord de paix, idéalement les juifs devraient pouvoir visiter librement le sanctuaire, à moins qu’on ne procède à un échange de territoire?
Antique pèlerinage chrétien
L’antique calendrier liturgique géorgien de Jérusalem comprend 72 lieux de station. Le Tombeau de Rachel fait l’objet de deux stations : le 20 février pour la mémoire d’une « déposition » (de reliques de Rachel suite à une invention qui n’a pas été relatée par écrit ? !) et le 18 juillet pour une autre déposition, où l’on trouve une liste assez longue de saints dont la circulation des reliques est attestée à Jérusalem à l’époque d’Eudocie.
Ce calendrier permettait aux fidèles de Terre Sainte de faire le « sacro giro », le tour saint. Il a été pratiqué jusqu’à la fin de la période mamelouke.
Sur la route des patriarches
Situé sur l’antique route des patriarches, le tombeau de Rachel est une halte lors des entrées solennelles des papes, patriarches locaux ou du Custode de Terre Sainte.
Ainsi, pour la Sainte-Catherine, le Custode s’y arrête-t-il, de même le patriarche latin le 24 décembre, veille de Noël, le custode de Terre Sainte de nouveau et les patriarches orientaux le 6 janvier.
Pour l’occasion les deux lourdes portes blindées qui barrent l’antique route des patriarches s’ouvrent de part et d’autre de l’enclave dans Bethléem.
Ghettoïsation du sanctuaire
Rachel a de quoi pleurer. Le lieu de son tombeau est devenu un bunker.
Jusque dans les années 60, le lieu du tombeau était en plein champ. Il était sur la route de l’antique voie des Patriarches qui relie Jérusalem à Hébron.
De 1948 à 1967, le site était sous contrôle jordanien. À l’issue de la guerre des 6 jours, il tomba sous contrôle militaire israélien. Les croissants furent effacés du lieu (comme avaient été effacés les symboles juifs précédemment). Mais les musulmans pouvaient continuer d’enterrer leurs morts dans le cimetière adjacent jusqu’en 1993.
Alors que Bethléem passait sous la juridiction de l’Autorité Palestinienne (zone A) en 1995, les juifs se rendaient au tombeau en voitures blindées.
Puis, en 1996, commença la fortification du lieu, avec la construction d’un premier mur et de miradors. Lors de la deuxième intifada (2000-2005), l’enclave du tombeau de Rachel fut un point focal de nombreuses attaques palestiniennes. En 2002, le mur de séparation l’exclut de l’agglomération de Bethléem. Pour cela fut détruit le quartier Qubbet Rahel.
Quand on surplombe le paysage, on voit comment le mur de séparation est incrusté dans l’agglomération de Bethléem à l’endroit de la tombe de Rachel. Le mur en béton de 8 m de haut et des miradors ménagent un corridor pour accéder à la tombe.
Jusque dans les années 80, de nombreux groupes des pèlerins chrétiens s’arrêtaient à la tombe de Rachel. Le nouveau dispositif ayant considérablement compliqué les choses, rares sont les chrétiens à se risquer. C’est pourtant toujours possible. L’accès est « ouvert » tous les jours jusqu’à 22 h 30 sauf Shabbat et fêtes juives. Le vendredi, le sanctuaire ferme trois heures avant l’allumage des bougies de Shabbat. L’accès à pied est interdit. Il faut se rendre soit en véhicule privé, soit prendre un bus de la compagnie israéliennne Egged. Bus #163.
Dernière mise à jour: 30/12/2023 11:18