À l’occasion de ses 40 ans, l’Institut œcuménique de Tantur a revisité ses racines : celles du dialogue voulu par les Églises dans les années 50 et suivantes.
Octobre 1963. Le Concile Vatican II bat son plein. Le pape Paul VI reçoit en audience les observateurs des différentes Églises chrétiennes. Le théologien luthérien danois Kristen Skydsgaard, porte-parole du groupe, parle de l’unité des Églises : « Aujourd’hui, nous rencontrons parfois un œcuménisme naïvement optimiste et superficiel. Il veut nous faire croire qu’une unité visible des chrétiens est pour bientôt. Ce n’est certainement pas notre position. Et c’est pour nous un grand soulagement de savoir que Votre Sainteté ne partage pas non plus cette opinion… Comme Votre Sainteté l’a dit, il reste de sérieux et complexes sujets à aborder. Élaborer aujourd’hui des solutions se ferait dans un contexte qui n’est pas mûr. Aussi, permettez-moi de souligner un fait qui me paraît être d’une extrême importance : je pense au rôle de la théologie biblique, et plus spécialement à l’histoire du Salut dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Plus notre compréhension de l’histoire cachée et paradoxale du Peuple de Dieu s’améliore, plus nous approchons de la vraie compréhension de l’Église de Jésus Christ à la fois dans son mystère, dans son expression historique et dans son unité. ».
Au pape de répondre : « Ces développements de votre discours sur une théologie à la fois historique et concrète, centrée sur l’histoire du Salut, comme vous le dites si bien, nous semblent parfaitement corrects. Il nous semble que la suggestion vaut la peine d’engager des études plus approfondies. L’Église catholique possède des institutions qui peuvent se spécialiser dans cette recherche. Il est même possible de créer un nouvel institut dédié si les circonstances le permettent. »
Entre les lignes de cet échange, l’inspiration de Tantur. Tantur est un centre d’étude théologique « œcuménique » centré sur l’histoire du Salut. Voilà ce qu’a présenté le père Patrick Gaffney de la Congrégation de la Sainte Croix et professeur associé du département d’anthropologie à l’université Notre-Dame (USA) lors du colloque organisé à Tantur pour son 40e anniversaire.
Le choix de Jérusalem
Janvier 1964. À Jérusalem a lieu une rencontre historique. Pour la première fois depuis 1439, le patriarche orthodoxe de Constantinople et le pape catholique se rencontrent. L’année suivante, en décembre, Athénagoras Ier et Paul VI lèveront les excommunications réciproques prononcées en 1054. Dès cette première rencontre, ils décident de créer une commission théologique. En son sein seront discutés les points qui divisent orthodoxes et catholiques. Le projet de Tantur se précise. Il sera à Jérusalem.
Tantur se devait de rester indépendant de Rome. Le projet fut d’abord confié par Paul VI à la Fédération Internationale des Universités Catholiques. Le président de cette Fédération, le Père Theodore Hesburgh, était aussi le président de l’Université Notre-Dame. Ce fut l’Université Notre-Dame qui créa Tantur.
Un Conseil Académique fut fondé. 25 membres dont, à des fins d’équilibres confessionnels, 8 protestants, 8 orthodoxes, 8 catholiques. Plus le président de l’Université Notre-Dame.
Novembre 1965. Quatrième cession du Concile. Une semaine avant la levée des excommunications grecques et latines. Lors de leur première rencontre, les membres du Conseil se mirent d’accord sur les principes de l’Institut. L’étude de l’histoire du Salut dans plusieurs traditions sera son but. L’autonomie intellectuelle de l’institut sera garantie par une indépendance financière. Enfin, la direction sera assurée par 1 recteur et 2 vice-recteurs, chacun d’une confession différente. Le recteur dirige pour une durée de deux ans. Puis un de ses vice-recteurs prend la place.
L’institut est inauguré en septembre 1972.
P. Patrick Gaffney : « La remarquable adaptation, persistance et continuité de l’institut à s’investir avec foi dans sa mission lui ont gagné une place de choix dans l’histoire des réalisations théologiques post-Vatican II. Même si nombre de ses espoirs les plus chers pour Jérusalem, pour l’Église et pour le monde restent encore à réaliser. »
Témoignage
J’ai eu la chance de séjourJ’ai eu la chance de séjourner à l’Institut Œcuménique de Tantur en 1997, durant presque cinq mois, puis en 2002, durant trois semaines.
Je me concentre ici sur les souvenirs du premier séjour[1]. L’Institut accueillait un groupe d’étudiants et des responsables pastoraux en recyclage (« continuing education ») ainsi que quelques chercheurs dont je faisais partie. Je préparais alors une série de séminaires sur l’œuvre de Congar (un des premiers chercheurs français venus à Tantur !) pour mon enseignement aux Facultés Jésuites de Paris (Centre Sèvres). J’ai aussi profité de l’extraordinaire bibliothèque de Tantur pour connaître l’histoire de l’Institut, pour mieux comprendre les positions œcuméniques des orthodoxes, pour suivre l’évolution de ce qui sera la Déclaration commune sur le Justification, signée en 1999 avec la Fédération Luthérienne Mondiale, etc.
C’était mon premier séjour en « Terre Sainte ». Les sorties sur les sites évoqués par le récit biblique (et l’évoquant !) m’ont évidemment passionnée et renouvelée tant ils ravivaient en moi cette « histoire du salut » qui avait tant mobilisé la création de l’Institut.
J’ai aussi profité de cette chance prolongée pour participer à des liturgies diverses, tant orientales qu’occidentales, seule ou en accompagnant tel ou tel des résidents de Tantur rejoignant sa propre communauté pour la liturgie dominicale. La présence de mon co-boursier[2], orthodoxe, celle de nombreux et divers évangéliques ont permis encore bien d’autres choses.
Ce fut en effet une grande chance de me retrouver en compagnie de beaucoup d’autres chrétiens avec lesquels je n’avais jamais eu l’occasion d’habiter, de partager le quotidien de la prière et de la vie commune. Cette expérience fut et est fondamentale. Il s’agit de faire de la théologie en présence de l’autre, avec sa question au cœur et en tête. Le contact permet souvent, outre l’expérience forte d’être touché par la foi de l’autre, de comprendre combien le débat œcuménique n’est pas affaire de dossiers que l’on pourrait traiter hors relation. Quelle émotion, par exemple, lorsque, hors du champ académique des théologies comparées, je découvre la note fortement existentielle reconnue au ministère pastoral dans la bouche d’une amie évangélique encourageant comme moi un jeune méthodiste à oser devenir pasteur tant nous avions entendu battre son « cœur pastoral » ! Comment la catholique que je suis pourrait ne pas entendre là le meilleur de la théologie dite du « caractère » ?
Rendre témoignage à l’expérience que l’on peut vivre à l’Institut œcuménique de Tantur comporte beaucoup de facettes et j’en ai laissé beaucoup de côté. Puisse ces quelques pépites stimuler telle ou tel à profiter à son tour des chances offertes par l’Institut Œcuménique de Tantur !
Anne-Marie Petitjean
Dernière mise à jour: 30/12/2023 12:07