Située entre les villes de Jérusalem, Beit Jala et Al Walaja, Crémisan est une vallée riche de plusieurs siècles d’histoire, d’une beauté unique. Elle abrite deux couvents salésiens, l’un de religieux, l’autre de religieuses, qui courent le risque d’être séparés si les Autorités israéliennes poursuivent leur projet de construction du mur.
(Jérusalem) – Crémisan est une vallée riche de plusieurs siècles d’histoire, de terrasses en pierre, d’oliviers, d’amandiers, de pêchers et de vignes ; elle est d’une beauté unique. Située dans un triangle formé par les villes de Jérusalem, de Beit Jala et d’Al Walaye, la vallée de Crémisan a vu s’établir en 1891 deux couvents salésiens, l’un de religieuses, l’autre de religieux. C’est leur cave renommée qui produit un vin palestinien réputé, le Crémisan.
Mais la vallée abrite surtout les maisons et les propriétés de 58 familles palestiniennes qui risquent l’expropriation forcée, à moins que les tribunaux en décident autrement. Elles risquent d’être coincées dans le no man’s land, comme tous les Palestiniens qui, depuis la construction du mur de séparation en Cisjordanie, vivent dans la Seam Zone, zone charnière, du côté israélien. Bien que se trouvant du côté israélien, ils doivent traverser quotidiennement le mur en direction de la Palestine pour travailler, étudier, faire des courses ou consulter un médecin, car en dehors de leur résidence, ils n’ont pas l’autorisation d’entrer plus avant en Israël.
Certaines de ces 58 familles, la plupart d’entre elles chrétiennes – resteront du côté israélien de la barrière et perdront le libre accès à leurs terres agricoles, du côté israélien elles aussi mais dans un espace devenu interdit.
Bouleversement
Ces familles seront obligés d’utiliser une porte spéciale, construite dans le mur de séparation et ouverte par l’armée trois fois par jour à heures fixes. Dans les prochaines semaines, les tribunaux israéliens se prononceront sur le tracé final du mur.
Les Palestiniens pourront toutefois faire appel à la Cour suprême en cas de désaccord avec le tracé retenu.
Les religieuses, les religieux et les habitants se disent prêts à saisir les dernières instances judiciaires pour préserver cet espace vert précieux situé aux environs de Bethléem. En particulier les religieuses, conscientes de l’importance capitale de leur école pour les quelque 450 filles et garçons de la région, éduqués dans l’esprit de Don Bosco. De plus, elles aident l’Arab Society for Rehabilitation, située dans les hauteurs de la vallée, qui s’occupe de répondre aux besoins spécifiques des jeunes handicapés. Un travail remarquable que les Autorités israéliennes devront prendre en compte quand elles détermineront le tracé du mur. Les parents des enfants ont averti qu’ils ne laisseraient pas leurs enfants emprunter quotidiennement la porte du mur, ils les changeront d’école.
Israël a commencé la construction de la “barrière de sécurité” en Cisjordanie en 2002 pour des “raisons de sécurité”.
Le droit, rien que le droit
Une grande partie de cette barrière se compose d’une clôture métallique avec capteurs, mais dans les zones urbaines et autour de Jérusalem, elle prend la forme d’un mur en béton, de 6 à 10 mètres de haut. Toutefois, selon un avis consultatif de la Cour internationale de Justice en 2004, le tracé de la barrière devrait correspondre à la démarcation de la frontière avant la guerre des Six Jours en 1967.
Mais cette barrière – de métal ou de béton – pénètre dans le territoire palestinien et en annexe de facto une partie importante, comme à Bethléem et Beit Jala. Les terres municipales ont grandement diminué afin de permettre la construction et l’expansion des colonies israéliennes de Har Homa, Gilo et Har Gilo.
La vallée de Crémisan est bien représentative de ce phénomène : la construction du mur dans cette zone réunit Gilo et Har Gilo et les rattache à Jérusalem, séparant Beit Jala et Bethléem de Jérusalem. Et puisque les deux couvents salésiens se trouvent dans cette vallée bucolique, ils ont été inévitablement affectés par ce projet.
Le Ministère israélien de la Défense a ordonné la confiscation des terres en 2006, proposant aux religieux plusieurs alternatives. La première : rester du côté palestinien avec un accès à une porte d’entrée vers les terrains agricoles ; la seconde : passer du côté israélien et garder leurs propriétés quasi intactes, avec une porte d’accès pour les enfants et les enseignants ; et la troisième : laisser le monastère du côté israélien et le couvent du côté palestinien.
Mais puisqu’aucune des trois propositions ne leur a semblé opportune, ils ont saisi en 2010 les tribunaux pour faire valoir leurs droits, soutenus par le Patriarcat Latin. Depuis lors, ils continuent à plaider avec l’aide de la Société Saint-Yves, un centre catholique des Droits de l’homme dont le siège est en Vieille Ville de Jérusalem, qui offre des conseils juridiques. La dernière audience a eu lieu le 12 février, mais le juge chargé de l’affaire a décidé de reporter l’avis du jugement, ce qui donne plus de marge pour le dépôt des demandes. En dernier recours, il reste encore l’appel à la Cour suprême.
En marge de toutes ces poursuites judiciaires, le père Ibrahim Shomali, curé de l’église de l’Annonciation à Beit Jala, a pris l’initiative de célébrer une messe hebdomadaire dans cette enclave en pleine nature. Depuis 2012 chaque vendredi, le père Shomali préside une messe devenue un lieu de rencontre pour les Palestiniens de Beit Jala ainsi que pour de nombreux étrangers : des religieux des autres monastères et couvents, des donateurs, des militants des Droits de l’homme, des pèlerins et des touristes en visite à Bethléem ce jour-là. Tous réclament que la justice soit rendue et demandent aux autorités israéliennes de limiter les dégâts autant que possible.
Lors de la messe célébrée la veille de la présentation finale des requêtes devant la Cour de Tel-Aviv chargée de l’affaire, une centaine de Palestiniens et une centaine d’étrangers étaient présents. La messe fut présidée par le Patriarche latin émérite, Mgr Michel Sabbah et concélébrée par le père Ibrahim Shomali, qui déclara : “au lieu de construire des ponts pour l’avenir de deux États, Israël construit des murs en terre palestinienne, et viole les Droits de l’homme en toute impunité, ce qui alimente la violence des deux côtés.”
Le curé a rappelé la métaphore déjà employée en 2012 suite à la publication d’un article dans le journal israélien Haaretz : le mur risque de diviser réellement l’ordre salésien de Crémisan, laissant le couvent des frères et ses vins d’un côté, et le couvent des sœurs et son école primaire de l’autre. Le père Shomali a ensuite souligné l’unité d’action entre les religieuses – qui ont porté l’affaire en justice – et les religieux. Ils défendent ensemble leurs propriétés et les droits des communautés qu’ils servent.
Le père Shomali et les habitants de Beit Jala continueront à célébrer cette messe du vendredi soir dans la vallée de Crémisan, pour essayer d’arrêter l’inexorable construction de ce mur en béton, que seul un miracle peut stopper…