Une forteresse du Moyen- âge pour la nouvelle ville de Jérusalem
Une situation inattendue
Le monastère de la Sainte-Croix et ses allures de forteresse offre un contraste saisissant avec son environnement. Il est au cœur de Jérusalem ouest, la ville moderne. Le musée d’Israël, la Knesset et Rehavya, un quartier juif récent, sont construits sur les hauteurs et surplombent la vallée de la Croix. Campé au creux de la vallée, il est longé par une voie rapide.
Depuis la fondation de l’État d’Israël en 1948, l’environnement de cette place-forte du Moyen-Âge s’est transformé. On peut l’imaginer au temps des Croisades. Elle était isolée à l’extérieur des remparts de la ville, à 2,5 km à l’ouest. Les vignobles de la vallée de la Croix, propriété des rois de Jérusalem, l’encerclaient.
Attention la tête
Pour entrer aujourd’hui dans le monastère, il faut passer une percée ouverte au pied du mur d’enceinte, et se courber comme à la Nativité de Bethléem.
Mémoire géorgienne
En 2004, le poète Roustavéli représenté sur une fresque avait été défiguré et les inscriptions en géorgien avaient été abîmées. Cette atteinte au patrimoine national géorgien avait déclenché une crise géorgio-israélo-grecque.
L’hôtellerie et le monastère construits par les géorgiens
Pour autant, cette forteresse n’est pas un bâtiment croisé. En revanche, elle fut le dernier bastion d’une Église chrétienne qui bâtit hôtelleries et monastères à Jérusalem à partir du Ve siècle. Cette église parvint à se maintenir dans la ville sainte jusqu’à la fin du XVIIe siècle, époque où elle disparaît. C’est à elle que l’on doit l’aspect actuel du monastère de la Croix. Il s’agit de l’Église de Géorgie, orthodoxe, autocéphale depuis 484. À partir de l’an 1040, le roi Bagrat finança les travaux entrepris par le moine géorgien Prokhoré qui restaura (ou éleva selon les sources) le monastère. Les successeurs de Bagrat continueront de soutenir l’Église géorgienne à Jérusalem, spécialement à la Sainte-Croix. Ainsi, la reine Thamar (1184-1213), qui fut l’un des plus éminents souverains géorgiens, y envoya son poète favori Shota Roustavéli. Du Xe au XIIe siècle la Géorgie connut un âge d’or qui rejaillit sur Jérusalem.
Une puissance disparue
Si aujourd’hui le Saint-Sépulcre est partagé entre plusieurs Églises chrétiennes, celles-ci étaient encore plus nombreuses au Moyen-Âge. Parmi elles, celle des Géorgiens tient une place de choix. Nation convertie au christianisme dès 326 grâce à l’apostolat d’une belle prisonnière – sainte Ninon – la Géorgie eut même le contrôle de Jérusalem pendant une brève année, l’an 1300, lorsque les mongols alliés à des caucasiens chassèrent les mamelouks de la ville sainte.
La légende de la Sainte-Croix
Le monastère “a une importance considérable aux yeux des chrétiens orientaux parce qu’une légende plusieurs fois séculaire désigne ce lieu comme celui où fut coupé l’arbre qui devint la croix du Sauveur”, rapporte le père Janin, Assomptionniste dans un article “Les Géorgiens à Jérusalem”. Des traditions racontent ainsi que Constantin aurait donné ce lieu à Mirian, premier roi géorgien chrétien. Une petite chapelle commémore le lieu où aurait poussé l’arbre de la croix. Une fresque peinte par les grecs au début du XXe siècle représente une version de la légende de la croix. Lot aurait planté trois arbres : un orme, un pin et un cèdre, qui n’auraient plus formé qu’un seul tronc en s’élevant. On accède à cette chapelle à partir de l’église, située au cœur du monastère.
400 cellules pour un moine
“Le monastère de la Sainte-Croix est un des plus importants de la ville sainte et un lieu de culte orthodoxe privilégié au cœur de la nouvelle ville”, déclare en anglais un écriteau à l’entrée de l’église. Aujourd’hui – et depuis 1685 – le monastère appartient au Patriarcat Grec-Orthodoxe de Jérusalem, qui l’a utilisé un temps comme séminaire de théologie (1855-1908) selon des sources géorgiennes. Alors que le monastère comptait environ 400 cellules au XVIe siècle (d’après un pèlerin), il est aujourd’hui habité par un seul moine grec, ainsi que quelques laïcs, grecs. Autre symptôme de la perte d’influence de ce monastère millénaire mais excentré, des offices ne sont plus célébrés que pour les grandes fêtes. C’est ce que nous apprend le gardien, un musulman habitant Silwan, à Jérusalem est.
Sous les feux de l’actualité
Est-ce à cause de sa localisation ? Ou bien est-ce parce qu’il témoigne d’une histoire que certains aimeraient voir disparaître ? La présence de ce monastère au cœur de la ville nouvelle de Jérusalem doit être vécue comme une provocation par certains extrémistes juifs. Au mois de décembre dernier, il a fait l’objet d’un price tag (le prix à payer). Des graffitis “Joyeux Hanoukka – price tag” et autres blasphèmes à l’encontre de Jésus étaient apparus sur les murs.
Conflit diplomatique
Il est difficile d’estimer l’importance de la Sainte-Croix pour les Géorgiens. En février 2012, le président de la République de Géorgie, Mikhaïl Saakashvili, annonçait l’objectif de son pays : qu’il repasse sous contrôle géorgien. Mais le monastère est propriété du Patriarcat Grec-Orthodoxe c’est avec eux qu’il faut négocier a rappelé l’ambassadeur d’Israël en Géorgie au mois de mai. “Nous aspirons à avoir un lieu spirituel et culturel dans le monastère, pour que les gens qui viennent ici de Géorgie puissent se sentir chez eux. C’est moins important pour nous d’être les propriétaires du site. Par exemple, si un moine ou un prêtre géorgien pouvait être là pour les accueillir, ça pourrait être une solution”, a temporisé le nouvel ambassadeur géorgien en Israël. De fait, nombreux sont les Géorgiens qui de passage à Jérusalem viennent visiter le monastère. Souhaitons-leur de trouver un lieu pour faire mémoire du passé géorgien de Jérusalem.
Dernière mise à jour: 30/12/2023 14:44