Après Sainte-Anne dans le numéro de mars-avril, Terre Sainte Magazine visite le second des quatre domaines nationaux français en Terre Sainte. Qu’on l’appelle l’Eléona, Domaine ou Carmel du Pater, il s’agit du même endroit situé au sommet du Mont des Oliviers. Un sanctuaire surprenant, déroutant même. On y découvre entremêlés des vestiges inachevés, un cloître encadrant une grotte, un jardin offrant une vue magnifique sur Jérusalem et un drapeau français flottant sur un domaine plus vaste qu’il n’y paraît…
En 1856, une Française pieuse et fortunée, l’extravagante princesse de la Tour d’Auvergne, est retournée par un sermon entendu sur l’abandon des Lieux Saints. Elle décide alors de tout quitter pour Jérusalem.
En dix ans, elle fait l’acquisition de six hectares de jardins au sommet du Mont des Oliviers puis se livre, aidée de l’archéologue et diplomate Charles Clermont-Ganneau, à deux années de fouilles. Ils dégagent une mosaïque du Ve siècle et la grotte où la tradition situe l’enseignement du Notre Père aux disciples, et les “discours eschatologiques” (Jésus livre son testament à ses apôtres et pleure sur Jérusalem en annonçant sa prochaine destruction ).
A la demande de saint Hélène
La Princesse vient de redécouvrir les restes d’une basilique érigée vers 325 par Constantin, construite presque à l’identique des basiliques du Saint-Sépulcre et de la Nativité. L’évêque de Césarée Eusèbe rapporte l’histoire des trois édifices dans son œuvre Vie de Constantin. “Les trois lieux qui se glorifiaient de posséder une grotte mystique furent dotés d’un édifice somptueux. Hélène, mère de Constantin, fit élever une église sur la grotte du Mont des Oliviers, là où l’histoire atteste que le Sauveur avait initié ses disciples aux mystères cachés”.
Les fidèles baptisèrent cette basilique du nom d’Eléona, déformation araméenne du mot grec elaion, oliveraie.
Ethérie, pèlerine espagnole, détaille dans son Itinéraire (384) la liturgie qui s’y tenait pendant la Semaine Sainte. La nuit du mardi, les fidèles se rendaient à l’Eléona, et, debout devant l’assemblée, l’évêque de Jérusalem lisait le discours eschatologique du Christ (Mt 24-25). Le jeudi soir, il revenait lire, “assis où Jésus l’était”, le discours prononcé après la Cène et avant la descente à Gethsémani (Jean 15-17). Bien que les évangiles qui rapportent les paroles du Notre Père (Matthieu 6 et Luc 11) ne situent pas géographiquement la scène, il est probable que Jésus ait enseigné cette prière sur le Mont des Oliviers, un lieu qu’il affectionnait particulièrement situé à mi-chemin entre Jérusalem et Béthanie, le village de Marthe et Marie.
Le rôle de la princesse de la Tour d’Auvergne
Incendiée par les Perses en 614, restaurée par saint Modeste, la basilique fut rasée par les musulmans en 638. Les Croisés élevèrent à l’endroit des ruines une église dont il ne restait plus rien au XIVe siècle. C’est dans cet état que la Princesse en fit l’acquisition. En 1868, elle fit construire un cloître pour encadrer l’endroit où se trouvait la grotte, puis elle l’offrit à la France, à charge pour le pays de “conserver toujours ce Lieu saint à la chrétienté.” En 1874, la Princesse fonda un couvent : le Carmel du Pater. Puisque ce lieu était celui de la naissance de la prière filiale, elle désirait qu’une communauté contemplative l’habitât. Depuis, les carmélites sont les gardiennes spirituelles de l’Eléona. En 1883, la Princesse partagea le terrain entre les carmélites et les Pères Blancs qui assureraient l’aumônerie des sœurs. Aujourd’hui encore, les carmélites, les Pères Blancs et la France sont ensemble, grâce à des accords de gestion partagée, gardiens de l’Eléona, chacun étant propriétaire d’une parcelle du terrain. Cette bonne entente qui permet une valorisation harmonieuse du domaine offre aux pèlerins un site de belle qualité.
Le Notre-Père dans toutes les langues
Le site de l’Eléona est resté à l’image de la Princesse : atypique et complexe. Divers chantiers abandonnés en cours de route lui ont donné un aspect désarmant au premier abord. Les pèlerins qui pénètrent aujourd’hui dans ce domaine français découvrent étonnés des murs du XXe siècle enchevêtrés aux ruines de l’église précédente… À l’entrée de l’église, ils passent devant le mausolée de la princesse de la Tour d’Auvergne, ignorant souvent que c’est à elle qu’ils doivent ce site. Dans le chœur de la chapelle des carmélites, les plus curieux remarquent la grille qui sépare les sœurs des pèlerins, tandis que les plus distraits ne voient rien ; ils ignoreront même la présence invisible de ces religieuses cloîtrées. Il se pourrait qu’ils aillent faire leurs emplettes à la boutique des carmélites sans réaliser qu’ils achètent des produits fabriqués par les sœurs : icônes, ornements liturgiques… Un lieu déroutant mais toujours plaisant : qui, parmi les 300 000 pèlerins annuels, n’a pas pris le temps de passer en revue les plaques des Pater pour trouver celle rédigée dans sa langue maternelle ou régionale ? C’est la Princesse qui fit apposer au mur du cloître du Carmel 32 traductions du Notre Père en diverses langues. Ces grands panneaux de faïences font la célébrité de l’Eléona : on en trouve aujourd’hui plus de 168, en italien, arabe, araméen, latin, mais aussi basque, créole et même des transcriptions en braille ! Les sœurs se chargent d’accueillir les demandes de nouvelles plaques et, en accord avec le Consulat Général et selon des critères éprouvés (traduction attestée par la Conférence épiscopale du pays et de la langue concernés) les font réaliser par un artisan de Terre Sainte.
Lieu saint
L’Eléona est aussi un lieu chargé d’émotion. On se recueille tout naturellement dans la grotte où il est facile de se figurer Jésus enseignant ses disciples. L’ouverture en novembre 2011 d’un jardin d’oliviers où les pèlerins peuvent se recueillir et célébrer la messe prolonge la vocation de ce lieu, dédié à la prière. Les Pères Blancs, qui en ont depuis 2010 la gestion, ont ouvert et aménagé une partie de leur propriété pour la tenir à la disposition des pèlerins : le site était auparavant trop exigu pour qu’ils puissent y prier aussi longtemps qu’ils le souhaitaient. Lors de la bénédiction du jardin par l’évêque auxiliaire latin de Jérusalem et par l’évêque grec-catholique de Jérusalem, M. Frédéric Desagneaux, Consul Général de France à Jérusalem a souligné l’aspect symbolique de l’ouverture de ce jardin, signe de la continuité de la mission historique de la France auprès des chrétiens latins de Terre Sainte.
L’Eléona et la France aujourd’hui
L’Eléona, domaine appartenant à la République française, accueille une messe consulaire deux fois par an : le 15 octobre, lors de la fête de sainte Thérèse d’Avila, patronne des carmélites et le jeudi de l’Ascension. Le clergé du patriarcat grec-catholique, formé jusqu’en 1967 par les Pères Blancs, participe à la messe de l’Ascension.
La basilique inachevée
En 1915, Mlle Ningres, une mystique, fait part à Mgr Germain, archevêque de Toulouse d’une vision du Ciel selon laquelle l’édification d’une basilique dédiée au Sacré-Cœur à Jérusalem assurerait la victoire française, suivie d’une “ère de bonheur et de paix pour tout l’univers”. En 1921, le Gouvernement français accorde un bail amphitéotique de 99 ans au Comité du Vœu de Toulouse fondé pour œuvrer à la restauration de la basilique constantinienne. Les travaux commencés dans les années 1920 s’arrêtent en 1939. En 1966, le projet est repris mais simplifié : on construira une basilique à ciel ouvert. En 1977, le cardinal Guyot, archevêque de Toulouse, remet le domaine à la gestion de la France : l’entière administration du site revient à l’État. En 1980, le projet de basilique est abandonné. Dans La Terre Sainte de 1999, un chroniqueur espérait la reprise des travaux…
Les carmélites de l’Eléona : discrètes mais irremplaçables
17 carmélites, originaires de 8 pays différents : France, Palestine, Liban, Brésil, États-Unis, Corée, Rwanda, et Madagascar, cohabitent d’une manière particulière avec les pèlerins sans les voir : leurs heures de prière à la chapelle sont en décalage avec les horaires d’ouverture du sanctuaire. C’est volontairement que chacune d’entre elles est venue habiter à Jérusalem. Comme toute carmélite, leur vie s’organise autour de la prière et du service. Elles portent tout spécialement dans leur prière le sacerdoce et l’Église, mais aussi la paix et les peuples de Terre Sainte.
Souvenirs d’un séminariste melkite
Mgr Zerey, vicaire patriarcal de Jérusalem pour les grecs-catholiques, a passé une partie de son séminaire chez les Pères Blancs à Sainte-Anne. Il se souvient des sorties en communauté dans l’oliveraie de l’Eléona aujourd’hui mise à la disposition des pèlerins : “Nous y montions en excursion pour la journée. Surtout au mois de septembre, pour la cueillette des olives que nous faisions en chantant. J’étais le premier à grimper aux arbres ! J’aimais aussi y revenir seul, lorsqu’il faisait bon, pour m’y recueillir en silence. J’étais bien pour méditer, au sommet de cette montagne couverte de coquelicots au printemps, contemplant la ville de Jérusalem. Je suis heureux que ce jardin ait été ouvert aux pèlerins qui devront en profiter pour y prier le Notre Père.”
Dernière mise à jour: 30/12/2023 16:42