On aime ou on déteste. C’est parfois plus subtil, mais on ne reste pas indifférent au chant du muezzin. L’Occidental est souvent surpris au début, mais il s’y fait : c’est l’autre prière, celle qu’il ne comprend pas mais qui chante aussi la gloire de Dieu. Le chant soigné de l’Adhan colore l’atmosphère, lui donne une teinte incomparable. D’autres pourtant le trouvent pénible, criard.
Petit échantillonnage de réactions.
Que ressentez-vous quand vous entendez chanter le muezzin ? Une question embarrassante pour certains, enthousiasmante pour d’autres. Comment les habitants de Jérusalem, les pèlerins ou touristes de passage appréhendent-ils l’appel à la prière des musulmans ? Chacune des personnes rencontrées par Terre Sainte Magazine parle en son nom : les sentiments livrés sont personnels, représentatifs parfois de leur communauté, mais parfois surprenants… Gare aux généralisations !
“J’aime ça !” Originaire de Grande-Bretagne, la soixantaine, pèlerine de passage avec son mari, Anna n’hésite pas. Elle s’explique : “Quand je l’entends, je réalise que je suis ici, en Orient. Je ne viens pas seulement à Jérusalem pour prier sur le tombeau du Christ, mais aussi pour goûter au pays lui-même. Le muezzin est une sorte de piqûre de rappel : quand j’oublie que je ne suis pas en Europe, son chant me le redit. Comme nous voyageons en groupe, nous avons besoin d’un signe de cette intensité pour réaliser ou nous sommes !”. Son mari, Alan, la regarde, surpris. Lui, il est plus réservé, il ne sait pas, il ne souhaite pas répondre. Quand je m’éloigne, je l’entends demander a sa femme : “Non, vraiment ? Tu aimes ça ?”. Comme quoi, ce n’est ni une question de religion, ni une question de nationalité !
D’un pas pressé, Khalil se dirige vers l’esplanade des mosquées. Il lui reste 5 minutes pour acheter les pitas fraîches dont a besoin sa femme avant que ne commence la prière. “Maintenant que je ne travaille plus, j’ai le temps d’aller prier pendant la journée, c’est très appréciable. Avant, je me recueillais à l’appel du muezzin, mais je ne pouvais pas prier, je tenais un restaurant”. Contrarié par la foule de touristes qui se pressent vers le Mur, Ahmad fait un détour et emprunte les ruelles du souk du quartier musulman, plus praticable. On passe devant quelques échoppes vides dont l’entrée est barrée d’un balai. Ce sont les boutiques des musulmans qui rejoignent, le temps d’un quart d’heure, la mosquée la plus proche de leur lieu de travail. “Des musulmans pieux ou des travailleurs paresseux ?” glisse malicieusement Ahmad…
Installées, ou plutôt avachies sous un coin d’ombre, Ronit et Clara savourent une pause “bien méritée”, après une matinée “éreintante”. Ces deux amies trentenaires aspirent à une sieste, mais qu’importe, elles se prêtent au jeu du micro-trottoir de bonne grâce. “Je suis israélienne, commence Ronit, j’habite Ashdod. Ici, le chant du muezzin m’interpelle, je ne me sens pas très à l’aise, mais on est à Jérusalem alors il est normal qu’il chante. Mais ce serait hors de question à Ashdod (ville côtière israélienne NDLR). En tout cas, ce chant que je trouve assez agressif ne me donne pas envie d’en savoir plus”. Clara, juive vivant en France trouve quant à elle ce chant très beau. “Ça me donne presque la chair de poule ! L’effet est immédiat !” Elle qui se présente comme une juive athée serait presque d’avis de conseiller ce mode de prière aux rabbins !
Hors de moi
Il est 21 h, sur la terrasse d’une maison du quartier musulman de la Vieille Ville, Guillaume est en train de fumer un narguilé quand la rumeur des muezzins s’élève. Il se fige un instant avant de murmurer : “Il ne me manque plus rien !” Volontaire depuis un an en Cisjordanie, de passage à Jérusalem, Guillaume, 25 ans, ne se lasse pas du chant des muezzins. “Parce qu’il est prenant, et parce qu’il me renvoie à ma propre religion. Crier sa foi, réellement, aux fidèles, mais aussi aux non-croyants, est-ce que ce n’est pas ce qu’il nous manque ? La religion, qui me paraît tiède et ne m’attire pas en France, n’est plus la même ici.”
Khouloud est une jeune chrétienne arabe, fidèle d’une paroisse latine des Franciscains. “Le muezzin ? Ça me met hors de moi ! Bien sûr, la plupart du temps, je ne l’entends pas, j’y suis trop habituée. Mais quand j’y fais attention, je ne peux plus me concentrer, je n’entends que ça.” Il faut dire que Khouloud, 22 ans, comprend le chant du muezzin. Mais ce n’est pas tant les paroles qui la gênent que “cette accaparement de l’espace sonore”. “Et ce qui m’exaspère le plus, c’est quand mon frère se met inconsciemment à répondre au muezzin. Il soutient que c’est beau, ça lui passera ! Inch’Allah…”
Nadia s’affaire dans sa cuisine. Avec cinq enfants et un mari qui rentre d’ici peu, elle n’a pas le temps de chômer. “Mais c’est une belle vie que j’ai là, je n’ai aucune raison de me plaindre ! Et le soir, quand les enfants sont couchés, j’ai un peu de temps pour moi. Alors j’allume la télévision pour écouter les muezzins. Mon mari se moque de moi, mais ça me permet de prier et de me détendre, de m’évader. Je suis transportée ailleurs.” Au paradis ? “Non, au paradis, mes enfants seront avec moi, et je crois bien qu’ils ne pourront s’empêcher de brailler !”
L’Adhan en Israël
Puisque Israël est un pays où tout est politique, le chant du muezzin n’échappe pas à la règle. Il blesse parfois, il agace, exaspère. “Nous qui représentons des centaines de milliers de résidents dans tout le pays, nous souffrons quotidiennement, tôt le matin et cinq fois par jour, du harcèlement sonore de l’appel des muezzins retransmis par les haut-parleurs des mosquées.” Voici les paroles de la députée Anastassia Michaeli, membre du parti ultra-nationaliste Israël Beitenou (“Israël, notre maison”) déposant à l’Assemblée une proposition du loi pour interdire “le bruit déraisonnablement fort” émanant des lieux de prière. Représentative du ras-le-bol de la communauté juive et plus largement israélienne ? Difficile à estimer. Ce sont sans doute les plus radicaux qui refuseraient aux musulmans le droit de lancer l’Adhan 5 fois par jour. D’ailleurs, la loi n’a pas été votée.
Lors des élections législatives en janvier dernier, des candidats ultra-sionistes avaient trouvé une idée pour inciter les colons à voter pour eux : la provocation. Ils avaient parcouru différents quartiers en diffusant via des hauts-parleurs le chant du muezzin. L’histoire raconte que cette opération n’avait pas eu l’effet escompté : des juifs ont appelé la police pour qu’on arrête ces fauteurs de trouble !
Paroles de l’Adhan
1. Allahou Akbar
Dieu est grand (4 fois)
2. Achhadu an la ilaha illallah
Achhadu ana Muhammadan Rasoulullah,
Je proclame qu’il n’y a pas de Dieu en dehors de Dieu
J’atteste que Muhammad est l’envoyé de Dieu.
(Une fois à voix haute, une fois à voix basse)
3. Hayya ‘ala s-Salah, Hayya ‘ala s-Salah,
Accourez à la prière (2 fois)
4. Hayya ‘ala-l-falah, Hayya ‘ala-l-falah,
Accourez au salut (2 fois)
À l’aube : As sallâtu khayrun min an-nawm,
as salâtu khayrun min an-nawm
La prière vaut mieux que le sommeil
5. Allahou Akbar
Dieu est grand (2 fois)
6. La ilaha illallah
Il n’y a pas de Dieu en dehors de Dieu
Dernière mise à jour: 31/12/2023 00:15