Encore tout illuminé d’une des plus grandes joies de ma vie, celle d’avoir vu de près le Saint-Père, de l’avoir touché, d’avoir prié avec lui, je voudrais dire, en analysant mes impressions, comment m’est apparue et reste gravée en moi l’image de ce grand pèlerin parcourant les lieux qui furent le théâtre de notre Rédemption.
Le pape, pèlerin supranational
La Palestine, divisée en deux depuis la guerre arabo-juive de 1948, posait de graves problèmes qui n’ont échappé à l’attention de personne. On craignait pour le pape : aucun des deux gouvernements ne voulait voir surgir des rangs de ses sujets quelque détraqué ou exalté qui, par un geste insensé, eut cloué au pilori son pays pour toujours. (…) On y espérait, d’autre part, un début de reconnaissance officielle d’un État qui n’a pas encore de relations diplomatiques avec le Vatican. (…) On espérait aussi qu’il s’insurgerait contre les camps de réfugiés et le prochain détournement des eaux du Jourdain. Tous ces espoirs, toutes ces craintes s’avérèrent sans aucun fondement.
Le pape, pèlerin démocratique
Le Saint-Père aime visiblement se mêler à la foule. Sa suite ? Je ne sais pas. II est vrai qu’on ne s’attendait pas à la trouver si envahissante. Mais, nous qui vivons en Orient, nous l’avions bien prévu et nous avons compris ce qui s’est passé. (…) On a parlé de bousculade, de cohue, de désordre inimaginable, de prise d’assaut, de foule houleuse… Je préfère parler de voie triomphale, de joie populaire, de délire enthousiaste et incœrcible. En Galilée, où la population est surtout d’origine occidentale, des barrages solides, faits de barrières de fer et de cordons de police infranchissables, en général, ont tenu la foule en respect. Mais aussi, le Saint-Père a dit une fois : “Où est mon peuple ?” II était bien rangé, hors de la basilique de Nazareth, où n’avaient pris place que 300 privilégiés, triés sur le volet. Mais ici, où la population est essentiellement orientale, le pape, dès qu’il se présentait, était immédiatement cerné par un groupe d’hommes forts, civils et militaires, chargés de le protéger contre une marée humaine envahissante qui voulait le voir de près, le toucher, baiser ses mains toujours tendues. À son arrivée à la porte de Damas, à Jérusalem, aucun discours ne put être prononcé, les autorités civiles, militaires, et religieuses de tous rites ne purent être présentées, tellement les barrages furent immédiatement rompus, comme ceux des rues adjacentes sur son parcours de la “Voie douloureuse”, jusqu’à son arrivée au Saint-Sépulcre. Je le suivais à deux pas, bénéficiant de ma force de résistance. Les trois cardinaux, sa suite d’ecclésiastiques, ses familiers, les patriarches orientaux, les évêques, les consuls avaient du abandonner la partie en route. À Gethsémani, le soir, la même chose. À Bethléem, le surlendemain, presque pareil.
Le pape avant de quitter Amman a remercié le roi Hussein et les Jordaniens et a terminé par ces mots : Assalam Alaikom wa Bikhatirkom (la paix soit avec vous, au revoir). Nous écoutions à la radio : vieux, jeunes, petits ; nous avons pleuré de joie, puis crié : “Vive le pape !”.
Noha Bayouk. Noha décéda jeune.
Le pape, si fragile, livré aux hommes, ballotté de droite et de gauche comme un bouchon sur l’eau, était la proie de la foule, qu’il ne cessait de saluer et de bénir avec un sourire d’une douceur infinie. J’ai entendu une femme musulmane s’écrier plusieurs fois : “Vraiment, ce n’est pas un homme !” Ah ! Certes, l’Église n’a jamais été aussi démocratique qu’à ces heures inoubliables. Et non seulement dans son chef. Mais écoutez plutôt.
Les cardinaux Tisserant, Cicognani et Testa accompagnaient le pape. Eh bien, tous les trois ont eu des déboires. L’un s’est vu fermer au nez la porte de la basilique du Saint-Sépulcre, puis, le soir, celle de Gethsémani, et n’a pu entrer qu’après de longues palabres et en montrant sa carte ; de même, à Bethléem, pour un autre ; le troisième, enfin, à Nazareth, perdu dans la foule avec son prêtre assistant, n’a pu rejoindre qu’au Mont des Béatitudes le cortège du Souverain Pontife parti sans lui et qui, d’ailleurs, s’est excusé. À la porte de Damas, à Jérusalem, le Préfet des cérémonies a perdu ses lunettes, une sœur son voile. Le Révérendissime P. Général des franciscains, qui faisait partie de la suite du pape, poussé par la foule s’est vu administré un coup de bâton par un militaire, puis, il n’a plus rien vu, car ses lunettes étaient cassées. Plus de cortège, plus de hiérarchie, plus de préséance. C’était à chacun de se débrouiller, comme je l’ai fait moi- même. Le peuple était souverain.
Le pape, pèlerin évangélique
Journalistes et pèlerins auront beaucoup appris… de l’Orient, théâtre de l’Évangile. L’auront-ils bien traduit ? II faut vivre ici pour comprendre ce qui s’est passé. II faut revenir à l’Évangile pour en retrouver le récit. Ouvrez-le, parcourez-le, même rapidement, et comptez, si vous le pouvez, combien de fois il y est fait mention de la foule, des enfants, des malades, qui allaient vers Jésus. Remplacez le Christ par son vicaire, et vous aurez compris. Deux millénaires n’y ont rien changé.
Luc 6, 19. “II y avait là une foule immense qui cherchait à le toucher”. Ici, en Orient, on cherche a “toucher” le prêtre qui va à l’autel, ou en revient, revêtu de ses ornements ; les reliques des saints ; les icônes, les croix, les statues ; les murs et les parois des sanctuaires établis sur les lieux saints, et on porte ensuite ses mains sur la figure…
Luc 5, 17-20 : “II se rassembla tant de monde dans la maison qu’il n’y avait plus de place, même devant la porte… On vint lui amener un paralytique, porté par quatre hommes. Comme ils ne pouvaient pas le lui présenter, en raison de la foule, ils défirent le toit au-dessus de l’endroit où était Jésus…”
Luc 8, 19. “Sa mère et ses frères vinrent alors le trouver, mais ils ne pouvaient l’aborder à cause de la foule. On l’en informa”.
J’étais vraiment contente de cette visite, car en voyant Sa Sainteté j’ai songé que j’ai vu Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour le visage clair qu’il a et pour son humilité. Ce qui m’a le plus influencée, c’est sa demande pour visiter un malade. II l’a visité humblement, l’a embrassé comme si c’était son frère. J’ai regretté de ne pas avoir sa bénédiction, car il est passé très vite devant moi. J’étais pressée par beaucoup de personnes qui voulaient venir devant moi, parce que chacun voulait être le premier à le voir. Nous avons remercié le Bon Dieu qui l’a protégé.
Imtiaz Nijmeh, 15 ans environ en 1964, extrait d’une composition en langue française sur le sujet du voyage du pape.
Plus tard, Imtiaz a émigré aux États-Unis avec sa famille.
Marc 6, 31. “De fait, les arrivants et les partants étaient si nombreux que les apôtres n’avaient même pas le temps de manger”. C’est ce qui est arrivé à la “suite” du pape, après la messe à Nazareth. Le Saint-Père, pendant que les cardinaux et les autres se dirigeaient vers le réfectoire des franciscains pour y prendre le petit-déjeuner prévu, s’éclipsa rapidement de son salon, leur faussa compagnie et se dirigea vers Cana, Capharnaüm, Tabgha et le Mont des Béatitudes, où seulement il fut rejoint par les retardataires !
Et j’en passe, sur les foules qui entouraient et pressaient Jésus (et le pape) “par milliers et par milliers, au point qu’on s’écrasait les uns les autres”.
Même accueil de Jésus (et du pape) pour les enfants (Lc 9, 46-48 ; 18, 15-17 ; Mt 19, 13-15 ; Mc 10, 13-15). Le Saint-Père, déjà en retard sur l’horaire en arrivant à la porte de l’église de Béthanie, délaissa le Père Gardien et les Autorités franciscaines qui s’apprêtaient à le recevoir en cérémonie, se dirigea vers nos cent orphelins, embrassa les plus petits et les bénit tous après leur avoir dit quelques mots paternels, tandis que quelqu’un de son entourage le tirait respectueusement par le manteau pour ne pas qu’il s’attarde…
Les passages d’évangile décrivant la bonté de Jésus à l’égard des pauvres et des malades ne peuvent se compter. Sur ce point aussi, le Saint-Père a été magnifique. II a fait attribuer aux réfugiés une somme considérable (…). Après l’audience accordée aux communautés religieuses réunies au Patriarcat latin, avant son départ, le pape a encore faussé compagnie à son entourage pour aller, dans les parages, visiter un vieux malade de notre paroisse franciscaine, l’embrasser, s’entretenir avec lui et lui donner une généreuse offrande, en lui promettant de prier pour lui à condition que ce soit réciproque ! Le malade a tout compris, car il sait un peu d’italien. II dit à qui veut l’entendre qu’il s’est cru en paradis pendant cette surprenante visite. Paul VI a reçu aussi en audience, un petit Jordanien infirme, âgé de 5 ans, qui n’avait pu le voir lors de sa visite dans la Ville sainte à cause de la foule. II s’est entretenu un moment avec l’enfant auquel il a ensuite accordé sa bénédiction.
Deux autres parties suivent ce texte, l’une sur la rencontre du pape avec le patriarche Athénagoras (lire page 40), la dernière intitulée Le pape, pèlerin franciscain. Quelques semaines avant son voyage, le pape avait déjà remercié le Ministre général des franciscains pour la présence permanente des frères dans les pays d’Orient à laquelle il attribuait la présence du catholicisme au Proche Orient. Durant son voyage, le pape honora les franciscains de divers cadeaux et les remercia chaleureusement à son départ.♦
Dernière mise à jour: 04/01/2024 20:24