Les quelques deux millions de pèlerins et touristes qui se pressent chaque année au lieu de la naissance de Jésus visitent souvent rapidement l’édifice, préoccupés qu’ils sont de prendre place dans la file d’attente qui leur permettra d’accéder à la grotte. Peut-être leur guide aura-t-il pris le temps de leur expliquer les mosaïques que l’on voit grâce aux ouvertures dans le sol de la nef, voir le baptistère. Rares sont ceux qui parleront de la décoration médiévale de la basilique, mosaïques murales et fresques sur les colonnes, plus rares encore ceux qui sauront en expliquer la richesse artistique et symbolique. Mais qui se soucie de la charpente ?
De nos jours on cherche à préserver ce patrimoine historique.
C’est pourtant elle qui fait l’objet des travaux intensifs débutés en octobre dernier. C’est pour elle qu’on a enrubanné la basilique d’échafaudages à l’extérieur et à l’intérieur.
Terre Sainte Magazine (1) s’était fait l’écho fin 2010 du ballet des spécialistes venus ausculter l’édifice et ses trésors. Les études terminées et depuis la basilique ayant été classée au patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco, les travaux ont donc été décidés par l’Autorité palestinienne maître d’œuvre de l’opération. Il faudra plusieurs années et 1,5 millions d’euros pour refaire la toiture.
La refaire ? Non pas tout à fait. La restaurer comme l’explique Marcelo Piaccenti, en charge des travaux au nom de l’entreprise familiale italienne qui a remporté l’appel d’offre. “La charpente actuelle n’a pas connu de restauration majeure depuis 1479.” explique-t-il. Une longévité exceptionnelle de 535 années quand on estime habituellement la durée d’un toit à environ 150 ans. Selon Marcelo, cette longévité est due à la qualité de l’ouvrage et au choix méticuleux des matériaux. Lui qui a l’occasion de travailler sur les charpentes nombreux édifices dans le monde, il a trouvé à Bethléem une structure tout à fait inédite : “La poutre centrale appelée “moine” repose sur les poutres latérales. C’est la première fois que je vois cela.”
Guidés par Marcelo, les visiteurs du jour, équipés de casques de chantier, regardent le stupéfiant entrelacs de poutres depuis les échafaudages qui les portent à neuf mètres au-dessus de la nef. L’état de conservation est impressionnant. Pourtant. Comme le montre Marcelo, 70 % du bois au sud est pourri. “Il est carrément friable par endroit”. Mais s’il parle de restauration plutôt que de restauration, c’est que Marcelo entend conserver à la charpente son aspect actuel. “Nous allons remplacer le moins de poutres possible, un quart seulement. Nous avions fait des estimations, mais depuis que nous avons commencé, nous avons déjà décidé de ne pas changer la poutre 12, celle à la croisée du transept, ni la cn1 qui parcourt la nef centrale. Nous traiterons les bois qui ont besoin de l’être, mais rien de ce que nous ferons ne doit être visible du bas en vue de garder à cette charpente son authenticité.”
Une démarche soutenue et encouragée par les Franciscains et le frère Stéphane Milovitch qui les représente dans la commission de suivi des travaux. “Les journalistes noteront que les Églises ont mis deux cents ans à s’entendre pour trouver un accord sur la réparation du toit de la basilique de la Nativité, dit le frère Stéphane Milovitch, il faut pourtant s’en réjouir. En effet, s’il y a 200 ans on avait réparé le toit, on aurait fait du neuf. De nos jours au contraire, on cherche à préserver ce patrimoine historique.”
Mais on ne remplace pas de telles poutres par le premier bois venu. L’entreprise Piaccenti a fait acheminer d’Italie par bateau 23 tonnes de bois dont certains ont de 300 à 400 d’âge. “Pour trouver 30 poutres anciennes, il nous a fallu faire 300 demandes.” explique Marcelo. Et si l’on met de l’ancien pour réparer l’ancien, c’est pour la même raison que celle énoncée dans l’Évangile : “Personne ne coud une pièce d’étoffe neuve sur un vieux vêtement car le morceau ajouté tire sur le vêtement et le déchire davantage” (Mat 9, 16) “II faut des bois aux densités compatibles” précise donc Marcelo.
Pour l’heure, les travaux viennent tout juste de commencer. Les mois précédents ont servi à installer les échafaudages qui font l’admiration des ouvriers palestiniens. Certains d’entre eux seront associés au travail, en plus de la dizaine d’ouvriers italiens présents à Bethléem et ceux restés et en Italie auxquels on fera appel selon les besoins. Selon Marcelo, en effet, des surprises restent à venir, quand on commencera à déposer le toit.
Une chose est sûre, il était temps d’intervenir car si les techniques modernes permettent la préservation de l’antique charpente, les infiltrations de ces dernières années ont eu des conséquences néfastes sur les mosaïques médiévales dont la rénovation attend encore son financement. ♦
Quatre essences de bois
Les carottages des poutres effectués en 2010 ont permis d’analyser les différents bois entrant dans la structure de la charpente. Il est apparu que 5 espèces sont utilisées. Le cèdre, il provient du Liban et certaines pièces sont antérieures au XIIIe siècle sans que nous puissions affirmer qu’elles proviennent de la charpente justinienne (du VIe). Du mélèze, que les franciscains ont fait venir d’Italie en 1470. Il constitue la plus grande partie de la charpente actuelle. Du chêne, en provenance d’Anatolie et apporté là par les grecs en 1600. Enfin probablement du frêne. Concernant ces bois et leur datation, les archives franciscaines et grecques avaient conservé le souvenir de ces expéditions, les études dendrochronologiques sont venues les confirmer.
Des mosaïques inédites
Les mosaïques murales datent de l’époque des croisades et ont été faites dans un style byzantin. Selon les spécialistes des mosaïques de Ravenne elles font partie des plus belles mosaïques au monde. Fait notoire en plus de l’usage d’or et de nacre, les artistes orientaux les ont composées pour être vues du bas. Ainsi, les tesselles ont-elles été inclinées pour un effet optique inédit.
Le financement
Les travaux de la restauration du toit sont estimés à 1, 9 million d’euros. Mais l’ensemble des restaurations pourrait avoisiner les 17 millions selon M. Ziad al-Bandak, conseiller du président de l’Autorité palestinienne pour les affaires chrétiennes.
L’Autorité palestinienne a débloqué un million de dollars et ouvert un fond spécial destiné à accueillir les fonds privés et les dotations des États donateurs. Ainsi la France, la Hongrie, la Russie et la Grèce ont-elles déjà apporté des fonds et le secteur privé palestinien offert 800 000 dollars (590 000 euros).
Les travaux de la toiture ont donc trouvé leur financement mais l’Autorité palestinienne voudrait d’ores et déjà trouver le financement des autres travaux avant la fin de cette première tranche.
(1) TSM 610, novembre-décembre 2010, page 40 sq.
Dernière mise à jour: 04/01/2024 19:11