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Face à la situation des réfugiés, la Jordanie en appel au Pape

Carlo Giorgi, inviato
2 avril 2014
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Le 24 mai prochain, le pape François arrivera en Jordanie. Wael Suleiman, directeur exécutif de Caritas Jordanie, nous raconte ce qu'il aimerait lui dire. Il voudrait lui parler d'un pays qui se sent écrasé par les conflits qui font rage dans la région, un pays qui se retrouve seul face aux besoins de millions de réfugiés. Des gens aux visages marqués par la douleur, qui ont perdu tout espoir, même en Dieu.


(Amman) – « Le pape vient en Jordanie et nous, chrétiens, nous rêverions d’avoir au moins une demi-heure pour lui parler, lui dire comment nous vivons : nous ne représentons que 3 % de la population d’un pays submergé de problèmes. Nous aimerions dire au pape que nous avons perdu tout espoir, toute confiance. Nous n’arrivons plus à croire en l’avenir. Tout est parti … ». Wael Suleiman est le jeune directeur exécutif de Caritas Jordanie. Dans un besoin de soulagement, il laisse entrevoir sa pensée et ouvre son coeur dans ces mots inattendus.

Le 24 mai prochain, le pape François arrivera en Jordanie. Parmi les visites officielles prévues, au-delà du Jourdain, le pape rencontrera à Béthanie, lieu supposé du baptême de Jésus, les représentants des réfugiés syriens et irakiens, des handicapés, des orphelins, des familles pauvres… Tous ceux qui souffrent dans le pays. Une rencontre organisée avec l’aide de Caritas Jordanie.

Caritas est la branche opérationnelle de l’Église catholique en Jordanie. L’organisme est largement représenté sur tout le territoire national, de Irbid dans le nord, à Aqaba dans le sud, avec des dizaines de villes et des centaines d’opérateurs attentifs aux besoins de la population. En 2013, plus de 300 000 interventions d’aide ont été réalisées, dont au moins 155 000 en faveur des réfugiés syriens. Tout cela fait de Caritas un observateur unique des problèmes du pays, et une voix qui dénonce l’insupportable fardeau que le conflit syrien est en train d’installer en Jordanie.

« Caritas travaille en Jordanie depuis plus de 46 ans – explique Suleiman – et nous nous sommes toujours occupés de réfugiés : nous avons commencé avec les Palestiniens, en 67. En 82, ce fut les Libanais. Les Irakiens sont arrivés 91, et les Syriens en 2011. Le fait est qu’avec le temps aucun de ces problèmes n’a encore été résolu. Au contraire, ils n’ont fait que s’accumuler ! Le pays est plein de réfugiés : nous parlons d’environ 2,5 millions de Palestiniens, 500 000 Irakiens, 900 000 Égyptiens arrivés avant et après la révolution d’Égypte, et plus de 1,3 million de Syriens : depuis le début du conflit, 600 000 d’entre eux sont entrés en Jordanie, rejoignant ainsi les 750 000 Syriens arrivés avant 2011, comme simples immigrants ou fuyant des persécutions du régime. Au total, nous arrivons à plus de 5 millions d’étrangers en difficulté, qui pèsent lourd sur une population jordanienne qui compte déjà 6 millions de personnes… Le pays est de plus en plus fatigué ».

« En parlant de Caritas et de notre mission – reprend le directeur – nous sommes ici pour servir, et nous ouvrons la porte à tous. Mais nous arrivons à un stade qui bientôt ne nous le permettra plus. Il y a énormément de réfugiés qui chaque jour arrivent pour demander de l’aide. Je pense que pour nous seuls, c’est trop… Ils disent qu’en Jordanie il n’y a pas de guerre, mais je constate que ce n’est pas mieux, parce que nous recevons des personnes qui souffrent terriblement. Beaucoup de Syriens aujourd’hui ne croient plus en Dieu, beaucoup nous ont demandé, lors de nos visites, « Dieu existe encore? ». Un garçon de six ans m’a dit : « Oui, mais excusez-moi, mon père a été tué sous mes yeux, et ma sœur a été enlevée. Ma mère m’a pris avec elle et s’est enfuie, et nous avons parcouru 30 km à pieds pour nous rendre en Jordanie… je ne crois plus en l’existence de Dieu ». Quand il m’a dit cela, j’étais avec un religieux italien qui a commencé à pleurer. Je lui ai demandé : « Père, dites-lui quelque chose »… Mais il ne pouvait pas, il ne pouvait que pleurer… C’est une population brisée, des gens détruits en eux-mêmes, qui n’ont plus aucun avenir. Les valeurs, les choses précieuses qui se maintenaient dans les cœurs ne sont plus, tout est parti. Autour de nous, c’est la guerre, la mort. Les Jordaniens, qui parlent avec eux et écoutent leurs histoires, n’y arrivent plus».

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