La « nouvelle ère » égyptienne, intransigeante avec les Frères musulmans, ne fait pas non plus de cadeau à la presse : pour témoignage, la condamnation prononcée lundi dernier, le 23 juin, contre trois journalistes d'Al Jazeera, accusés d'avoir «aidé les Frères musulmans » et « d’avoir répandu de fausses nouvelles », risquant ainsi de « menacer la sécurité nationale ».
(c.g.) – Dur camouflet pour la liberté de la presse – et pour la communauté internationale – de la part du gouvernement égyptien : lundi dernier, trois journalistes d’Al Jazeera ont été condamnés par un tribunal du Caire pour avoir «aidé les Frères musulmans » (considéré par la loi égyptienne, en vigueur depuis décembre dernier, comme une organisation terroriste) et « d’avoir répandu de fausses nouvelles », risquant ainsi de « menacer la sécurité nationale ».
Les trois journalistes d’Al Jazeera – Peter Greste (Australie), Mohamed Fahmy (de nationalités égyptienne et canadienne) et Baher Mohamed, égyptien, ont été arrêtés le 29 décembre dernier au Caire. À peine quelques jours plus tôt, le 25 décembre, les Frères musulmans avaient été déclarés «organisation terroriste» par le gouvernement égyptien. C’est pourquoi, après avoir interviewé des membres de cette organisation, les trois journalistes ont été accusés de complicité avec l’organisation terroriste. En outre, leur reportage consacré aux manifestations des partisans de l’ancien président Mohammed Morsi (déposé par l’armée en juin 2013) et à la répression policière, a été considéré comme partial et trompeur : un récit «faussé» de la réalité, qui aurait pu « menacer la sécurité nationale ».
D’après Al Jazeera, parmi les preuves fournies par l’accusation certaines seraient complètement stupides et insensées : par exemple, un enregistrement de la BBC (que les accusés ne peuvent avoir réalisé, travaillant alors pour une autre agence), une production d’Al Jazeera tournée dans une période où les accusés ne se trouvaient pas en Égypte. Le directeur d’Al Jazeera en langue anglaise a déclaré que le verdict prononcé contre ses journalistes était dépourvu de « logique, de bon sens et de tout sens de justice ».
Deux des journalistes, Peter Greste et Mohamed Fahmy, ont été condamnés à sept ans de prison, tandis que le troisième, Baher Mohamed, a été condamné à dix ans (plus environ 500 euros d’amende). Trois ans de plus que ses confrères, pour détention illégale de munitions. Cependant, selon Al Jazeera, Mohamed aurait été surpris en possession d’un étui vide, que le journaliste aurait ramassé par terre, à la fin d’une manifestation.
Le résultat du procès confirme la direction inquiétante que commence à prendre l’Égypte du président Abdel Fatah al-Sissi. À savoir, celle d’un État qui pour maintenir l’ordre n’hésite pas à sacrifier le droit de critique et la liberté de la presse.
La sentence, en plus de s’adresser à l’opinion publique égyptienne, est aussi un message adressé à l’extérieur de l’État. En effet, dimanche dernier, moins de vingt-quatre heures avant la prononciation du verdict, le Secrétaire d’État américain John Kerry avait atterri en Égypte par surprise pour plaider la cause de la liberté de la presse. « J’ai souligné notre ferme soutien au renforcement des droits et des libertés universels pour tous les Égyptiens, en particulier ceux de la liberté d’expression, d’association et de manifestation pacifique », a déclaré Kerry lors d’une conférence de presse au Caire. «Nous avons également discuté du rôle essentiel joué par une société civile dynamique, une presse libre, le rôle de la loi et du système juridique dans une démocratie», a-t-il continué, en se référant à ses entretiens avec le nouveau dirigeant égyptien, le président Abdel Fatah al-Sissi. La sévérité démontrée par le tribunal, au lendemain de ces déclarations, sonne comme une réponse éloquente aux paroles de Kerry. Et le président Sissi a confirmé qu’il n’interfèrerait pas dans les décisions prises par le tribunal.
L’intransigeance du gouvernement de ces dernières semaines n’a pas seulement frappé les trois journalistes condamnés : en effet, toute la société égyptienne semble concernée. Le 11 juin dernier, le blogueur égyptien Alaa Abdel Fattah a été condamné par contumace (ainsi que 24 autres personnes) à 15 ans de prison pour avoir participé à une manifestation non autorisée. L’aspect ridicule de la décision – d’après un commentaire du blog indépendant Egyptian Chronicles – est le fait qu’Alaa ait été condamné par contumace. En effet, lorsque la sentence fut prononcée, le militant se trouvait à l’extérieur du tribunal et aurait essayé d’entrer, mais on ne l’y aurait pas autorisé. Parmi les co-accusés, on trouve Wael Matawally, un informaticien détenteur d’une double nationalité, égyptienne et italienne. D’après le site d’information Middle East Monitor, la libération d’Alaa Abdel Fattah aurait été récemment demandé par une lettre adressée au président américain Barack Obama et à son secrétaire d’État, John Kerry, et signée par une cinquantaine de professeurs d’université des États-Unis, pour la plupart affiliés à la Middle East Studies Association.