Bien qu’absente de la compétition sportive, la Palestine vit au rythme du Mondial de foot qui se déroule actuellement au Brésil. Face à la morosité ambiante, les restrictions sécuritaires et une poussée de l’extrémisme partout en Orient ; cette coupe du monde offre aux Palestiniens qui aiment le foot – et ils sont nombreux – une bouffée d’air plus que bienvenue ! Comment les Palestiniens regardent-ils ce Mondial, quelles sont les équipes les plus suivies ? Entre narghileh et houmous, immersion au cœur des nuits arabes de Bethléem à Jérusalem.
(Jérusalem/E.R) – Bien qu’absente de la compétition sportive, la Palestine vit au rythme du Mondial de foot qui se déroule actuellement au Brésil. Face à la morosité ambiante, les restrictions sécuritaires et une poussée de l’extrémisme partout en Orient ; cette coupe du monde offre aux Palestiniens qui aiment le foot – et ils sont nombreux – une bouffée d’air plus que bienvenue ! Comment les Palestiniens regardent-ils ce Mondial, quelles sont les équipes les plus suivies ? Entre narghileh et houmous, immersion au cœur des nuits arabes de Bethléem à Jérusalem.
Une forte exclamation s’élève de la vieille ville, il est plus de 23h en ce jeudi 26 juin et à Jérusalem on pousse des cris de joie. L’Algérie vient de se qualifier pour la première fois en 8e de final de la Coupe du Monde de football. La sympathie des Palestiniens envers le peuple algérien est ancienne, le président Y. Arafat vouait un immense respect à l’Algérie pour avoir soutenu le Fatah dès sa création en 1959 puis l’OLP. De nombreux Palestiniens furent formés dans des écoles militaires algériennes et nombre de médecins, ingénieurs ou professeurs palestiniens s’établirent à Alger. C’est encore sous la présidence de Bouteflika, à l’Assemblée générale de l’ONU, qu’en 1974 Arafat apparaîtra à la tribune des Nations unies. Cette amitié de plus de 50 ans, Palestiniens et Algériens la font perdurer dans la culture et le sport. D’ailleurs le n°1 de l’équipe algérienne, Soufiane Feghouli, après la qualification algérienne, sur son site Twitter a dédié la “victoire aux Algériens et aux Arabes, et tout spécialement aux Palestiniens”. C’est ce dont évoque le jeune Ali, habitant de Jérusalem le lendemain de la qualification. « Mon père est déjà allé en Algérie, dans les années 80, il m’a toujours dit que les Algériens étaient nos amis, regardez ce que disent les joueurs algériens, ils pensent à nous. Et puis nous parlons la même langue. Nous sommes des Arabes et c’est la dernière équipe arabe qu’il reste alors bien sûr que je supporte l’Algérie !». Et dans les stades brésiliens nombreux sont les keffiehs brandis en l’honneur de cet idéal de « fraternité arabe et on entonne lors des matchs l’hymne « Palestine la martyre ». Une rumeur infondée laissait même entendre que les joueurs algériens reverseraient leurs primes de matchs aux habitants de Gaza. Une annonce qu’aucun d’entre eux n’a encore confirmée.
Du côté de Beit Jala, à quelques kilomètres de Bethléem on ne jurait que par le Chili jusqu’à son élimination par le Brésil samedi 28 juin au soir. Il faut dire que plus de 100 000 habitants ou originaires de la ville ont émigré en Amérique latine dont un foyer prédominant dans le Sud du Chili. Une équipe amateur pourtant le nom de « Club Deportivo Palestino » (CD Palestino) fut même fondé en 1920. La communauté palestinienne cherchait un lieu où se réunir et faire vivre son amour du ballon rond. Depuis le CD Palestino a remporté la première ligue chilienne (1955 et 1978) et en quelques années le club devint millionnaire ! Une grande fierté pour les habitants, familles et amis qui sont restés vivre en Palestine. Et même si lors de cette édition 2014 aucun joueur palestinien du CD Palestino n’a atteint l’équipe nationale, tout Beit Jala fait corps avec la diaspora palestinienne du Chili. Nader, 27 ans, partage « le Chili a accepté les Palestiniens, il les a les a laissés affirmer leur identité et talent. Nous en sommes reconnaissants, c’est un bel exemple. Si je suis les grands clubs comme le F.C. Barcelone ou Manchester United, je suis également la ligne chilienne et bien sûr le championnat palestinien ! ».
En Palestine, le football a pris un essor tout particulier ces dix dernières d’années. En 2009, le président de la FIFA, S. Blatter a remis à la Fédération Palestinienne de Football (PFA) le premier Prix du Développement. La Fédération Palestinienne de Football était parvenue à développer le football en faisant augmenter le nombre de jeunes participants à travers les 16 districts du pays. Aujourd’hui, douze équipes professionnelles animent le championnat de Palestine (West Bank Premier League) et des formations sont dispensées aux entraîneurs via le programme international Grassrots qui sensibilise et renforce les compétences nécessaires à l’encadrement de jeunes enfants.
Selon les chiffres de la PFA, ce sont presque 100 000 filles et garçons qui jouent au football à travers les 16 districts (11 en Cisjordanie et cinq dans la bande de Gaza), on ne s’étonnera donc pas des nombreux drapeaux argentins, italiens ou encore brésiliens qui inondent les devantures des magasins et l’arrière des voitures. Un enthousiasme et un vent de liberté qu’explique Yves Gonzalez-Quijano, enseignant-chercheur au GREMMO à Lyon (Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient) dans un de ses derniers billets : “Cela fait des années que les Israéliens taclent sévèrement le foot palestinien. Tout est bon pour gêner les prestations de leurs adversaires : train-train habituels des brimades en tout genre pour empêcher l’amélioration de stades, la venue d’équipements et même d’entraîneurs de l’étranger et surtout, beaucoup plus grave, entraves aux déplacements des joueurs, y compris lorsqu’ils doivent se rendre à l’étranger pour des compétitions officielles”.
Paradoxe du Mondial, un grand nombre de Palestiniens regarde les retransmissions sur les chaînes israéliennes faute de pouvoir se permettre d’acheter le décodeur violet (240$) de la chaîne qatarie beIN (ex-Jazeera sport), détentrice exclusive des droits au Moyen-Orient. Alors sur les toits palestiniens on a recours au traditionnel « système D ». A Béthléem, les supporters se regroupent devant le mur de séparation. Un grand écran blanc a été peint et l’on y projette le match. Dans les rues de la vieille ville de Jérusalem, téléviseurs et canapés sont de sortie, parfois une radio locale vocifère en arabe le nom des joueurs ! Les supporters profitent de la fraîcheur du soir et commentent – comme partout dans le monde – les erreurs d’arbitrage et les plus beaux buts, un narghileh ou un verre d’arak à la main. Ce Mondial offre un peu de répit et d’évasion, un luxe dont on ne saurait se priver.
NDLR: Article écrit il y a quelques jours mais que nous n’avons pas voulu publier les jours derniers en raison d’une actualité trop lourde. La situation n’est guère meilleure mais il faut aussi faire retomber la tension.