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Le Custode de Terre Sainte à Assise : « Le pape François nous pousse à voler haut »

Terrasanta.net
29 octobre 2014
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Dimanche 26 octobre, au couvent de Saint François à Assise, ont pris fin trois jours de réflexion et de prières promues dans le cadre du 28ème anniversaire de la prière interreligieuse pour la paix, initiée en 1986 par Saint Jean-Paul II. Pour clôturer ce temps de rencontres, c’est le Custode de Terre Sainte qui a pris la parole revenant sur les nouveautés introduites par le Pape François lors de son voyage à Bethléem et Jérusalem.


(Gs) –  Dimanche 26 octobre, au couvent de Saint François à Assise, ont pris fin trois jours de réflexion et de prières promues dans le cadre du 28ème anniversaire de la prière interreligieuse pour la paix, initiée en 1986 par Saint Jean-Paul II.  L’événement, parrainé par le diocèse d’Assise, la municipalité et la famille franciscaine soutenue par d’autres communautés parmi lesquelles la communauté monastique de Bose, a réuni des représentants  chrétiens, juifs et musulmans.

Dimanche, alors que l’après-midi était rafraichi par un vent glacial, c’est le Custode de Terre Sainte, le frère Pierbattista Pizzaballa, qui a invité l’audience à une profonde réflexion. Dans le cloître du Jardin des novices, au pied de la grande basilique, le père Custode est revenu sur la rencontre des présidents d’Israël, Shimon Peres, et de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, provoquée par le pape, dans les jardins du Vatican en juin dernier. Son discours s’est tout d’abord appuyé sur la visite du pape en Terre Sainte; un voyage que l’on peut lire sur deux niveaux : le plan œcuménique et celui lié au conflit israélo-palestinien. Mais pour comprendre cette démarche, une seule clé : la prière.

Dans un discours passionnant, qui mérite d’être lu dans son intégralité (ceux qui le souhaitent peuvent cliquez ici pour la version pdf en italien, traduction à venir), Pizzaballa a mis en évidence combien le Pape, vis-à-vis du conflit israélo-palestinien, n’a pas fait de « discours de nature politique. Il n’a presque rien dit à ce sujet. Il n’est pas rentré dans la problématique proposant sa solution aux milliers de solutions déjà existantes et désormais presque inutiles. Il a seulement voulu apporter sa solidarité personnelle et surtout sa prière, invitant tout le monde à se joindre à lui sans jugement. Il nous a demandé de prier pour que le Seigneur donne la force de faire la paix à ceux qui en ont le pouvoir. C’est tout.»

Ce faisant, « le pape a emporté le débat à un autre niveau. Il a neutralisé les attentes et les craintes du politique, et a appelé les hommes et la politique à élargir leur vision, à se doter de perspectives différentes et peut-être nouvelles. Il voulait être là avec son humanité, sans juger, condamner, orienter ou donner des leçons. Il ne s’est substitué à personne, éliminant  presque complètement les divergences et prohibitions de chacun ».

Une approche désarmée et spirituelle qui a fait souffler un vent d’innovation, avant tout dans le domaine œcuménique. Le pèlerinage de François et du patriarche œcuménique Bartholomée a régénéré les chrétiens parce que l’étreinte entre les deux successeurs du pape Paul VI et du patriarche Athénagoras est survenue, non pas en périphérie de Jérusalem comme il y a cinquante ans, mais « dans le cœur de la Jérusalem chrétienne : le Saint-Sépulcre».

Le caractère unique de cette circonstance n’a peut-être pas encore été pleinement compris. Au contraire, souligne le Custode, « à ce moment c’est une énorme citadelle qui s’est effondrée, l’un des grands contreforts qui a soutenu le mur de séparation entre les deux Eglises, les fragilisant et les appauvrissant sans cesse un peu plus. En plus de l’instant même, émouvant et fort, il y a eu toute la préparation de la rencontre. Elle s’est faite exclusivement à Jérusalem par les Eglises locales. Il ne s’agissait pas d’un événement étranger accueilli par les églises locales mais d’un moment de prière organisé, préparé et voulu par ces mêmes églises, qui  se sont reliées à leurs pasteurs respectifs ».

« Il y eu des mois de discussions sur tous les petits détails, même les plus infimes sur qui fait quoi et où, sur les préséances,  le partage des responsabilités, les présences, le choix des invités (…) Après les difficultés initiales, propres à la compréhension de la nature d’un tel événement, peu à peu et inconsciemment, nous nous sommes rencontrés pour discuter et préparer ensemble la liturgie, comme cela se fait dans toute réalité ecclésiale: passages bibliques, chants, gestes et ainsi de suite. Cela peut sembler banal, mais quand il s’agit de la première fois depuis des siècles, cela prend une valeur considérable de nouveauté, de renouveau. Ce n’est qu’après que nous avons réalisé combien nous avons lutté et travaillé pendant des mois pour construire ensemble une liturgie simple, alors que généralement, notre préoccupation ordinaire, à Jérusalem, est de nous démarquer les uns des autres. Nous avons fait le contraire de ce que nous faisons tous les jours, et nous nous sommes retrouvés, re-rencontrés de nouveau. Dans nos réunions mensuelles, généralement nous discutons de la façon de protéger les droits des uns des autres. Pour cette rencontre, notre préoccupation a été de savoir comment partager les responsabilités. C’est une vraie nouveauté et un premier pas important ».

Bien sûr, il y a eu des tensions et Pierbattista ne les cache pas : « Il faut dire que cela n’a pas été facile et que le passé n’a  en rien été effacé. Il y a eu des interdictions et des interprétations divergentes, et O combien ! Des difficultés et, dans certains moments, le désir de tout envoyer en l’air ! Des deux côtés, des procédures complexes et stériles se sont érigées et l’on a vu nombre de détracteurs à cette initiative. Il aurait été naïf de croire qu’il puisse en être autrement. C’est l’impossibilité à impliquer les autres églises qui a créé le plus de tensions. La déception des autres communautés face à leur impossibilité de participer activement à une telle rencontre a été forte. C’est, je pense, important de le signaler. Cette déception était le fait d’un désir d’expression bien sûr, mais aussi un désir de visibilité. Nous devons le reconnaître. Il faut y lire le désir sincère de tous de participer à cette étreinte nouvelle et extraordinaire, de faire partie de ce moment historique ».

L’appel de François aux présidents palestiniens et israéliens à prier ensemble pour la paix en a abasourdi plus d’un. « Le peu de temps, les difficultés techniques et les fortes contraintes locales, ont rendu impossible de réaliser cette proposition à Jérusalem. Mais la proposition n’est pas tombée dans l’oubli. Une fois l’invitation du pape officielle, les réponses positives des deux présidents sont parvenues allant au-delà des suspicions et de la méfiance. Leurs personnels respectifs ont été obligés de faire face à leur perplexité et de donner de leur temps à cette initiative et à sa préparation. Toutes les priorités des agendas en cours ont été boulversées. Et comme à Jérusalem il est encore difficile de l’organiser en raison, comme je l’ai dit, des contraintes liées à l’imbrication des tensions politiques et religieuses, on priera à Rome. Pas seulement avec le Pape, mais dans la maison du Pape. Ils ne pouvaient pas refuser. Une fois de plus vous portez la politique et les politiciens en dehors de leurs terres mais plus encore hors de leur propre maison. « 

Ce fut un moment providentiel. « Dans un premier temps – a révélé entre Pizzaballa, qui a été nominé par le pape lui-même pour l’organisation de la rencontre romaine –  l’idée générale fut qu’un tel moment soit reporté aux mois futurs. Nous avons été informés, cependant, que tout devait être fait subitement, en quelques jours ». Regardant avec du recul comment les choses se sont déroulées, il semble évident que « s’il n’y avait pas eu ce moment de grâce, lié au pèlerinage du saint Père en Terre Sainte – et après la crise qui a éclatée au cours de l’été – il aurait été impossible de célébrer un tel moment et nous serions aujourd’hui sans aucun signe, aucune image de paix possible entre les deux peuples, mais seulement avec les débris laissés par la guerre ».

 « Comme pour la rencontre au Saint-Sépulcre, la ferme détermination des présidents à prendre part à l’invocation pour la paix a forcé leur personnel à s’aligner et mettre au second plan leurs attentes spécifiques, leurs ordres du jour, leurs objectifs divergents. Ils se sont tous trouvés contraints de s’adapter les uns aux autres, relisant leurs propres textes pour rencontrer le consentement de l’autre et vice versa. Ce n’est pas seulement l’événement en lui-même qui a été important, mais aussi toute sa préparation. Et on voit bien que quand il y a une forte motivation, on peut se rencontrer en surmontant toutes sortes d’obstacles », a déclaré le Custode de Terre Sainte.

 « On a beaucoup parlé – a observé encore le frère mineur – sur ​​les fruits de cette rencontre. Où plutôt, on a longuement évoqué son «échec», puisque presque immédiatement après s’est déclenchée une violence sans précédent. (…) Nous n’avons pas besoin d’avoir une approche consumériste de la prière, qui ne donne pas de résultats, ou jamais immédiatement. La prière invite à une attitude, à une condition et à une relation. La prière ne produit pas; la prière génère. Elle ne remplace pas le travail de l’homme, mais l’illumine. Elle ne dispense pas du parcours, mais elle ouvre la voie. En ce sens, la rencontre de Rome a été et demeure un signe fort de victoire. Il est l’image à laquelle se référer pour reprendre espoir, pour ne pas nous résigner à la triste réalité de notre époque. Personne n’a nourri l’illusion – et cela a été clairement dit –  que la paix adviendrait subitement, nous savons qu’elle ne peut être construite que sur un temps long et tous ensemble. Alors certes, la puissance de Satan crée la division et il ne pouvait pas rester inerte. Mais nous savons que cela finira un jour. Nous avions besoin d’un signe qui nous ramène à cette volonté commune de paix ; nous avions besoin de retrouver le chemin d’un vivre ensemble différement, en un mot de nous reconnaître ».

De l’avis du Frère Pizzaballa, « toutes les lectures et analyses politiques qui ont été faites après la visite du Pape et après l’événement de Rome sont inconciliables avec les gestes de François, avec sa personnalité, l’essence même de son enseignement, sa simplicité qui est l’expression d’une grande clarté. Il me semble qu’elles ne reflètent en rien le respect dû à la personne du Pape et ce même en dehors de la figure de François. Le Pape est une personne religieuse, son discours doit nous rejoindre là où nous ne pouvons pas nous mentir à nous-mêmes. Si nous ne partons pas de ce point de départ nous rendons caducs toutes nos attentes, nos jugements, les retombées de la prière commune et sa visite en Terre Sainte. Cette terre souffre déjà beaucoup trop d’analyses superficielles, elle est comme déchirée par les jugements partisans et violée quand nous oublions qu’elle est la Terre du Salut, la Terre de Dieu. Ces analyses sont également injustes pour de nombreux Israéliens et Palestiniens, religieux et laïcs, engagés jour après jour et à contre-courant ; ils luttent pour continuer à s’aimer. C’est pour cela que j’aime la façon dont François élève le débat : son étreinte à toutes les religions de la Terre Sainte exprimée dans l’étreinte de ses deux amis; le fait de tenir unis dans son cœur Israéliens et Palestiniens, s’adresser avant tout à l’Homme, donner la priorité aux pauvres, en soulignant la diversité des besoins de ces personnes. François a voulu se défaire des jougs afin de pouvoir s’immerger au cœur du quotidien avec des motivations qui le rendent vivable; hors de l’enchevêtrement et des obstacles qui paraissent insurmontables pour qu’enfin on ose découvrir une nouvelle route. Voler haut ce n’est pas cacher les problèmes mais se délivrer de la peur, oser, relever le défi, faire confiance à l’avenir ».

« L »esprit d’Assise » – a conclu le Custode – n’a donc pas épuisé sa vocation. La journée de prière à Rome n’a pas été vaine. Ils sont nombreux, de par le monde et y compris en Terre Sainte, ceux qui désirent autre chose que les bombes ; ils ont besoin d’un signe, d’un encouragement, d’un élan pour continuer à se regarder dans les yeux et lever leurs regards vers le seul Père qui nous fait nous reconnaître frères. L’affirmer ainsi peut sembler être un rêve et encore plus maintenant. Mais au contraire, c’est la chose la plus vraie et la réalité la plus belle de la Terre Sainte, celle qu’il faut regarder et dont la rencontre de Rome est le signe le plus puissant, indélébile et réconfortant ».

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