« En matière de dialogue entre les Eglises, nous sommes désormais en chemin vers l’unité et rien ne pourra nous faire retourner en arrière. Quant à l’Islam, les batailles que nous devons mener ensemble sont de plus en plus évidentes et c’est sur ces dernières que nous devons créer des alliances avec le monde musulman ». Riccardo Burigana, docteur en Histoire oecuménique de l’Eglise à l’Institut d’études œcuméniques de Venise, trace un bilan positif du récent voyage du Pape François en Turquie.
« En matière de dialogue entre les Eglises, nous sommes désormais en chemin vers l’unité et rien ne pourra nous faire retourner en arrière. Quant à l’Islam, les batailles que nous devons mener ensemble sont de plus en plus évidentes et c’est sur ces dernières que nous devons créer des alliances avec le monde musulman : la liberté religieuse, le respect des droits de l’homme et la protection du vivant ». Riccardo Burigana, docteur en Histoire œcuménique de l’Eglise à l’Institut d’études œcuméniques de Venise, trace un bilan positif du récent voyage du Pape François en Turquie (28-30 novembre 2014) et de sa rencontre avec le patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée. Un voyage important par les gestes et paroles du Pape en faveur des minorités, le dialogue avec les Eglises non-catholiques et la confrontation avec l’Islam.
Bartholomée qui embrasse la tête baissée de François : telle est la nouvelle icône du rapprochement entre les Eglises; l’image d’une éventuelle unité entre les chrétiens. Quelles sont les innovations impulsions qu’a donné la rencontre d’Istanbul au mouvement œcuménique?
Les rencontres œcuméniques à Istanbul entre François et le patriarche Bartholomée représentent des avancées significatives, non seulement dans les relations entre Rome et Constantinople mais aussi pour tout le mouvement œcuménique. Les paroles et les gestes des deux protagonistes illustrent, avec clarté, l’idée que les chrétiens doivent concrètement travailler à l’élimination du scandale de la division afin de rendre plus efficace la mission de l’Eglise dans le monde. Cette idée trouve racine dans les paroles mêmes du Christ qui ouvre un horizon où malgré les craintes et les incompréhensions du passé, faire demi-tour est impossible ! Au XXIe siècle, les chrétiens ont pris le chemin de la communion pleine et visible, comme l’ont rappelé François et Bartholomée de mille et une manières: avec des gestes comme le baiser sur la tête; dans les mots de la prière œcuménique du samedi ou dans la Divine Liturgie en l’honneur de Saint André le dimanche; avec la Déclaration commune animée par une philosophie qui ne masque pas ou ignore les difficultés qui existent encore, mais offre des raisons d’espérer dans la joie du partage des dons que les chrétiens ont reçus. Dans cette perspective, certaines expressions du pape François ont été particulièrement efficaces, il a souligné la nature de la participation de l’Église catholique au chemin œcuménique, c’est-à-dire la communion, soutenant l’importance du dialogue théologique mais redisant la nécessité de trouver des formes, toujours nouvelles, pour témoigner dans la vie quotidienne de l’amour du Christ. Durant ce même voyage en Turquie, et pas seulement lors des rencontres avec le patriarche Bartholomée, le Pape a souligné que les chrétiens doivent être des artisans de paix, dénonçant et condamnant toutes les formes de violence. Dans ce travail de construction de la paix, ils doivent chercher la coopération de tous les hommes et femmes de bonne volonté, en commençant par les autres religions, et notamment les communautés musulmanes.
La Turquie est un pays profondément musulman, où les chrétiens sont une petite minorité. Le pape a rencontré des personnalités religieuses et politiques. Quels mots a-t-il prononcés concernant le droit des minorités?
Le Pape a principalement abordé cette question dans sa rencontre avec le ministère des Affaires religieuses, au Diyanet, le 28 novembre. Il a questionné le rôle de la religion dans la lutte contre toutes les formes de discrimination, évoquant la situation actuelle au Moyen-Orient. Le pape a appelé à une coopération plus intense entre les chefs religieux, en reconnaissant qu’il se fait déjà des choses. Il a poussé plus loin la réflexion demandant comment « à la dénonciation, faire suivre un travail commun permettant de trouver des solutions adéquates » garantissant la liberté religieuse. Un questionnement significatif quand on pense à la situation que vit en ce moment la Turquie avec la guerre à ses portes, un passé avec lequel elle n’a pas encore réglé ses comptes, principalement la première moitié du XXe siècle ou encore une économie à la croissance tumultueuse. Étroitement lié à ce thème, l’accueil de ceux qui fuient, par tous les moyens, des pays marqués par les événements dramatiques de ces derniers mois. Le pape a reconnu à la Turquie le mérite d’avoir donné une certaine aide aux hommes, femmes et enfants arrivés en si grand nombre dans le pays, souvent pour une halte dans leur long chemin à la recherche d’un endroit pour vivre, pas seulement survivre.
Quelles perspectives s’ouvrent aujourd’hui pour le dialogue islamo-chrétien?
Il n’est pas facile de répondre à cette question pour plusieurs raisons, parmi celles-ci je veux au moins en évoquer une. Nous devrions en fait parler de dialogues islamo-chrétien, au pluriel, parce que comme il y a plusieurs courants de l’Islam, à l’image du christianisme, cette question essentielle du dialogue pour le présent mais surtout un futur pacifié, génère des sensibilités et des positions différentes. Parfois à l’intérieur de l’Eglise ou de la même communauté locale. Le dialogue de l’Eglise catholique avec le monde islamique est une histoire vieille de plusieurs décennies, qui a été réactivée et amplifiée au cours des dernières années, des routes nouvelles et des perspectives se sont ouvertes. Cependant, les tensions ou controverses n’ont pas manquées, souvent au niveau local face à des situations bien spécifiques où il y a encore du travail à faire afin de construire une culture de la rencontre et du dialogue comme le Pape François ne cesse de nous y inviter depuis plusieurs mois. Ce souci de «réconciliation des mémoires », si cher à Jean-Paul II, et la définition de parcours de formation facilitant la connaissance de l’autre, sont deux aspects centraux et indispensables si nous voulons enraciner le dialogue entre l’Eglise catholique et le monde islamique et ne pas le laisser à la fluctuation du temps présent. A cette étape et à mon avis, l’Eglise catholique a une responsabilité particulière: son travail pour la construction du dialogue avec l’islam joue un rôle essentiel dans l’élimination des doutes et des craintes présentes dans de nombreux cercles. Il s’agit d’une responsabilité qui doit encourager à surmonter les difficultés – et elles ne sont pas rares – pour qu’une harmonie entre les peuples et les cultures s’établisse sur la base du dialogue, la liberté religieuse, le respect des droits de l’homme, la protection du vivant. De ce point de vue, il me semble significatif que, le 2 décembre, au lendemain de sa visite en Turquie, le pape ait signé avec de nombreux autres chefs religieux une déclaration condamnant la «traite des êtres humains » relançant le rôle que les religions peuvent et doivent avoir contre la violence au service du vivre en paix.