Dix maisons, 300 habitants, une association féministe et le tombeau du prophète Samuel : vous voilà à Nabi Samuel, minuscule village situé au nord de Jérusalem. Suite à l'occupation militaire israélienne des territoires de Cisjordanie, de la Bande de Gaza et de Jérusalem-Est ces 47 dernières années, le village a vu son territoire grignoté.
Dix maisons, 300 habitants, une association féministe et le tombeau du prophète Samuel : Nabi Samuel est un minuscule village situé au nord de Jérusalem. Tout du moins, il l’est devenu au cours des 47 dernières années. À partir de 1967, date de l’occupation militaire israélienne des territoires de Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est, la communauté a été forcé à la démolition de ses maisons, ses terres confisquées, et enfin, a vu naitre le mur de séparation en ce début de XXIème siècle.
Situé au nord-est de la ville sainte, Nabi Samuel est écrasé depuis plus d’une décennie par la dite « Seam Zone » (littéralement la « zone de jointure »), une zone tampon entre la « frontière officielle » entre Israel et la Cisjordanie – délimitée par la Ligne verte – et la paroi du mur qui s’élève dans les territoires palestiniens. Nabi Samuel a ainsi vu ses terres piégées par la même barrière tout comme 300 de ses habitants qui ont dorénavant accès à leur village au travers d’un unique poste de contrôle militaire israélien, et à condition d’être muni de l’autorisation nécessaire.
Des conditions qui, au fil du temps, ont causé le départ de nombreux résidents. Nabi Samuel vit en effet dans l’incertitude: l’Autorité palestinienne n’a pas accès au village et ne peut en rien l’administrer, le gouvernement israélien ne considère pas ce centre urbain comme relevant de ses compétences. Aux habitants, Israël a délivré la carte d’identité de Cisjordanie, de manière à ce qu’aucun d’entre eux ne puisse accéder à Jérusalem et aux territoires israéliens. Dans le même temps, toutefois, l’accès au village n’est pas autorisé au reste des habitants de Cisjordanie car Nabi Samuel est situé sur le versant israélien du mur.
« Avant 1967, les habitants de Nabi Samuel étaient au nombre de deux mille – explique Nawal Barakat, directrice de l’association féministe du village -. Avec l’occupation et en raison des heurts entre l’armée israélienne et l’armée jordanienne, beaucoup ont fui vers la Jordanie. A cette époque, seul sont restés une centaine de personnes vivant dans les maisons autour de la mosquée, construite sur la tombe du prophète Samuel. En 1971, les autorités israéliennes ont proclamé ces bâtiments instables et précaires, mais ce n’était pas vrai. Cependant, la justification de la démolition des maisons du village était trouvée et actée. Les 100 habitants restants ont trouvé refuge dans les maisons de ceux qui avaient fui en 1967, juste à l’extérieur du périmètre de la mosquée ».
Une dame qui était enfant en 1967, raconte le jour de l’attaque: « Les gens se sont réveillés à 4h30 pour aller au travail et ont vu l’armée israélienne : le village a été encerclé. Les soldats ont détruit toutes les maisons au bulldozer et avec des pelleteuses. Ils ont dit aux familles de quitter leurs maisons en à peine quelques minutes. Mon père s’était barricadé à l’intérieur, il ne voulait pas sortir. Nous l’avons tiré par l’épaule. La maison a été détruite et nous avons tout perdu. Ce jour-là, après la démolition, il nous a été proposé 100 dinars jordaniens afin de quitter pour toujours ce sol. Personne n’a accepté et nous sommes toujours là ».
L’occupation des maisons des personnes ayant fuis à l’étranger est un problème qui dérange encore ceux qui sont restés vivre à Nabi Samuel : sans documents de propriété, ces familles craignent de perdre leur dernier refuge. Un problème qui s’ajoute à celui de la dernière décennie : le mur de séparation.
« Depuis la construction du mur, nous ne sommes plus autorisés à accéder à Jérusalem et les habitants de Cisjordanie ne peuvent pas pénétrer dans le village. Pour sortir, nous devons traverser un poste de contrôle militaire israélien et montrer notre carte d’identité et permis de résidence à Nabi Samuel. En Cisjordanie, Nous sommes obligés de sortir pour aller au travail, faire des courses, aller à l’école. Dans le village, point de supermarché et l’unique école est élémentaire. Pour vous donner une idée, cela signifie qu’à chaque fois que nous faisons des courses, nous devons d’abord communiquer la liste de tout ce que nous allons acheter afin qu’au retour les soldats puissent vérifier que tout est en règle. Nous ne sommes pas autorisés à avoir des moyens de transport, à l’exception d’un taxi et d’une camionnette qu’utilisent les enfants pour aller à l’école ou pour les courses de tout le village ».
« Il nous est interdit de construire, peu importe le type de structure et d’opération que ce soit un agrandissement ou une reconstruction – continue Nawal -. Ma maison a été détruite trois fois. Chaque maison construite après 1967 a été démolie par les bulldozers israéliens. Une seule est encore debout car elle est occupée par une famille de colons israéliens. Nous n’avons plus aucun espace à disposition: des familles élargies vivent ensemble dans la même maison; chaque ménage dispose d’une salle séparée des autres par un rideau ou une porte. Nous ne pouvons pas encore paver ou asphalter les routes. Dans le passé, une Ong nous avait fait don d’une clinique mobile, mais l’armée l’a confisquée ».
Les conditions de vie sont difficiles à supporter: peu d’emplois et de possibilités d’éducation (90% des jeunes sont au chômage) et un manque criant d’infrastructures et de services. Tout cela a poussé de nombreuses familles à l’exode. L’an dernier seulement, ce sont cinq familles qui ont déménagé en Cisjordanie. Pour les jeunes couples, le problème réside dans l’incapacité de donner le droit de résidence à son conjoint. Et en cas d’urgence, pas même l’ambulance de Ramallah n’est autorisée à entrer ou pour être exacte, elle entrera après des contrôles épuisants qui durent généralement entre trois et quatre heures. Les résidents sont parés: face à un cas d’urgence médicale, ils amènent le patient directement au point de contrôle.
La raison derrière tant d’intérêt du gouvernement israélien pour e petit morceau de terre c’est la présence de la tombe du prophète Samuel, figure de référence pour les Juifs avant même de le devenir pour les musulmans. Le bâtiment a été construit au XIe siècle par les croisés, pour servir d’église. Un siècle plus tard il a été transformé en mosquée et depuis 1967 abrite aussi une synagogue. Pour cette raison, en 1995 – quelques mois à peine après la signature des Accords d’Oslo, les autorités israéliennes ont déclaré la zone avoisinante au bâtiment : parc national archéologique, confisquant 3500 dunams de terre (un dunam est égal à mille mètres carrés) et interdisant de fait la résidence des habitants et la construction. Pour l’élargissement du parc, cette année, 187 autres dunams ont été confisqués.
Le mari de Nawal, Eid Barakat, nous montre des dizaines d’ordres de démolition contre des maisons ou des structures du village, déjà mis en œuvre ou en cours. Un groupe de résidents s’est tourné vers la Cour suprême israélienne afin d’arrêter les démolitions. L’affaire est toujours devant les tribunaux mais pour l’instant aucune décision n’a été prononcée et ce pour une raison absurde: selon la défense de l’Etat israélien, Nabi Samuel ne compte pas de « résidents » puisque c’est un parc archéologique, de sorte les confiscations et les démolitions sont légitimes.
Pourtant cette poignée de gens, que l’on veuille les reconnaitre ou non, représente encore 300 personnes. Ils essayent de résister pour ne pas avoir à quitter leurs terres. Noyau dur du comité du village : les femmes, toutes engagées dans la défense. « Pour soutenir les habitants restés à Nabi Samuel, nous avons créé une association féministe – poursuit Nawal -. Le but est de donner du travail aux femmes. Nous nous concentrons sur l’agriculture: nous avons créé de potagers dans les maisons, installées des ruches, des poulaillers. Ce que nous produisons, nous le consommons principalement au village, mais dans certains cas, nous pouvons également vendre le miel et les œufs en Cisjordanie et acheter en échange d’autres produits. Nous organisons également des ateliers de photographie et de médias afin de donner aux femmes les moyens de se documenter sur ce qui se passe dans le village et ailleurs, les attaques des colons et le harcèlement de l’armée ».