Difficile retour à la normale à Gaza. La bande vit toujours dans une situation d'urgence depuis les 51 jours estivaux d’offensive militaire israélienne et les 2200 décès dont 80 % de civils. La population tente comme elle peut de se raccrocher au quotidien dans cet hiver rigoureux et meurtrier.
Difficile retour à la normale à Gaza. La bande vit toujours dans une situation d’urgence depuis les 51 jours estivaux d’offensive militaire israélienne – l’Opération Bordure Protectrice a duré du 8 juillet au 26 août 2014 – et les 2200 décès dont 80 % de civils (510 enfants pour être exact). Regardant autour de nous, il semble que les gens essaient de se raccrocher aux gestes et activités du quotidien: les magasins ont peu à peu ré ouvert, les restaurants accueillent de nouveaux clients, les pêcheurs sont remontés sur leurs petites embarcations mangées par le sel enfin les enfants ont repris le chemin de l’école.
Mais la situation n’a rien de brillante et la vague de froid – pluie et gel sur toute la région – qui s’est abattue ces derniers jours ne fait qu’aggraver une situation déjà dramatique. A Gaza, l’hiver apporte d’autres victimes et on dénombre déjà quatre personnes mortes de froid, contraintes de vivre dans des maisons squelettiques, toujours pas reconstruites ou manque bien souvent le chauffage (en raison de la pénurie de carburant et des dommages qu’ont subi, l’été dernier, les infrastructures avec les bombardements). Ces jours, la bande de Gaza dispose de seulement 4 à 6 heures d’électricité par jour.
Ce sont trois nourrissons et un jeune pêcheur qui ont perdu leurs vies. Samedi dernier, Salma Zeidan al-Masri, âgée de deux mois est décédée dans les abris de fortune du camp de réfugiés de Beit Hanoun; le même jour, c’est Sufian Ahmad al-Laham, vingt-deux ans qui rendait l’âme. La veille, deux enfants avaient été emportés, Adil Maher al-Lahham, un mois, et Rahaf Abu Assi, deux mois, tous les sont décédés à Rafah alors que leurs familles essayaient de réparer leurs maisons dans les décombres qu’ils leur restent.
En trame de fond, la politique palestinienne semble toujours incapable de faire face à l’urgence, avec deux factions rivales, le Hamas et le Fatah, qui – en dépit de la création d’un gouvernement d’unité nationale – continuent de s’accuser mutuellement d’irresponsabilité et d’inaction. S’ajoutent les politiques de restrictions du président égyptien Al-Sisi, arrivé au pouvoir après le coup d’état du 3 juillet 2013, qui entent punir l’ennemi Hamas (bras armé palestinien des Frères musulmans). Le passage de Rafah a été fermé pendant des mois, de Gaza on n’entre ni ne sort, aucun échappatoire. Lundi 12 janvier, les autorités égyptiennes ont annulé l’ordre pourtant annoncé d’ouverture après une attaque par des islamistes dans la péninsule du Sinaï, tout en continuant la démolition de deux mille maisons situées à la frontière égyptienne afin de créer une véritable zone tampon et isoler la bande.
Et tandis que Gaza est balayé par des vents glacés et l’indifférence du monde, les ruines de quartiers entiers rappellent à tous que le conflit est loin d’être terminé. Nous marchons à Shajaiye, quartier de Gaza City, complètement détruit par deux jours de bombardements intensifs. Du 20 au 21 juillet se sont 100 000 habitants qui ont été pris au piège dans une offensive sans précédent: 120 morts confirmés (beaucoup d’autres n’ont jamais été retrouvés), des centaines de blessés, aucune maison n’est restée debout.
Le taxi passe avec difficulté entre les ruines qui occupent les rues telles des squelettes. La plupart des maisons se sont effondrées sur elles-mêmes, quelques matelas et couverture, çà et là, sont encore mélangés aux débris. Certains résidents ont affiché sur leurs maisons détruites leur numéro de téléphone pour prouver leur propriété sur un abri qui n’existe plus. Les routes se devinent à peine, notre guide nous montre quelques-unes des maisons, essaye de se souvenir à qui elles appartenaient, à vrai dire il nous est difficile de dire exactement où nous en sommes, car Shajaiye ne vit plus ou presque. Les familles qui ont pu reconstruire quelque chose vivent dans des appartements éventrés avec pour seule protection contre le froid des couvertures, des restes de tentes, de tôles en nylon….Au coucher du soleil, quelques lumières émanent des décombres. Qui n’a même plus le squelette de son habitation, a trouvé refuge dans les écoles des Nations Unies (UNRWA) qui relogent les réfugiés ou encore chez des amis ou parents dans d’autres quartiers de la ville de Gaza. Nous croisons des enfants à la recherche d’objets en fer ou pouvant encore être encore sauvés des décombres et revendus mais le danger rôde: «Il y a encore des munitions qui n’ont pas explosé », comment notre guide qui préfère rester anonyme.
Et si personne ne vient nettoyer « les restes », on reconstruira dessus. Trois mois après la conférence des donateurs au Caire, le 12 octobre dernier, au cours de laquelle la communauté internationale avait promis de faire don de 5,4 milliards de dollars pour reconstruire la bande de Gaza, les matériaux de construction arrivent au compte-gouttes et de façon très sporadique. Seulement 2% de l’argent promis a déjà été libéré: « seulement 100 millions ont été recueillis », précise Robert Turner, directeur des opérations de l’UNRWA. À ce rythme-là et selon l’ONU, il faudra 20 ans pour reconstruire Gaza.
Notre guide nous détaille encore le système complexe d’entrée du ciment par le passage de Kerem Shalom en Israël, « si tout est retardé – disent les Israéliens – c’est en raison de la présence du Hamas », encore au gouvernement dans la bande de Gaza. L’Autorité palestinienne, qui devrait être responsable de la reconstruction, n’a pas encore assumé ses devoirs ni payé les frais en cours à Gaza: « Israël – dit notre interlocuteur – affirme que les matériaux peuvent être l’objet d’une double utilisation, à des fins civiles et militaires, en faveur du Hamas. C’est pourquoi l’ONU a nommé un coordonnateur spécial, M. Robert Serry, en charge de la supervision de la livraison des matériaux en partenariat avec les services secrets israéliens qui au travers d’énormes base de données contrôlent qui achète et reçoit ».
Israël, dans le système complexe de vente, s’enrichit: selon la presse israélienne c’est 60 % de l’argent alloué à la bande de Gaza qui finira dans les coffres d’Israël, sous forme de taxes de douane, de vente de ciment, fer ou autres machines. Et pourtant, rien ne rentre. Les chiffres sont effrayants: jeudi 18 décembre, les Nations Unies ont révisé les calculs sur les maisons détruites ou partiellement endommagées. Après la trêve on estimait leur nombre à 42 000 maisons à reconstruire. Aujourd’hui on atteint le double, Turner a déclaré: « Nous savons maintenant que plus de 96 000 maisons ont été endommagées ou détruites ». Et ils sont encore 39 000 réfugiés à attendre dans les écoles de l’UNRWA sans compter les dizaines d’autres milliers « un peu plus chanceux » qui ont bénéficié de la maison de proches ou parents.