Dans un monde qui regarde avec appréhension les défis lancés par le terrorisme islamique et qui appelle l'Islam modéré à élever la voix contre l'extrémisme, les paroles adressées, le 28 décembre dernier, par le président égyptien Abdel Fatah al-Sisi, ont surpris les étudiants et professeurs de l'Université al-Azhar du Caire, un des plus grands centres religieux de l'islam sunnite.
Dans un monde qui regarde avec appréhension les défis lancés par le terrorisme islamique et qui appelle l’Islam modéré à élever la voix contre l’extrémisme, les paroles adressées, le 28 décembre dernier, par le président égyptien Abdel Fatah al-Sisi, ont surpris les étudiants et professeurs de l’Université al-Azhar du Caire, un des plus grands centres religieux de l’islam sunnite.
Comme rapporté dans de nombreux médias, le président a indiqué combien le monde islamique est devenu aux yeux du monde entier une « source d’inquiétude, de danger, de mort et de destruction ». Il a ensuite évoqué la nécessité d’une « révolution religieuse » devant être portée par les imams et les muftis pour éradiquer le fanatisme et proposer une «vision plus éclairée du monde ».
Cette prise de position, très forte, frappe encore plus l’attention car elle a eu lieu avant les événements de Paris (actions terroristes des 7 et 9 janvier) et va donc à l’encontre d’une vision répandue qui reproche aux dirigeants du monde musulman leur passivité à critiquer le terrorisme. En réalité, les dirigeants d’Al-Azhar (et pas seulement eux) s’étaient déjà fortement exprimé contre l’État islamique au cours de l’été 2014, mais l’opinion publique occidentale n’avait que très peu eu écho de ces propos, les médias n’étant pas friands de ce qui advint en dehors de l’Europe.
L’importance de ces paroles risque toutefois de ne pas être justement perçue par un Occident qui, d’une part, en apprécie la teneur mais, d’autre part, ne l’enracine pas dans les dynamiques internes du monde musulman, religieux et laïc.
L’Université Al-Azhar est en fait l’un des principaux centres d’études de l’islam sunnite et dans notre imagination souvent considérée comme l’un des « phares » de la modération. On aurait tort, cependant, de considérer que toute parole qui en émane suffit à modifier les équilibres en présence. Si bien des modérés vont effet trouver du réconfort dans les paroles du président égyptien comme dans celles des hauts responsables l’Université ; les courants alignés sur l’Islam wahhabite (ou à une lecture du Coran que l’on pourrait rapidement définir de rigoriste) ne seront que peu influencés. Pourquoi?
Parce qu’al-Azhar est une institution dont la réputation a toujours été mise en doute de par son excessive proximité avec les autorités du pays ; dans la pratique, dans une Egypte qui a souvent vu la dissidence et l’extrémisme religieux réprimés avec férocité, l’Université a toujours été considérée comme l’alliée du régime. A tort ou à raison, c’est ainsi qu’elle était perçue du temps d’Hosni Moubarak et elle l’est encore sous les jours du général al-Sisi. Du reste, le président lui-même, réprimant (jusqu’à proscrire) les Frères musulmans, a été présenté dès le début de son mandat comme le principal adversaire de l’islam politique et de la tentative ouverte des partis islamistes de prendre le pouvoir le pouvoir, politiquement ou par la rue.
Son discours incarne une avancée essentiellement politique, visant à obtenir du soutien dans sa lutte contre l’extrémisme qui pèse sur son gouvernement, mais qui atteindra difficilement ceux qui ont déjà une idée bien différente sur le sujet. Cette problématique concerne également l’université: si bien des prélats partagent une vision modérée de l’Islam s’inscrivant en faculté, ces dernières années nombreux sont ceux, dans les rangs inférieurs enseignants ou étudiants, à avoir embrassé une vision plus extrémiste. Signe d’une soumission mineure au régime, elle porte bien des risques.
En d’autres termes, ce problème est un véritable paradoxe : si les institutions islamiques restent contrôlées, cela évitera qu’elles sombrent dans l’orbite de l’extrémisme mais de pair leur crédibilité est remise en question quand elles appellent à la retenue. Si, toutefois, une plus grande liberté d’expression était accordée en leur sein peut-être que leur crédibilité grandirait ; mais là encore elles craignent que le public étudiant, en général politiquement actif et attentif soit capté par le fanatisme.
Le discours du président était-il pour autant inutile? Pas totalement. Notons qu’il comporte bien une nouveauté : c’est la première fois qu’un haut responsable s’exprime d’une manière aussi déterminée sur les bancs d’une institution islamique, essayant d’impliquer les chercheurs eux-mêmes dans un dialogue demeuré jusqu’à présent enterré par d’autres préoccupations. Il devra toutefois ne pas rester isolé à la seule Egypte où les connotations politiques de l’événement sont susceptibles d’en dominer sa valeur religieuse. De plus il faut garder à l’esprit combien les difficultés sociales et économiques de certaines parties du pays, et du Moyen-Orient en général, sont un terrain fertile pour l’extrémisme, au-delà des querelles théologiques. Le vrai défi ne réside donc pas seulement dans les paroles, bien que louables, promouvant le dialogue et la modération ; il va aussi falloir garantir les conditions de leur acceptation notamment par les populations les plus en difficulté.
Il ne s’agit pas seulement de surmonter des décennies d’absence de débat au sein de l’Islam, mais aussi des décennies d’échecs de la classe dirigeante locale dans l’épanouissement durable de la population. Et cela rend le défi bien plus difficile encore.
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Cliquez ici pour voir la vidéo – avec sous-titres en anglais – de l’un des principaux passages du discours prononcé par al-Sisi à l’Université d’al-Azhar.