Grande figure de la communauté arménienne de Jérusalem, George Hintlian, éclaire pour Terre Sainte Magazine les conditions qui permirent à Jérusalem de devenir un lieu refuge, bien qu’en 1915 elle fit encore partie de l’Empire ottoman. Et comment la communauté prit.
À partir de 1915 et pour la première fois dans leur longue histoire, les arméniens furent expulsés de leurs terres ancestrales. Près de 1,5 million d’entre eux furent tués, 5 000 membres du clergé furent assassinés et toute la classe intellectuelle périt. Des milliers d’églises et des centaines de monastères furent détruits et les arméniens devinrent, du jour au lendemain, un peuple exilé dans 34 pays, sans infrastructures institutionnelles.
Alors que partout ailleurs cette dévastation institutionnelle fut totale, Jérusalem conserva quelques infrastructures, “même si ce n’était pas gagné d’avance”.
Lire aussi >> Comment la Terre Sainte a accueilli les rescapés arméniens
Le 22 novembre 1917, les autorités turques, réalisant que la prise de Jérusalem par les Anglais était imminente, déportèrent tous les patriarches et hauts membres du clergé à Damas, d’où ils ne revinrent qu’après l’armistice, en novembre 1918. “Les Églises durent donc se gérer seules pendant un an.”
Rapatriement précipité
Après qu’Allenby se fut emparé de Jérusalem le 9 décembre 1917, les réfugiés arméniens vivant en Transjordanie (principalement à Kerak, Tafila et Jerash) prirent lentement la route de Jérusalem à travers les vallées et les montagnes.
En 1920, ils étaient 2 000 à avoir atteint Jérusalem. En mars 1918 les Britanniques, lors d’une offensive contre les Turcs et les Allemands en Transjordanie, réussirent à emmener avec eux 3 500 réfugiés arméniens. Arrivés à Jérusalem malgré les intempéries, ils attendirent quatre mois dans un camp avant de rejoindre Port-Saïd en Égypte par le train.
La principale vague de réfugiés arméniens en Palestine déferla en 1921. La fin soudaine du mandat français sur la Cilicie (sud de la Turquie) provoqua l’évacuation et le rapatriement précipité de 150 000 arméniens au Liban, en Syrie et en Palestine. Environ 10 000 atteignirent les côtes palestiniennes, particulièrement via Haïfa et Jaffa, et le monastère arménien dut les accueillir dans des conditions précaires en raison de leur nombre.
Une communauté revivifiée
En 1921, la Fraternité élut un nouveau Patriarche, Elishe Tourian, ecclésiastique instruit. Il réunit autour de lui une demi-douzaine d’évêques et quelques intellectuels ayant réussi à s’échapper. Ensemble ils ressuscitèrent et ravivèrent l’ensemble des institutions avec un enthousiasme et une détermination renouvelés. Le décompte officiel de la communauté atteignait 7 000 membres.
En février 1922 arrivèrent d’Irak 840 orphelins. On logea les jeunes filles, nommées Vaspourakan, au monastère de la Sainte-Croix, et les jeunes garçons, appelés Araratian, dans les locaux du séminaire et les appartements des prêtres. En 1924, certains repartirent pour l’Arménie, d’autres furent déplacés vers différents orphelinats au Moyen-Orient. Seulement 300 d’entre eux restèrent à Jérusalem.
Lire aussi >> Fermé en 1995, le musée arménien de Jérusalem a rouvert
Passés par le petit séminaire, certains se lièrent par des mariages arrangés, d’autres décidèrent de devenir prêtres afin de revivifier l’Église. Les orphelinats furent fermés en 1926, et les derniers orphelins rejoignirent la communauté arménienne. Après l’inactivité des années de guerre, le séminaire rouvrit avec de nouveaux étudiants et employés. Le bulletin officiel du Patriarcat “Sion” put reprendre une parution longtemps interrompue et devint une revue savante et réputée.
L’Arménie devint une République soviétique, les séminaires y furent fermés. Jérusalem assuma la charge de fournir des prêtres à la communauté arménienne, dès la première promotion sortante au début des années 30 jusqu’à aujourd’hui.
Deuxième vague de migration
En 1934, une bibliothèque publique fut fondée grâce aux dons de Calouste Gulbenkian. La communauté en Palestine avait atteint 15 000 âmes. Trois écoles furent fondées, à Jérusalem, Jaffa et Haïfa. La diaspora, assumant un rôle nouveau, finança généreusement tous ces projets. Malgré cela sans revenus suffisants, le Patriarcat construisit des bâtiments et boutiques à Jérusalem-Ouest, qui constituent encore aujourd’hui la majorité de ses recettes.
La guerre de 1948 frappa de plein fouet la communauté. À cause des mouvements de population, 10 000 arméniens se retrouvèrent de nouveau réfugiés, et elle perdit les deux tiers de ses membres. Le Patriarcat dut loger cette nouvelle vague d’émigrants.
Lire aussi >> Hagop Djernazian: “Le quartier arménien n’est pas à vendre”
Si les années 1950 furent difficiles, les problèmes furent résolus avec le temps, et les apports financiers de la diaspora permirent de soulager la crise financière. Le Patriarcat arménien de Jérusalem continua de former et fournir le clergé de la diaspora arménienne, raison pour laquelle un grand séminaire fut créé en 1975.
Ironiquement, le génocide arménien créa un élan pour renforcer le nombre de la communauté arménienne et parallèlement consolider l’infrastructure de son Patriarcat.
Dernière mise à jour: 18/11/2023 22:49