La majorité des arméniens de Terre Sainte sont les descendants de rescapés du génocide. La Palestine comptait moins de 1 500 arméniens avant 1915, et dix fois plus en 1925. Le couvent Saint-Jacques, à Jérusalem, a grandement contribué à l’accueil des réfugiés.
En 1915, Elia Kahvedjian avait 5 ans. Il vivait à Edesse, dans le sud-est de la Turquie, avec ses parents et ses sept frères et sœurs. Au printemps 1915, son père fut massacré avec des centaines d’autres hommes arméniens de la ville. Le petit Elia prit alors la route du désert syrien avec sa mère et ses sœurs. Elles lui apprirent l’alphabet arménien en traçant les lettres sur le sable, pour qu’il n’oublie jamais son arménité.
Après des semaines de marche, l’enfant fut donné à un kurde qui promettait de le protéger, mais l’a vendu comme esclave à un couple de chrétiens de Mardin… Un long périple l’amena, à 9 ans, à l’orphelinat de Nazareth. Adolescent, il arriva à Jérusalem, qu’il ne quitta plus jamais et il passa sa vie à photographier. Son fils Kevork vend aujourd’hui ses clichés aux touristes, dans une boutique fameuse de la vieille ville.
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Éradiquer la présence arménienne dans l’Empire ottoman : tel était l’objectif du gouvernement jeune-turc en 1915. En partie atteint puisque les deux tiers des arméniens d’Anatolie disparurent au cours du génocide. Dès le printemps, ils furent exterminés ou déportés en masse vers la Syrie. En quelques mois, 800 000 personnes arrivèrent à Alep, nœud du système génocidaire.
Un long chemin
À partir de là, ils empruntaient trois routes principales : celle de l’est, à destination de Deir-ez-Zor, dans le désert de Syrie ; celle du nord-est, filant vers Mossoul ; et celle du plein sud, avec pour terminus tantôt la ville jordanienne d’Amman, tantôt Jérusalem. Avant d’atteindre la trois fois sainte, la plupart des convois traversaient les villes de Hama, Homs, Damas, Beyrouth, Haïfa et Jaffa.
Les déportés de l’axe Alep-Jérusalem étaient sous le contrôle d’un seul homme : Djemal Pacha, ministre de la Marine et commandant de la IVe armée. Or il faisait figure d’exception dans le triumvirat au pouvoir : si Talaat et Enver Pacha ne juraient que par l’extermination, les 120 000 à 150 000 “arméniens de Djemal” ne furent pas radicalement éliminés. “Djemal avait pour objectif de régner sur la Syrie-Mésopotamie après la fin de la guerre et l’effondrement probable de l’Empire ottoman, explique l’historien Yves Ternon. Les arméniens pourraient lui être utiles, c’est pourquoi il préféra les garder en vie.”
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Jusqu’à Jérusalem, la route était parsemée d’une douzaine de camps de concentration qui, “contrairement à ceux du désert de Deir-ez-Zor, n’étaient pas des mouroirs”, comme le précise Yves Ternon. Les “arméniens de Djemal” furent très vite contraints de se convertir en masse à l’islam. Et tout le long de l’exil, les autorités turques veillaient à ce que les rescapés ne dépassent jamais 10 % de la population : pas question de reconstituer une autre Arménie, hors frontières…
Promesse d’un Etat
A l’automne 1916, les premiers arméniens arrivèrent à Jérusalem. Pendant des siècles, l’immense couvent Saint-Jacques, couvrant un sixième de la vieille ville, avait servi d’hospice pour pèlerins. Il dut s’organiser en urgence pour accueillir les survivants des massacres arrivés par centaines. Les familles devaient s’entasser à sept ou huit personnes par pièce…
Le 9 décembre 1917, quand les Britanniques s’emparèrent de Jérusalem mettant ainsi fin à sept siècles de domination musulmane, ils découvrirent que le couvent hébergeait déjà quelque 500 arméniens. En 1920, Jérusalem en abritait environ 2 000, dont la moitié d’orphelins. Sur les 543 600 survivants du génocide arménien, environ 5 000 se trouvaient alors en Palestine.
Ce n’était pas la fin des tribulations des rescapés arméniens en Terre Sainte. Au début des années 1920, la France promit aux arméniens un État en Cilicie, région du sud de la Turquie. 200 000 survivants du génocide s’y rendirent donc. Mais en 1922, en vertu d’un accord avec les Turcs, la France évacua la région.
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“L’immense majorité de ces arméniens s’est alors dirigée vers le Liban et la Syrie, certains vers l’Europe, mais aussi 8 000 vers le port d’Haïfa, par la Méditerranée”, énumère George Hintlian, mémoire vivante de la communauté de Jérusalem. Nouvelle puissance mandataire, les Britanniques froncèrent les sourcils mais autorisèrent finalement les survivants à débarquer. Au milieu des années 1920, plus de 13 000 arméniens d’Anatolie avaient trouvé refuge en Terre Sainte.
Dernière mise à jour: 18/11/2023 22:49