Contrairement à de nombreux pays, dont la France, Israël n’a jamais reconnu le génocide arménien. Certains soupçonnent les juifs de vouloir ainsi garder le monopole de “leur” génocide.
Voilà bientôt trente ans que Yaïr Auron milite pour que l’État hébreu reconnaisse le génocide des arméniens. Pas la moindre goutte de sang arménien ne coule pourtant dans les veines de ce septuagénaire israélien au regard bienveillant.
Un autre génocide a frappé sa famille, juive de Pologne, et emporté sa grand-mère paternelle et huit de ses oncles et tantes. “Nous, les juifs, n’avons pas le monopole de la tragédie humaine”, observe-t-il simplement. La cause arménienne est devenue sienne par adoption ; il lui a consacré deux livres et de nombreux déplacements, en Arménie et dans la diaspora.
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“La vérité, ce n’est pas qu’Israël ne reconnaît pas le génocide arménien, c’est qu’il le nie, s’offusque-t-il. Et c’est mon devoir de le dire.” Sans remettre en cause l’atrocité des événements de 1915, l’État hébreu ne considère pas, en effet, que ceux-ci répondent à la définition de génocide.
Yaïr Auron explique ce refus par les relations privilégiées d’Israël avec la Turquie, mais aussi par un désir inavouable de conserver son statut de victime absolue, devant les autres peuples. “On est dans le registre de la concurrence victimaire, déplore-t-il, alors qu’il faudrait plutôt une fraternité… C’est d’autant plus regrettable qu’il y a une profonde ressemblance entre les peuples juif et arménien, tous deux religieux et diasporiques.”
Plus symbolique que le Paraguay
Rares sont aujourd’hui les autres intellectuels israéliens à prendre publiquement parti pour les arméniens, regrette Serope Sahaguian, “car ils subissent des pressions de la part du gouvernement”. Pour cet arménien de Jérusalem, militant de la première heure, la reconnaissance du génocide par l’État hébreu est la priorité absolue.
“Beaucoup de communautés arméniennes dans le monde cherchent avant tout à sortir l’Arménie actuelle de sa situation économique difficile, mais ici, on préfère se concentrer sur la question de la reconnaissance, soutient-il. Car si Israël reconnaissait notre génocide, ce serait, au vu de son histoire, un symbole très fort. Plus que l’Égypte ou le Paraguay ! Cela déclencherait, j’en suis sûr, une cascade de reconnaissances, notamment en Europe de l’est.” Et si les États-Unis eux-mêmes venaient à emboîter le pas de leur allié israélien ?
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Au sein de la communauté arménienne de Terre Sainte, le refus d’Israël de reconnaître le génocide arménien est considéré comme une forme d’égoïsme. “Ce pays ne pense qu’à lui et à son génocide, il ne reconnaît pas le premier du XXe siècle, s’agace Haig Vosgueritchian, qui enseigne l’orgue à l’école de musique de la Custodie de Terre Sainte. Les faits sont pourtant avérés, et on ne devrait pas avoir à supplier Israël de consentir à les reconnaître !”
La Turquie, un allié à ménager
Derrière ce refus se cache un partenariat vital pour Israël : la Turquie est son principal allié régional, depuis la signature en 1996 d’un accord de coopération militaire ayant débouché sur la signature de multiples contrats. Ce sont justement ces ventes d’armes israéliennes à la Turquie et à l’Azerbaïdjan qui inquiètent le plus Minas Kogiyan, essayiste américain installé à Jérusalem. “Ces armes seront utilisées contre l’Arménie et le Karabagh”, s’alarme-t-il.
Depuis 2007, la question de la reconnaissance a été amenée huit fois devant la Knesset. Parmi ses ardents défenseurs au Parlement figurait un certain Reuven Rivlin, devenu président d’Israël en juillet dernier. Mais début décembre, il n’a pas renouvelé sa signature sur la pétition annuelle pour la reconnaissance, à peine un an après avoir déclaré, encore parlementaire : “Il est impensable que la Knesset ignore cette tragédie”. Sa priorité, à l’heure actuelle, est de préserver les relations d’Israël avec la Turquie qui se sont beaucoup détériorées ces dernières années, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, soutenant publiquement le Hamas.
Le génocide arménien n’en a pas moins été reconnu, il y a tout juste dix ans, par la plus haute autorité juive du pays, le Grand Rabbin d’Israël.
Dernière mise à jour: 18/11/2023 22:49