Ofer Zalzberg est analyste principal pour le programme Moyen-Orient
du Crisis Group, dont la mission est de prévenir et résoudre les conflits. Il travaille notamment sur la question de Jérusalem et s'interroge quant à l'avenir politique et géographique de la ville sainte.
Selon vous, Jérusalem est-elle une ville unie, divisée, sainte ?
Aujourd’hui, Jérusalem est à la fois unie et divisée. Unie au sens où une même municipalité administre la ville. La loi israélienne s’applique sur tout le territoire, y compris la partie arabe de la ville.
Mais si l’on considère Jérusalem sous un angle social, culturel ou politique, la ville est vraiment divisée. Dans les quartiers arabes, il y a peu de juifs. Personnellement, je ne me sens pas très à l’aise d’y parler hébreu. On peut y voir surgir des drapeaux de l’OLP, du Hamas, voire de Daesh… Il faut noter que la division ne se fait pas selon la ligne verte, mais entre quartiers arabes et juifs.
À quoi tient cette division de l’unité ?
L’unité administrative s’est imposée de manière agressive. Je préférerais voir une ville unie autour d’un consensus et d’une coopération des différents peuples. Cette unité imposée ne me permet pas de me sentir pleinement en paix quand je suis dans les quartiers arabes. Le problème n’est pas que cette unité soit administrative. Le problème est qu’elle soit imposée.
Le statut de Jérusalem est en suspens depuis la création d’Israël. Pour vous, quelle place pourrait avoir Jérusalem dans un Proche-Orient pacifié ?
Sur ce sujet, tout a déjà été écrit, et je pense qu’il n’y a pas de bonne solution. Il faut choisir entre deux mauvaises solutions. Une première mauvaise solution serait de diviser la Ville. Avec une frontière physique. Deux capitales dans Jérusalem, séparées par un mur, avec différents points de passage. Mais avec une vraie séparation. Une façon de prévenir les actes de criminalités et d’assurer la sécurité (y compris des Palestiniens vis-à-vis de la violence de certains colons).
Et la seconde solution ?
L’autre solution est de faire de Jérusalem une ville ouverte. Pas de séparation à l’intérieur de la capitale, mais à l’extérieur. Si vous venez de Tel-Aviv ou de Ramallah à Jérusalem, vous devez passer une frontière physique. Comme si vous deviez franchir une frontière pour vous rendre dans la capitale de votre pays ! Donc c’est également une mauvaise solution.
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De toute façon, après un accord de paix, il y aura de façon certaine d’importantes tensions, et beaucoup de violence. Et une séparation, intérieure ou extérieure sera nécessaire.
Vous excluez la solution d’un État binational ?
Cette troisième solution ne me paraît pas être meilleure. Il existe trop de sentiments identitaires et nationaux. Donc si l’on reste dans la solution à deux États, il n’y a que des mauvaises façons de résoudre le problème.
Cependant, dans le cadre de la première option, la séparation ne serait que temporaire. Le temps qu’une génération passe, que l’éducation fasse son œuvre, que les problèmes de sécurité se résolvent. Et après il sera plus simple de supprimer le mur.
Je n’ignore pas que cette solution soit difficile, parce que les gens veulent venir prier dans la Vieille Ville, voir leurs familles. Des centaines de milliers d’individus doivent se déplacer quotidiennement pour travailler. Mais cette mesure temporaire doit permettre de former une nouvelle génération de citoyens.
Pensez-vous que Jérusalem puisse être à la fois capitale d’Israël et de la Palestine ?
Il faudra une forte coordination. Je pense que cela nécessitera un troisième niveau administratif, une sorte de garantie supérieure pour les deux parties. Le problème est davantage symbolique. Israéliens et Palestiniens seront-ils prêts à céder une part de “Yéroushalaïm” ou d’“Al-Quds” ?
La question est aussi de savoir ce qu’est “Jérusalem”. Quand vous réalisez des sondages, où vous demandez aux Juifs où est Jérusalem, avec quelles limites, ils répondent par exemple que le camp de réfugiés de Shouafat ne fait pas partie de la ville. Et pour eux, les colonies font partie de la ville. Nous devons faire attention à ce que nous mettons derrière le terme “Jérusalem”. Mais encore une fois, la cohabitation de deux capitales est possible, en laissant passer une génération, et en imposant pour un temps une séparation physique.
Pensez-vous qu’un jour Israël soit prêt à partager celle qu’il qualifie de “capitale une et indivisible” ?
Partager Jérusalem ne me semble pas irréalisable. Je crois qu’on a perdu de vue ce qu’était Jérusalem, en voulant y inclure à tout prix les quartiers arabes. Et aussi longtemps que ce sera le cas, il sera difficile de céder du terrain.
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La société israélienne est-elle prête à revoir le terme “Jérusalem” pour y inclure moins de territoires ? Je pense que oui. De nombreux leaders politiques ont évoqué la possibilité de rétrocéder des quartiers arabes à l’Autorité Palestinienne, changeant rapidement de discours pendant les élections.
Ce que j’en conclus, c’est qu’il n’y a pas tellement de gens aujourd’hui en Israël qui pensent que “Jérusalem une et indivisible” soit un vrai programme. Le centre et les colombes du Likoud sauront faire des concessions.
Jérusalem a connu à l’automne deux mois de violence urbaine et une attaque meurtrière dans une synagogue… Comment analysez-vous ces faits ?
Deux faits concomitants. D’une part une réaction populaire à la guerre de Gaza. D’autre part le mouvement de “défense” d’Al-Aqsa suite à la peur des musulmans de voir le statu quo changer sur l’esplanade des mosquées.
La montée de Juifs sur le site a provoqué de nombreuses altercations avec les musulmans. D’où des restrictions d’accès par la police. Ce qui a été perçu par les musulmans comme une tentative israélienne de diviser l’esplanade avec les Juifs. C’est de là qu’est partie une réaction généralisée et violente des musulmans.
Pour ne rien arranger, c’était la période du Ramadan. Après le dîner, les musulmans sortaient manifester dans les rues. On peut cependant voir que les quartiers se soulevaient séparément, sans vraie dynamique d’ensemble. Le pic de violence a été atteint avec l’attaque d’un rabbin activiste du Mont du Temple. La réaction d’Israël a été de fermer totalement et pour tous l’accès à l’esplanade. Le lendemain, la Jordanie rappelait son ambassadeur. Et John Kerry a dû intervenir.
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Le résultat a été un changement dans la politique de Netanyahu, qui a calmé la situation. Il a décidé de limiter le nombre de juifs venant prier sur le Mont du Temple. Il a d’autre part demandé aux membres de la Knesset de ne plus s’y rendre. Enfin, il a ordonné au Parlement de ne plus aborder le sujet publiquement.
Comment la crise s’est-elle résolue ?
La guerre à Gaza s’est terminée. Le Ramadan a également pris fin. Et la politique d’Israël a changé. Mais le résultat a été un affaiblissement complet de la tolérance des Palestiniens envers la présence des juifs sur l’esplanade. Maintenant, tout juif venant sur le lieu sacré est assimilé à la volonté supposée d’Israël de diviser le lieu. Les musulmans ne croient pas Netanyahu. Pour eux, ce changement de politique n’est que temporaire, réalisé dans un but électoral, portant l’empreinte américaine. Il n’y a donc pas eu de troisième Intifada parce que les trois facteurs de violence se sont estompés peu à peu.
Un psaume décrit Jérusalem comme “ville où tout ensemble ne fait qu’un”. Comment voyez-vous le futur de Jérusalem ?
Jérusalem “cité des nations”… Je voudrais que Jérusalem le soit. Qu’elle soit aussi un exemple pour les relations interreligieuses et interculturelles. Cela devra passer par une reconnaissance mutuelle. Pas seulement une tolérance désincarnée. Mais une vraie reconnaissance de l’autre. Cela signifie accepter de partager ce que nous avons de commun dans le monothéisme.
L’idéal ne serait-il pas que Jérusalem soit une ville unie dans sa diversité ?
Oui, bien sûr. Mais la question est de savoir de ce que nous mettons derrière le mot “unité”. Ce ne pourra être une unicité exclusive. Je vois davantage cela comme un arc-en-ciel ou une mosaïque. Quand nous, juifs, parlons de Jérusalem, nous avons l’image de l’unité du peuple juif. Cette vision est importante mais il faut aussi désirer l’unité de toutes les populations présentes.
Dans la pensée juive, la façon de voir Jérusalem est théologique. Le problème est que nous ne sommes pour l’instant pas arrivés à reconnaître le rôle que chrétiens et musulmans jouent dans la richesse de cette ville.
Les religions peuvent-elles apporter au statut politique de la ville ?
Oui. Pour le moment, s’agissant de son statut, on en appelle à l’ONU ou aux États-Unis. Mais la réponse ne pourra se passer de la dimension religieuse. Voyez comme la place des leaders religieux est constamment oubliée dans les négociations de paix !
Il y a des signes d’espoir. Des leaders religieux prennent position. Mais on leur laisse trop peu d’espace d’expression. La volonté de séparer la religion de la politique pour résoudre les problèmes actuels est une erreur totale.
Dernière mise à jour: 18/11/2023 22:16