Les 29 et 30 avril s'est tenu à Bari (Italie) un important colloque sur l’avenir des chrétiens d’Orient. Grâce à une initiative conjointe de la Communauté de Sant'Egidio et du diocèse de Bari, de nombreux responsables des Églises orientales ont pu faire entendre leurs voix et affronter cette dure question de l'avenir de leurs communautés. Terrasanta.net vous résume les grandes des idées et propos tenus durant ce colloque.
(Gs) – On ne peut pas dire, qu’en cette période de l’histoire, les chrétiens du Moyen-Orient soient silencieux ou subissent en sujet tout ce qui se passe au dessus de leurs têtes signant leur reddition. Chaque fois qu’ils le peuvent, les chefs religieux de la région, montent au créneau pour faire entendre leurs voix et celles des peuples auxquels ils appartiennent.
Le 29 et le 30 avril dernier, c’est à Bari en Italie que leur fut donnée une nouvelle occasion de discuter de l’avenir des chrétiens du Moyen-Orient, sur une initiative conjointe de la Communauté de Sant’Egidio et du diocèse de Bari. Les deux jours de débats et prières ont été suivis par de nombreux membres du clergé et des diplomates. Le colloque, organisé par la Province de Bari dans la salle du Conseil Provincial, s’est partagé entre séances publiques et huis clos. Nous ne pouvons rendre compte que des premières et, par souci de synthèse, ne ferons que dessiner les contours des nombreux propos tenus. Obligés d’effectuer un choix, nous avons tout particulièrement prêté attention aux voix du Moyen-Orient, bien qu’autour de la table étaient aussi présents des représentants de médias et gouvernements occidentaux, ainsi que des membres de la Curie romaine et de la Conférence épiscopale italienne.
Le discours de Mgr Brian Farrell, secrétaire du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, nous servira de point de départ: « Ce que nous appelons aujourd’hui «œcuménisme», c’est à dire la recherche d’une communion plus étroite entre les Églises, a toujours existé au Moyen-Orient. Il existe un œcuménisme local, fondé sur le terrain de relations familiales solides, l’amitié, la coopération et la solidarité. C’est un œcuménisme de la vie, de la rencontre, du soutien mutuel. Les chrétiens voient d’abord ce qu’ils ont en commun: leur profession de foi et histoire commune, c’est seulement ensuite qu’ils notent leurs différences. La plupart de ces différences sont facilement acceptées comme des expressions légitimes de la diversité des cultures, des ethnies et des traditions remontant aux débuts du christianisme. Cette diversité est perçue comme un atout devant être protégé et soutenu. C’est en ce sens que les chrétiens du Moyen-Orient, eux-mêmes, se perçoivent comme des frères et sœurs d’une même famille. Dans leurs souffrances, ils s’aiment et s’entraident« .
Aujourd’hui et afin de faire face à la nouvelle vague de persécutions au nom d’une purification ethnique, la solidarité des chrétiens du Moyen-Orient s’est davantage renforcée et apparaît comme un nouvel élément aux yeux du Professeur Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de Sant’Egidio.
Le Professeur Riccardi a en effet rappelé que « dans la longue histoire du monde arabe, les minorités chrétiennes ont été une réalité de l’ouverture et une garantie du pluralisme; une minorité dont les racines remontent à bien avant l’Islam. Dans l’Ecologie politique et sociale du monde musulman, même en présence de régimes fermés, les minorités chrétiennes ont toujours été un obstacle aux pulsions totalitaires de l’Islam. Leur élimination est un suicide du pluralisme, qui sera chèrement payé par les musulmans eux-mêmes, en particulier les minorités musulmanes considérées comme hétérodoxes: les chiites, les femmes, les jeunes plus mondialisés ou les plus laïques. Oui, c’est un suicide car les chrétiens ont toujours apporté une contribution importante aux âges d’Or des sociétés arabes « .
D’ou ces deux questions cruciales que posent Riccardi; tout d’abord: « Que se passe t’il dans l’Islam et comment y réagir? Nous assistons à un conflit meurtrier pour la suprématie et le leadership dans le monde sunnite que se livrent la Turquie, l’Arabie saoudite et l’Égypte; auquel s’ajoute celui qui divise l’islam chiite et l’islam sunnite (…) Les musulmans doivent être appelés à leurs différentes responsabilités. Il nous faut parler avec eux le plus souvent possible. Ils doivent être conscients que la guerre est allée trop loin. La haine entre chiites et sunnites, les divisions au sein de l’islam sunnite, défigurent le visage de l’Islam. Ils ne peuvent pas prendre en otage le monde par leurs divisions ».
Il a ensuite, adressée une réflexion empreinte de réalisme aux dirigeants chrétiens au Moyen-Orient: « Nous avons aussi une angoissante question pour les responsables chrétiens de leur communauté et elle ne date pas d’aujourd’hui: Y a t’il un avenir dans votre pays ou devez-vous émigrer? Nous devons nourrir une réflexion à long terme sur l’avenir de la région et sur la place des chrétiens dans la région toute entière. Nous devons trouver des lieux de refuge surs et à même de résister, comme je le réclame depuis des années (et ici vous avez trop peur de construire des ghettos). C’est le devoir du politique que de négocier avec ceux qui peuvent et veulent un avenir avec le christianisme sur ces terres, demander aux États (comme l’Irak) d’assurer la sécurité des citoyens chrétiens« .
Le politologue Libanais Tarek Mitri, chrétien orthodoxe et représentant spécial de l’ONU pour la Libye, dans sa contribution en début du colloque a fait remarqué que « l’incertitude et la peur sont largement partagées dans le monde arabe. Ils façonnent considérablement la vie des chrétiens. Le centenaire du génocide arménien a réactivé des souvenirs blessants. Aujourd’hui, cette mémoire est loin d’être guérie; dans un contexte de crimes modernes contre l’humanité, commis par des acteurs non étatiques et des régimes criminels similaires à des dictatures (…) certains sont tentés de voir l’Islam radical comme une expression authentique, bien qu’ excessive, de l’Islam lui-même. Qu’importe la renaissance de l’Islam, disent-ils, ce n’est que régression et cela se traduira par la soumission des chrétiens. Ces derniers ne sont pas assez attentifs à la diversité qui règne au sein de la communauté musulmane et ne reconnaissent pas la profondeur des contradictions qui la divisent« .
« Toutefois – a encore ajouté Mitri – les responsables chrétiens et autres personnalités instruites ont une obligation morale de posséder les outils intellectuels permettant de discerner et reconnaître ce que l’on appelle souvent « l’Islam politique ». Les chrétiens ont les ressources spirituelles suffisantes pour ne pas être entraînés dans cette alarmisme de la peur. Ce n’est en rien une invitation à se détourner d’une reconnaissance sérieuse des menaces et des risques, qu’ils soient réels ou imaginaires. Ni un appel à la patience idéaliste. C’est plutôt un acte de loyauté envers les valeurs qui nous ont toujours soutenus« .
En conclusion, Mitri est revenu sur une dialectique qui fait désormais partie des discours publics des dirigeants chrétiens du Moyen-Orient: « A l’époque moderne, les chrétiens ont appris à s’affirmer en tant que citoyens non pas comme des minorité », et c’est sur ce chemin fructueux qu’il faut s’engager: l’affirmation de l’égalité de tous les citoyens dans la jouissance de tous les droits civils et politiques, sans distinction.
Pour le patriarche melkite d’Antioche, Grégoire III Laham, la réponse aux problèmes actuels se trouvera dans la réaffirmation d’une double unité: celle du monde arabe et celle des chrétiens du Moyen-Orient qui doivent faire entendre d’une seule voix leurs raisons (y compris à travers un plan que le patriarche a rédigé et relancé en le confiant à la Communauté de Sant’Egidio afin qu’il circule au niveau international). « Donnez-moi un monde arabe uni – a dit le patriarche – et je vous prédirai un avenir sûr pour les chrétiens. »
Francs et non sans controverses, ont été les prises de paroles des patriarches syriaque catholique d’Antioche, Ignace Youssef III Younan, et de l’archevêque grec orthodoxe de Chypre, Chrysostome II.
Mgr Younan a mis l’accent sur le « danger de l’Islam politique, qui recommande l’amalgame entre religion et État, afin d’imposer la discrimination contre les minorités religieuses et la charia« . « Ce que l’on pensait être des conflits nationaux sont devenus des guerres d’ampleur régionale voire internationale. Tel est le cas de l’Irak, de la Syrie et du Yémen. Profitant du chaos qui s’est propagé très rapidement dans ces pays, des factions fanatiques ont dominé le terrain semant la terreur« .
Le patriarche a aussi souligné les responsabilités et les échecs de la communauté internationale et demandé: « N’est-il pas venu ce temps ou la communauté internationale doive affirmer clairement et sans ambiguïté son droit d’imposer sa propre Charte des droits de l’Homme de 1948, à tous ses membres? En aucun cas, un pays ne devrait rejeter la Charte en raison d’habitudes culturelles ou exceptionnelles. En évitant de poser la question du respect des droits de l’homme, avec fermeté et clarté, nous courons le risque de provoquer une hémorragie fatale à la communauté chrétienne ». Le patriarche a insisté: «Il est triste de dire que, depuis un certain temps, les chrétiens du Moyen-Orient sont déçus des politiques des gouvernements occidentaux. Ils ont le sentiment d’être abandonnés, même trahis par l’Occident, à travers ses médias qui prétendent être objectifs et ses gouvernements qui s’attribuent des auréoles de démocratie, pluralisme et laïcité! Les pays occidentaux devraient reconnaître leurs responsabilités en tant que complices des atrocités commises par l’Islam politique, le même qui fomente une spirale de crises violentes dans la région la perturbant jusqu’à ce jour ».
L’archevêque de Chypre a aussi contesté la réponse inadéquate des gouvernements occidentaux et des principales organisations internationales face à un Islam politique et fanatique. « Comme Primat de l’Eglise de Chypre – a dit Mgr Chrysostome s’exprimant en grec – je soulève un cri de protestation et de chagrin contre la persécution inacceptable et abominable des chrétiens de Syrie et des autres pays du Moyen-Orient. Et j’en appelle, du plus profond de mon âme, aux gouvernements des peuples chrétiens de l’Europe, aux personnes qui détiennent des postes les plus élevés à l’Union européenne et aux Nations Unies, aux dirigeants des Etats-Unis afin qu’ils assument leurs responsabilités envers la population chrétienne du Moyen-Orient, envers une population civile et des enfants condamnés à la famine et à la douleur. Je leur adresse un vif appel à agir afin que soit consolidé la paix en Syrie et dans tout le Moyen-Orient, que soit respecté la liberté religieuse des populations et de nos droits de l’Homme. Je me tourne encore vers eux afin qu’ils mesurent une grande vérité historique. Quand un foyer de la civilisation chrétienne s’éteint, c’est une source inépuisable de lumière spirituelle et une nourriture pour le monde entier qui s’amenuise. Parce que l’esprit du christianisme, qui est céleste, est l’esprit de tous les temps et est universel. Son aura rafraîchissante et sa grâce ont la force de vivifier toute l’humanité et de donner des fruits qui prospèreront pour toujours. Si aujourd’hui la famille chrétienne de Syrie s’éteint, demain ce sera à Chypre, après-demain en Grèce, puis l’obscurité spirituelle régnera en Europe et dans le monde« .
Le Custode de Terre Sainte, Pierbattista Pizzaballa, dans ses remarques préparées pour sa conférence – il y assistait également en tant que modérateur de la session du 30 avril – relevait que « les actes de terrorisme, qui ensanglantent le Moyen-Orient et l’Europe ne sont pas le résultat d’un choc de civilisations. En effet, ces actes menacent toute civilisation, pas seulement l’Occident. Par conséquent, toutes les civilisations doivent travailler ensemble pour arrêter cette barbarie (…) Ce qui arrive est également lié à la mauvaise et dramatique réponse qu’une partie de l’Islam adresse à la modernité, aux problèmes économiques, moraux et culturels. Il semble qu’au sein du monde musulman cette réflexion n’ait pas encore aboutie ».
« L’avenir des chrétiens dans la région – a déclaré le frère Pizzaballa – ne peut être isolé ou séparé du complexe contexte social et religieux. Il est étroitement lié à l’avenir de toutes les autres composantes sociales et religieuses du Moyen-Orient. Il ne faut donc pas nous contenter de dire que nous devons arrêter la persécution des chrétiens. Il est nécessaire de stopper le cours des choses, pas seulement d’effacer toutes les différences au nom d’une quelconque pureté religieuse et sociale au nom d’un modèle particulier de l’Islam (Daesh, etc.). Il s’agit d’arrêter la suspicion et les préjugés qui ont été instaurés entre les différentes composantes sociales et religieuses du Moyen-Orient. Ici, nous assistons, manque toujours plus grand, pour ne pas dire total, de communication entre les différentes communautés. Chacun se construit son propre point de vue sans l’autre ou contre l’autre, en l’excluant ou le qualifiant d’ennemi« .
Le Custode de Terre Sainte a encore dit: « musulmans et chrétiens resteront ensemble au Moyen-Orient. La crise actuelle n’anéantira pas les communautés, ni ne changera leur sort. Ils devront de nouveau se faire face l’un l’autre. Les chrétiens doivent nécessairement construire leur avenir ensemble et en synergie avec toutes les autres communautés religieuses, en particulier avec les communautés musulmanes, avec lesquelles ils vont continuer de vivre. Le dialogue avec l’Islam n’est pas un luxe d’intellectuels zélés, mais une nécessité vitale. Dans le même temps, les dirigeants musulmans devront comprendre que les communautés chrétiennes sont une partie intégrante de leur territoire, que la relation avec ces minorités est indissociable de leur processus interne de réforme, que la relation avec autrui et le monde extérieur – qu’elle soit culturelle, sociale, religieuse et économique – n’est pas un défi qui ne les concerne pas, que leur avenir ne peut pas être séparé de ces considérations« .
Mais il est juste et approprié, a encore ajouté le Custode, de mettre les musulmans face à cette question cruciale de la « persécutions des chrétiens et autres minorités non-musulmanes. Ces persécutions ne se sont pas crées toutes seules, en partant de rien. Il y a, dans une grande partie du monde musulman, la formation, pensée ou éducation au rejet de l’altérité. Cela amène à considérer les non-musulmans comme une réalité moindre, sinon hostile. L’idéologie sur laquelle ces mouvements extrémistes fondent leurs politiques de persécutions et d’anéantissement des minorités est née, calculée et nourrie par un terreau culturel et religieux qui nécessiterait, à mon avis, d’être radicalement repensé, sérieusement et sereinement. Les églises chrétiennes ont été interpellées après la Seconde Guerre mondiale et après les horreurs de l’Holocauste, afin de considérer et réfléchir à l’antisémitisme qui a conduit à la barbarie que nous connaissons; un antisémitisme alimenté à travers les siècles par un enseignement religieux incorrect. D’un point de vue externe, qui peut être le mien, je pense que le monde islamique devrait emprunter un chemin analogue. Il ne s’agit pas seulement d’accueillir avec autocritique, au sein de sa propre perspective religieuse le monde actuel, mais aussi, plus prosaïquement, d’offrir au monde un autre visage de l’Islam ».
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Il nous est impossible de rendre compte de tous les contenus de ces deux jours, nous recommandons en particulier aux lecteurs intéressés, le texte intégral en italien du discours prononcé par Mgr. Paul Richard Gallagher au nom du Saint-Siège et celui de Mgr. Ibrahim Isaac Sidrak, patriarche de l’Église copte catholique d’Alexandrie, qui a mis en évidence les particularités de la situation des chrétiens en Egypte par rapport à celle de ses frères du Moyen-Orient.