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Père Luc Pareydt : « À Jérusalem, la France exerce un devoir de fidélité »

Nicolas Kimmel
26 mai 2015
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Le père Luc Pareydt, conseiller aux affaires religieuses pour le Consulat Général de France à Jérusalem entre 2013 et 2024 ©DR

Le père Luc Pareydt s.j. est conseiller pour les affaires religieuses au Consulat général de France à Jérusalem. Sa responsabilité, au nom de la France, est de faire vivre la protection historique de la France sur les intérêts religieux catholiques latins de Terre Sainte. Entre politique, religion et laïcité, ce diplomate peu ordinaire nous parle de sa mission.


La France a une mission de “protection de ses intérêts religieux au Proche-Orient”. Quels en sont les fondements historiques?

Plusieurs étapes sont décisives. On pourrait remonter loin, par exemple à Charlemagne avec les premiers échanges d’“ambassades”. La présence franque lors des Croisades a laissé des traces.

L’histoire institutionnelle commence en 1535 avec l’établissement de relations diplomatiques entre les deux ennemis de l’époque (François Ier et Soliman le Magnifique). Ce sont les fameuses “Capitulations”, traités politiques (faire pendant aux alliances de Charles-Quint)et commerciaux. L’important était la Méditerranée. Les principaux ports étaient tenus par les Français, et l’Empire ottoman était un grand commerçant dont l’intérêt était d’avoir libre accès aux ports. Pour les Français, il fallait mettre un pied dans les territoires de la Sublime Porte.

Ces Capitulations sont toujours valables, reconnues par le droit international. L’Empire ottoman confiait à la France, sur son territoire, les droits des communautés catholiques latines françaises et les pèlerins venus de France.

Et cela s’est transmis au cours de l’histoire?

Cela s’est même développé ! Par reconnaissance pour son aide lors de la guerre de Crimée (1856) contre la Russie, la France reçut en cadeau des domaines nationaux à Jérusalem, tandis que fut confirmée sa mission de protection. C’est l’objet des traités de Mytilène (1901) et de Constantinople (1913). Y figurent la liste des communautés et institutions sous protection française ainsi que les exemptions de taxes pour ces congrégations et leurs territoires.

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Lors de la création de l’État d’Israël en 1948, un échange de lettres entre MM. Fischer (ministre israélien des Affaires étrangères) et Chauvel (Secrétaire d’État français aux Affaires étrangères) confirme la protection française et les privilèges antérieurs.

Concrètement, en quoi consiste cette “protection”?

La mission est triple. Politique d’abord. La plupart de ces communautés et institutions sont sur des territoires “disputés”. Il leur faut une protection territoriale, sécuritaire et la liberté d’exercer leur culte et leurs activités.

Le second point est la défense des exemptions de taxes, c’est-à-dire le respect du droit antérieur, confirmé en 1948. Enfin, il s’agit de permettre à ces communautés, quelles que soient leurs traditions spirituelles, de continuer d’exercer leur mission au service des peuples locaux, au nom de l’Évangile, de la justice, de la paix.

Tout cela occasionne quelques bras de fer avec les gouvernements. Par exemple, résister à la captation d’un territoire par un voisinage sans scrupule comme pour les bénédictines du Mont des Oliviers. Nous protestons auprès des autorités compétentes. Les résultats sont improbables mais la protestation est vigoureuse, au nom de la protection diplomatique. Il peut s’agir également de problèmes de visas…

Pour nous, l’enjeu est que ces communautés puissent continuer leur mission sur cette terre. Cependant nous ne sommes pas une tutelle religieuse, nous protégeons, dans la limite de notre domaine de compétence.

Vous parlez d’“intérêts” à défendre. Ceux-ci sont-ils d’abord diplomatiques ou prioritairement des intérêts de “valeurs”, en adéquation avec le message porté par les différentes communautés? Dans ce cas n’y a-t-il pas contradiction avec la laïcité?

Les deux. Au nom de la diplomatie, au nom des engagements passés, nous devons permettre aux institutions d’exercer leur mission. La laïcité ? Nous ne sommes pas en France, et comme disait Briand, la laïcité de France n’est pas exportable… Nous sommes ici dans un contexte complètement différent de la société française ; multicommunautaire, de géopolitique fragile, de confessions chrétiennes multiples. D’ailleurs personne ne pose vraiment la question. Elle n’est posée depuis la France que par des gens qui n’ont aucune connaissance de ce qui se passe ici, et réagissent de façon idéologique.

Que leur répondez-vous?

D’abord que nous exerçons un devoir de fidélité. Il est d’ailleurs paradoxal de voir que c’est au moment de l’expression laïque la plus forte, au début du XXe siècle, que fut confirmée cette mission de protection de la France. Je ne me sens pas en porte-à-faux avec la République… Sur le fait qu’un ecclésiastique exerce une mission diplomatique au nom de la France… rien ne s’oppose à ce que ne soit pas un prêtre. Rien ne s’oppose à ce que ce soit un musulman ou un juif.

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Mais imaginons que ce soit un musulman ou un juif qui exerce la protection sur les congrégations catholiques. Je ne suis pas sûr qu’il s’y retrouverait facilement ! Il y a une cohérence évidente. Encore une fois, la protection n’est pas une tutelle religieuse. Je n’ai rien à dire sur la spiritualité carmélitaine ou sur la façon dont fonctionne le couvent des dominicains.

Protégez-vous uniquement les communautés françaises?

Notre domaine d’intervention concerne les communautés d’origine française, catholiques et latines. Cependant, si la plupart de ces congrégations sont françaises de fondation, les Français y sont devenus minoritaires.

Vous avez parlé de l’importance de conserver l’héritage et de le faire fructifier. Quelles sont les possibilités de réinvention de cet héritage?

L’héritage s’est déjà beaucoup réinventé depuis 1948. Nous sommes passés d’une protection classique d’intérêts charitables… à de véritables enjeux géopolitiques. Parce que le conflit israélo-palestinien marque tout ici et fait qu’aujourd’hui, notre action s’inscrit dans cette géopolitique troublée. La réinvention est politique et quotidienne.

Réinvention juridique d’autre part. L’État d’Israël n’est plus l’Empire ottoman. L’État de Palestine n’est pas l’État d’Israël. Il faut donc s’adapter aux régimes fiscaux, aux coutumes culturelles… Enfin, la réinvention est liée aux congrégations elles-mêmes, à leur propre évolution. Même sans exercer une tutelle religieuse, il faut s’adapter aux changements, à ce qui se décide en interne. La question se pose également avec les communautés nouvelles, non inscrites dans les traités antérieurs. Nous devons nous adapter à de nouvelles formes de présence catholique latine française ici.

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