Les élections législatives turques ont infligé un sérieux revers au président Recep Tayyip Erdogan. Dominant la scène politique depuis plus de dix ans, celui que beaucoup caricaturent en « sultan » vient de perdre la majorité absolue au Parlement. Avec ces mauvais résultats, son rêve de présidentialiser le régime s’envole, et il se voit aujourd’hui obligé de composer avec le parti pro-kurde, qui réalise une belle percée.
(Jérusalem/n.k.) – « Sic transit gloria mundi ». Ainsi passe la gloire du monde, c’est ce qu’a –peut-être- du se dire le président turc à l’annonce des résultats des élections législatives.
Stoppé en plein rêve présidentialiste, Recep Tayyip Erdogan reçoit sa première « claque électorale » alors que son parti n’avait connu que des succès depuis plus de dix ans.
Elu premier ministre en 2003 après avoir été maire d’Istanbul, Erdogan est depuis août 2014 président de la République de Turquie. Des postes clés qui démontrent à la fois son caractère incontournable dans la politique nationale, mais également un appétit pour le pouvoir.
Celui-ci s’est manifesté lors de son accession à la présidence. Après onze ans passés à la tête du gouvernement, l’ex-leader de l’AKP (Parti pour la Justice et le Développement) ne comptait pas s’arrêter là. Il est clair qu’il aurait souhaité conserver ce poste stratégique (le Président n’ayant qu’un rôle honorifique), mais la Constitution ne le lui permettait pas.
C’est le sens de son accession à la présidence de la République, qui ne signifiait bien évidemment pas son effacement de la scène politique.
Le dernier projet en date était clair : parvenir à une réforme de la Constitution, pour présidentialiser davantage le régime. En clair, donner plus de pouvoir au Président, pour braver son impossibilité de rester Premier ministre.
Les élections de dimanche ont fait exploser la fusée en plein vol.
Fort de plus de dix ans de succès électoraux, Erdogan pensait pouvoir remporter confortablement la majorité absolue dont il avait besoin.
Mais en s’engageant personnellement dans la campagne (chose que ne lui permet normalement pas sa fonction), et en transformant ces législatives en référendum sur sa personne, le leader turc a mal joué.
Au vu des résultats, c’était le scrutin de trop.
Si l’AKP arrive bien en tête (près de 40% des voix, soit 267 sièges sur les 550 que compte le Parlement), la majorité absolue ne lui est plus acquise, et il lui faudra composer avec des partenaires de coalition.
La vraie surprise de ce scrutin, c’est la percée du parti prokurde HDP (Parti démocrate du peuple). Ayant passé la barre d’éligibilité de 10%, près de 80 sièges leur reviennent.
Un score pas seulement symbolique, puisque les autres partis qui comptent ont promis de ne pas faire alliance et de rester dans l’opposition. Erdogan devra donc composer avec cette présence kurde (ils sont près de 20% en Turquie) qui s’impose.
Le reste des voix va aux partis plus traditionnels. Le parti socio-démocrate reçoit 24% des suffrages, soit 124 sièges.
Quant au Parti d’action nationaliste (de droite), il rafle 17% des voix et 85 députés.
L’engagement actif du Président Erdogan dans la campagne a rendu le travail de ses adversaires plutôt facile.
Puisque l’homme fort de la Turquie faisait un référendum sur sa personne, l’opposition n’avait qu’à promettre le changement, la fin de la « dictature constitutionnelle » et des pratiques liberticides.
Les derniers mois ont en effet été témoins de restrictions de libertés en Turquie. Surveillance de la presse, blocage de YouTube et Twitter, pressions accrues sur la police et la justice : le régime turc avait quelque chose de moribond.
Le rêve de celui que beaucoup qualifie de « sultan » s’arrête donc avec ce scrutin. De larges zones de la Turquie où le vote AKP était majoritaire ont préféré se tourner vers le parti prokurde. L’Est de la Turquie bien-sûr, mais aussi les zones côtières, fait plutôt nouveau.
Avec près de 85% de participation, il n’y a pas de doute pour dire que le revers électoral de l’AKP est la manifestation de la volonté populaire.
SelahattinDemirtas, leader du parti vainqueur prokurde le résume ainsi : « Les partisans de la démocratie et de la paix ont gagné, ceux qui veulent l’autocratie, sont arrogants et se considèrent comme les seuls propriétaires de la Turquie ont perdu. »