Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Chrétiens de Galilée: « Elle est aussi à nous, cette terre! »

Mélinée Le Priol
6 juillet 2015
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable

Il y a deux semaines, un incendie criminel ravageait l’église de la Multiplication des pains de Tabgha. Autour du lac de Tibériade, où vivent de nombreux Arabes (musulmans et chrétiens), la cohabitation avec le voisin juif  n’est pas toujours évidente.


(Jérusalem) – Anan et Tarik Muzalbet déambulent, un peu hagards, dans les décombres de l’église de la Multiplication des pains. Situé sur la rive nord-ouest du lac de Tibériade, le complexe monastique bénédictin est bien amoché depuis la nuit du 18 juin. Le vaste bureau qui jouxte le cloître a entièrement brûlé ; son sol est jonché de débris et son toit désormais inexistant. Seule demeure la charpente, dévoilant un ciel sans nuage en ce début d’été.

« J’essaie de suivre l’enseignement du Christ, assure Anan, 24 ans. Je veux semer autour de moi la charité et le pardon. » « Mais sans perdre de vue la justice ! » l’interrompt brusquement son cousin Tarik, des lunettes de soleil remontées sur le front et une grande croix argentée sur la poitrine. Pour ces deux chrétiens de Maghar, un village arabe voisin, pas de doute : même s’il n’y a pas de morts à déplorer, ceux qui ont mis le feu à l’église de Tabgha sont des criminels. Ils devront donc être arrêtés et jugés comme tels. Un coup d’œil aux annales rappelle néanmoins que sur les quelque 43 attaques commises par des juifs extrémistes ces six dernières années contre des lieux saints chrétiens ou musulmans, rares sont celles qui ont été punies.

L’acte est pourtant grave et la menace sérieuse, si l’on en croit le message inscrit en hébreu et en lettres rouges sur l’un des murs du cloître : « Les idolâtres doivent être éradiqués. » Dans son bureau du presbytère de Maghar, le curé melkite Fawzi Khoury n’en revient toujours pas : « Ce qui m’a le plus bouleversé, c’est que les agresseurs ont commencé par mettre le feu à la porte du couvent. Ils n’ont pas seulement voulu brûler l’église, mais aussi tuer les moines ! Heureusement, la porte n’a pas cédé. » Si les agresseurs n’ont pas signé leur forfait, la police israélienne soupçonnait des adolescents juifs vivant dans des colonies de Cisjordanie.

La région du lac de Tibériade, où Jésus a beaucoup prêché il y a 2000 ans, n’est pas coutumière de ce genre de violences inter-religieuses. D’ordinaire, les profanations d’églises et de mosquées sont plus concentrées dans les environs de Jérusalem. A vrai dire, cette verdoyante Galilée est sans doute la région d’Israël où les minorités (et notamment les Palestiniens dits « de l’intérieur », 20% de la population d’Israël) sont les mieux implantées. Ici, les Arabes sont même plus nombreux que les juifs : 44% de juifs, 37% de musulmans, 9% de chrétiens, 7% de druzes (sur 1,3 million d’habitants).

Près de 70% des chrétiens d’Israël vivent ici, dans le nord du pays. Melkites et grecs-orthodoxes sont les plus nombreux, suivis de loin par les latins et les maronites. Fiers de leur foi, la plupart portent une croix visible et suspendent un chapelet à leur rétroviseur. Dans les villes et villages arabes qui entourent le lac de Tibériade, ils vivent le plus souvent en harmonie avec leurs concitoyens musulmans. Les relations avec les juifs sont peut-être plus distantes, mais pas moins cordiales.

C’est en tout cas ce que veulent croire les juifs des environs, dont plusieurs dizaines sont venus à l’église de Tabgha après le drame, pour témoigner leur solidarité. « Nous vivons dans une région paisible », assure Marlène Gueva Dayan, une juive israélienne originaire de France qui habite le village de Masad, à l’ouest du lac de Tibériade. « Il y a moins de problèmes ici qu’à Jérusalem. Tout se passe très bien avec les chrétiens : on est invités à leurs mariages, ils viennent chez nous… On se sent plus proches d’eux que des musulmans, avec lesquels on ne partage pas cette culture occidentale. »

Un argument que le P. Khoury, à Maghar, rejette fermement. « Nous sommes des Arabes, et nous sommes considérés comme tels par les juifs ! Il n’y a pas de traitement de faveur pour les chrétiens. » Ce qui n’empêche pas le prêtre oriental de souligner : « Cette attaque terroriste ne traduit pas la nature de nos rapports quotidiens avec nos voisins juifs. Le peuple israélien n’est pas aussi agressif que son gouvernement. »

Le gouvernement israélien : voilà le réel responsable de l’attaque du 18 juin, si l’on en croit ces Arabes chrétiens de Galilée. « Il ne nous aide pas à dépasser la peur de l’autre », déplore Elias Daw, curé melkite de la paroisse de Deir Hanna, un autre village arabe proche de Tabgha. « Jean-Paul II, au contraire, nous invitait à ouvrir nos portes. » Depuis plusieurs années, des polémiques enflent par exemple autour d’un possible renforcement législatif du caractère juif de l’Etat d’Israël. De telles mesures aboutiraient à délégitimer la minorité arabe, qui s’estime déjà considérée comme des « citoyens de seconde zone ».

Mais pour Anan Muzalbet, pas question de partir. « Elle est aussi à nous, cette terre ! s’exclame le jeune chrétien dans le cloître de l’église de Tabgha. D’abord en tant que chrétiens, parce que notre religion est la seule à avoir été fondée ici [le judaïsme est né sur le mont Sinaï et l’islam en Arabie Saoudite, ndlr] ; mais aussi en tant que Palestiniens, car on a toujours vécu ici. » En jaugeant les débris calcinés qui encombrent encore le sol de l’église, Anan n’a l’air ni tétanisé, ni revanchard. Simplement déterminé.

Le numéro en cours

La Newsletter

Abonnez-vous à la newsletter hebdomadaire

Cliquez ici
Les plus lus